Un ascenseur pour l’espace, réalité ou fiction ?
Né au xixe siècle dans la tête d’un scientifique russe, ce rêve fou pourrait devenir un jour réalité. A un nanofil près.
Aller au-delà des nuages, plus loin que n’importe quel avion, atteindre la stratosphère, apercevoir le spectacle grandiose de la courbure de la Terre et se lover dans le noir infini de l’espace. Puis, pourquoi pas, voler en apesanteur ? Depuis les débuts de la conquête spatiale et le vol de Youri Gagarine, le 12 avril 1961, ce rêve-là est devenu réalité pour une poignée de chanceux astronautes. Aujourd’hui, deux sociétés américaines – Virgin Galactic et Blue Origin – travaillent d’arrache-pied sur des projets de tourisme spatial, mais les tickets resteront réservés à une petite élite fortunée, et en excellente condition physique. Il existe pourtant une idée révolutionnaire et à moindre coût pour offrir le firmament au plus grand nombre : l’ascenseur spatial, reliant physiquement la Terre et l’espace.
Une entreprise pas nécessairement irréalisable… mais pas avant 2050
» Le concept a été inventé en 1895 par le scientifique russe Konstantine Tsiolkovski après avoir visité la tour Eiffel « , rappelle Frédéric Masson, chef de projet pour les concepts avancés au Centre français d’études spatiales (Cnes). Il imagine alors une tour s’élevant à 35 786 kilomètres d’altitude – l’orbite géostationnaire. Mais son idée est rapidement abandonnée : une construction de cette taille s’écroulerait immanquablement, puisque aucun matériau n’est suffisamment résistant pour supporter la compression liée à la gravité. A l’heure actuelle, la tour la plus élevée du monde – la Burj Khalifa, à Dubaï – mesure » seulement » 830 mètres de hauteur, et le maximum théorique est de 10 kilomètres. » Au milieu du xxe siècle, un autre scientifique russe, Youri Artsoutanov, reprend l’idée, mais imagine cette fois un câble déployé depuis l’orbite géostationnaire « , poursuit l’ingénieur français.
Plusieurs structures ont, depuis, été imaginées et recensées par l’International Space Elevator Consortium (Isec). Leur taille varie de 35 786 à 100 000 kilomètres, mais elles sont toujours constituées des mêmes éléments : une colossale ancre terrestre ou maritime tenant l’ensemble, une plateforme accueillant voyageurs et marchandises d’où partirait un gigantesque câble relié à un contrepoids situé dans l’espace, ainsi qu’une station spatiale d’accueil. Sans oublier la cabine d’ascenseur. L’objectif est d’atteindre au minimum l’orbite géostationnaire, particulièrement importante puisque c’est le point où » la force centrifuge dépasse la force de la gravité terrestre « , explique Frédéric Masson.
Conséquence, placé à cette altitude, un contrepoids tendrait suffisamment le câble pour soulager, en partie, l’ascenseur de l’attraction terrestre, en lui évitant de ployer sous son propre poids. Autre avantage à se caler en orbite géostationnaire : les objets qui s’y trouvent ont une période de révolution égale à celle de la Terre. Autrement dit, ils se déplacent à la même vitesse que celle à laquelle tourne notre planète, ce qui leur permet de toujours rester au-dessus du même point.
Une gaine de plus de 36 000 kilomètres
Une telle structure pourrait-elle être rentable ? Aujourd’hui, la mise en orbite d’un objet de 1 kilo se facture environ 17 000 euros. Un prix justifié par le coût de construction des fusées et les énormes quantités de carburant nécessaires pour s’arracher de l’attraction terrestre. Même si la future fusée européenne Ariane 6 et les Falcon 9 réutilisables de Space X promettent de faire baisser les prix, l’addition demeure élevée. L’ascenseur spatial, lui, consommerait bien moins d’énergie pour propulser sa cabine. Et une fois sa construction achevée, il pourrait satelliser 1 kilo de marchandise pour… de 170 à 430 euros. Avec de telles estimations, un ascenseur spatial à 17 milliards d’euros serait amorti après avoir transporté de 50 000 à 100 000 tonnes de matériel.
Mais les ingénieurs voient d’autres intérêts à l’engin : d’une part, une fois hissés à son sommet, les satellites pourraient être directement placés en orbite géostationnaire ; de l’autre, les vaisseaux d’exploration assemblés à cette altitude profiteraient de la force centrifuge de la Terre pour se libérer de son attraction et partir directement explorer le système solaire, le tout en consommant un minimum de carburant !
Alors, qu’attendons-nous pour édifier une telle merveille ? L’ancre, la plateforme, la cabine et le contrepoids ne semblent pas poser de difficultés techniques majeures. Idem pour l’implantation de la base terrestre, puisqu’elle a déjà été arrêtée à 1 000 kilomètres à l’ouest des îles Galapagos, une région proche de l’équateur et relativement épargnée par les cyclones. Reste une difficulté, à ce jour insurmontable : le câble. Sa confection nécessiterait un matériau économique et extrêmement léger, résistant à la fois à la compression provoquée par la gravité et à la traction exercée dans le milieu spatial. Un prérequis qui laisse cette invention dans le domaine de la science-fiction.
