Vaccination: « Il est logique de proposer une troisième dose »
Ce vendredi, Pfizer et Biontech annoncent leur intention de demander l’autorisation de mettre une troisième dose de leur vaccin sur le marché. À l’heure où les contaminations reprennent un peu partout en Europe, faudra-t-il injecter une troisième dose à la population l’automne ? Nous avons posé la question à Sophie Lucas, immunologiste et présidente de l’Institut de Duve à l’UCLouvain.
Serait-il judicieux d’administrer une troisième dose du vaccin?
Sophie Lucas: C’est tout à fait envisageable qu’une troisième dose soit nécessaire. Il faut bien distinguer la troisième dose qui serait une dose de rappel à distance de six mois, un an, un an-demi, d’une dose supplémentaire plus rapprochée (dès à présent) après les deux premières. Cette dernière pourrait être intéressante chez les personnes qui ont peu ou insuffisamment répondu aux deux premières doses déjà administrées pour l’instant. Cela pourrait être le cas par exemple de personnes immunodéprimées, ou pour certaines personnes âgées. La dose de rappel à plus long terme (quelques mois des deux premières) serait plus pour renforcer l’immunité dans la population générale.
Ce sont là des principes de vaccinologie que nous connaissons pour d’autres vaccins. La persistance des réponses immunitaires dans le temps varie très fort en fonction du vaccin ou de la maladie infectieuse contre laquelle on vaccine. Ce n’est pas du tout rare de devoir faire des rappels à distance de la première série de vaccinations. C’est le cas pour le tétanos, l’hépatite B par exemple. L’objectif est de rebooster le système immunitaire pour faire remonter les taux d’anticorps.
Si les autorités décident d’administrer cette troisième dose, comment cette vaccination sera-t-elle organisée ?
Je ne pense pas qu’il sera nécessaire de faire une campagne de vaccination de rappel de masse dans les mois à venir. Cependant, c’est une question prématurée vu que l’on ne sait pas encore quand ce rappel sera indispensable ou recommandé. La décision de le recommander n’a pas encore été prise. C’est logique de le proposer pour faire remonter les anticorps qui peuvent éventuellement baisser au fil du temps, mais les conditions exactes de son administration n’ont pas encore été définies.
Cette troisième dose serait-elle administrée à toute la population ?
Cela dépendra des résultats des études et des recommandations des organismes de santé publique. Il faudra vérifier à moyen et long terme la persistance des anticorps protecteurs chez les personnes qui ont reçu les deux premières doses du vaccin. Par définition, il faut donc attendre plusieurs mois. Et puis surtout, il faut étudier la persistance de la protection contre les formes circulantes du virus et donc rechercher les réinfections éventuelles chez les personnes vaccinées depuis plusieurs mois. Et nous sommes seulement en train de commencer à mesurer cela en Israël et au Royaume-Uni.
Cette troisième dose se fera-t-elle avec le même vaccin qui a été administré au départ ?
Cette dose de rappel pourrait se faire avec soit exactement le même vaccin que l’on a eu au départ, dans les deux premières doses, soit avec un vaccin un peu modifié qui contiendrait des antigènes qui correspondraient aux nouveaux variants qui sont en train de circuler maintenant ou qui émergeront dans les mois à venir. Les vaccins disponibles aujourd’hui sont dirigés spécifiquement contre le variant alpha. Ils protègent aussi contre le variant delta, presque aussi bien que le variant alpha, mais on ne connaît pas encore la persistance de la protection contre le variant delta à long terme. On pourrait tout à fait imaginer développer des vaccins légèrement modifiés pour qu’ils protègent mieux contre le variant delta ou contre d’autres variants qui auront émergé d’ici là. L’avantage d’une injection de rappel, c’est de rebooster l’immunité contre le coronavirus et éventuellement permettre d’affiner, d’améliorer l’immunité spécifique contre les variants qui auront émergé d’ici là.
Il y a quelques semaines, vous vous disiez tracassée par un ralentissement l’adhésion vaccinale. Éprouvez-vous toujours ce sentiment ?
Nous pouvons être fiers et très positifs de ce qui a été réalisé en Belgique. La Belgique se classe parmi les meilleurs pays d’Europe en termes de déploiement de la vaccination. Cependant, nous n’avons pas terminé et il faut donc rester attentif. Si nous sommes si bien classés par rapport aux autres pays européens, c’est que l’adhésion vaccinale n’est pas si mauvaise. Après, il y a des portions de la population encore réticentes. On s’inquiète beaucoup aussi de l’adhésion vaccinale parmi le personnel soignant, et le personnel de maison de repos.
Justement, faut-il rendre la vaccination obligatoire pour le personnel soignant ?
Je ne serais pas complètement opposée à une obligation vaccinale pour le personnel soignant. Après, c’est aux politiques à prendre cette décision. C’est une question de responsabilité personnelle que le personnel soignant se doit de prendre, car si l’on veut exercer une profession qui nous met en contact avec les plus fragiles dans l’objectif de soigner ces personnes, on se doit moralement de les protéger. Il y a une forme d’obligation morale qui devrait jouer suffisamment fort pour que l’on obtienne une meilleure adhésion vaccinale là où elle n’est pas encore optimale. Il faut reconnaître que le personnel soignant a très bien joué le jeu dans la très grande majorité des cas, mais il reste des hôpitaux, des maisons de repos où il y a encore des problèmes. Il faut continuer à informer, chercher à convaincre ces personnes, et si ça ne fonctionne pas, je ne serais pas opposée à une obligation vaccinale pour le personnel soignant.
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