Pourtant, ces dernières années, plusieurs sociétés ont annoncé être en mesure de construire un ascenseur spatial. La japonaise Obayashi assure même qu’avec 100 milliards de dollars (86 milliards d’euros) elle pourrait mener à bien son projet en 2050. Son secret ? Les nanotubes de carbone.
» C’est un matériau révolutionnaire, quasi sans défauts, confirme Philippe Poulin, chercheur au centre de recherche Paul-Pascal (CNRS/université de Bordeaux). Il est léger et plus résistant que les matériaux actuels, tout en étant extrêmement flexible. » Un roseau high-tech digne d’une fable futuriste, en somme. Il peut aussi conduire l’électricité et se révèle chimiquement assez stable pour faire face à la corrosion et aux ultraviolets. » Théoriquement, les nanotubes de carbone peuvent servir à concevoir un câble d’ascenseur spatial « , poursuit le spécialiste. Mais il y a un hic : leur taille. A l’heure actuelle, les ingénieurs ne produisent que des segments de quelques microns et ne peuvent les assembler sans qu’ils perdent leurs propriétés.
Par ailleurs, la production de seulement 1 gramme coûte une centaine d’euros, le kilo reviendrait donc à 100 000 euros. L’addition s’annonce salée, puisqu’un câble de 36 000 kilomètres pèserait plusieurs milliers de tonnes. La solution pourrait résider en un autre matériau expérimental : les nanofils de carbone. » Jusqu’à maintenant, les nanotubes sont inutilisables en pratique, souligne John Badding, professeur de chimie à l’université de Penn State, aux Etats-Unis, auteur d’une étude publiée dans Nature, en 2005. Selon nos calculs, les nanofils de carbone pourraient se révéler plus solides que les nanotubes, surtout moins sensibles aux défauts (NDLR: une fois qu’on les assemble). » Le produit miracle ? Pour le savoir, John Badding reconnaît qu’il va falloir passer de la théorie à la pratique, en fabriquant de véritables nanofils de carbone. » L’ascenseur spatial me semble une entreprise très compliquée, mais pas nécessairement irréalisable, note-t-il. Pour autant, je n’imagine pas en voir un avant 2050. » Un avis largement partagé par la plupart des experts.
Le mode de propulsion : un défi d’envergure
Ce laps de temps devrait permettre aux scientifiques de relever quelques autres défis. » La structure devra, par exemple, résister à la corrosion atmosphérique, provoquée par l’oxygène atomique que l’on retrouve entre 60 et 800 kilomètres d’altitude, précise Frédéric Masson. Il pourrait finir par endommager le câble. »
Et ce n’est pas tout, la cabine d’ascenseur et la station spatiale devront être blindées contre les radiations et les divers débris qui polluent nos différentes orbites. » Les passagers pourront potentiellement être irradiés en traversant la ceinture de Van Allen – riche en protons très énergétiques – entourant la Terre « , ajoute l’expert du Cnes. Même avec un ascenseur grimpant à 300 kilomètres-heure, le voyage durerait environ une semaine et augmenterait grandement les risques de cancer, en l’absence de protections adéquates.
Quant aux débris spatiaux, les spécialistes estiment que ceux de la taille de 1 centimètre » seulement » (environ 500 000 autour de la Terre) peuvent faire autant de dégâts qu’une voiture lancée à 140 kilomètres heure. Si le câble était endommagé, voire coupé, il pourrait retomber sur Terre en provoquant un cataclysme.
Dernier défi d’envergure : le mode de propulsion. » Le nucléaire a déjà été évoqué, mais la transmission d’énergie via un laser installé au sol visant directement la cabine pour la sustenter est une autre option « , imagine Frédéric Masson. Des essais ont été menés avec cette technologie, mais ils demeurent élémentaires.
» Hier, la construction d’un ascenseur spatial était impossible à envisager, conclut Philippe Poulain, du CNRS. Aujourd’hui, elle reste très théorique, mais l’espoir existe. «
Par Victor Garcia.
Plutôt que l’orbite géostationnaire, ne vaudrait-il pas mieux viser la Lune ? La question taraude les scientifiques. Il est vrai qu’avec sa faible gravité et l’absence de débris alentour, l’astre sélène offre quelques avantages, laissant même envisager la construction d’un câble avec un matériau moins résistant, comme le Kevlar. Un ascenseur lunaire associé à une future station spatiale internationale lunaire serait particulièrement utile dans le cadre d’une économie cislunaire, où l’humanité construirait des usines sur la Lune afin d’exploiter ses ressources et produire, par exemple, du carburant pour les expéditions lointaines. Le futur de l’exploration spatiale se trouverait-il sur notre petit satellite naturel ?
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