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Toute première observation des ondes gravitationnelles

Rosanne Mathot Journaliste

Jamais observées auparavant, mais prédites par Einstein il y a un siècle, les ondes gravitationnelles, ces frémissements de l’espace-temps, entrent majestueusement au panthéon de la Science, grâce au projet international LIGO. Une incroyable prouesse technique. Un formidable hasard du calendrier.

D’une pierre, deux coups. Et quels coups ! Des coups de maître. Car ce n’est pas seulement la toute première observation directe d’ondes gravitationnelles que l’expérience LIGO et l’observatoire éponyme ont mis au jour, mais c’est aussi la toute première observation directe d’un trou noir.

En fait, ce n’est pas un, mais ce sont deux trous noirs gigantesques (de respectivement 36 et 29 fois la masse de notre Soleil) qui se sont frôlés, avant d’entrer en collision, pour finir par fusionner. L’accélération, pendant la chute des deux corps célestes l’un sur l’autre, a émis une onde gravitationnelle, une espèce de vague qui s’est propagée dans l’espace. La géométrie de l’espace-temps s’est alors modifiée, en harmonie avec la théorie de la relativité générale d’Einstein . Ainsi une tige solide, convenablement orientée, traversée par cette onde gravitationnelle, s’est bel et bien contractée et dilatée. C’est justement ce mouvement minuscule et délicat, que LIGO et ses bras de 3 km de long a réussi à observer. Une prouesse technique qui donne le tournis : la déformation de la géométrie est en effet plus qu’infinitésimale ; ainsi, un objet de 1000 km de long subit, dans de telles conditions, une diminution de l’ordre du rayon d’un proton. Seulement.

Cela faisait plusieurs semaines que le monde de la physique était comme enivré, en attendant la publication officielle de l’annonce, de la rumeur, de la folle information qui allait sacrer définitivement la théorie de la Relativité générale d’Einstein. Prévue dans la revue britannique Nature, le 11 février, la publication en question a finalement été faite ce 8 février 2016, par la revue américaine Science. Mais cela faisait déjà près d’une semaine que l’excitante rumeur avait été confirmée par l’entourage du Professeur Thibault Damour, ce spécialiste de la relativité générale, qui a participé à l’expérience LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory).

Avant la performance de LIGO, on avait certes observé la réalité des ondes gravitationnelles par l’examen de la variation de la période de rotation des composantes d’un pulsar binaire (un système stellaire double) l’un autour de l’autre. Mais on n’avait jamais observé directement de telles ondes.

« C’est extraordinaire ! », s’enthousiasme le Professeur Philippe Spindel, professeur à l’IHES et à la faculté des sciences de l’UMONS. « On était convaincus que les ondes gravitationnelles devaient exister, maintenant, on en a la preuve ferme et définitive. » Cette première observation directe des ondes gravitationnelles emporte, par ailleurs l’astronomie vers un tout nouveau voyage, vers une nouvelle ère. A présent, une astronomie observationnelle directe des trous noirs est littéralement à la portée de l’Homme.

Voir le monde en quatre dimensions

En fait, en célébrant les noces du temps et de l’espace, il y a cent ans, Einstein a sonné le glas de la gravitation. Ainsi, la 4e force de l’univers n’en est plus une, mais elle devient une courbure de la géométrie de l’espace-temps. Concrètement, le monde n’est pas une scène fixe, constituée de lignes droites. Il regorge de courbures. Ce sera l’un des points de départ dans la réflexion d’Einstein. Avec sa relativité générale, Einstein nous explique que c’est la masse de la Terre qui déforme l’espace-temps, en le « courbant », comme une boule de pétanque déformerait une nappe. Il est donc « logique » que les autres corps célestes, qui se trouvent à proximité, comme la lune, vont eux aussi « rouler » et prendre place dans cette courbure de l’espace-temps. Dans un tel modèle, plus besoin de « force de gravitation ». Newton peut aller se rhabiller. « A titre personnel, je n’ai rien contre la gravitation » dira Einstein. « Mais je peux fort bien m’en passer ».

Il y a un siècle, Albert Einstein a donc privé le temps de sa valeur absolue et linéaire. Il a fait voler en éclats la croyance intime et puissante qui nous accompagne à chaque instant de notre vie. Du berceau à la tombe, notre vie est fondamentalement réglée sur le tic-tac infini de nos réveils, sur le diktat absolu de l’heure. Reste que, en dehors de ce tic-tac constant et de cette suite interminable d’aubes et de crépuscules, aucun de nos sens ne nous permet d’appréhender ce qu’est réellement le temps. Ce que nous prenons pour le temps, ce n’est, finalement, rien de plus que ce mouvement répétitif et régulier, c’est un repère que nous utilisons pour synchroniser nos actions dans le monde.

La théorie d’Einstein ne peut que nous plonger dans le désarroi. Elle fait valser à la poubelle la notion de « temps » telle qu’on le connaît : un cadre universel et rassurant dans lequel se déroulerait notre existence et dans lequel se déploie l’univers. D’ailleurs, avec un petit effort de concentration, on peut très bien imaginer un univers dans lequel le temps n’existe pas, faute de masse et d’énergie.

Pardon ? Comment ? Pourquoi ? Parce que, nous dit Einstein, finalement, le « temps » n’est qu’une notion relative. Le temps n’est que la 4e dimension d’un système de coordonnées, au même titre que la longueur, la largeur et la profondeur. Nous utilisons tous, un jour ou l’autre, ces coordonnées pour situer un objet dans l’espace, lorsque l’on fait un croquis. Presque tout le monde a déjà vu un film en 3D, au cinéma. Einstein va plus loin : il nous demande de ne plus voir le monde en 3D, mais de le considérer en quatre dimensions. Ce n’est pas de la fiction. C’est de la science.

Et la pomme de Newton ?

Oui, mais… Quid de l’histoire de la pomme de Newton, que nous avons tous apprise à l’école ? La pomme fait comme tous les corps : elle glisse dans la courbure de l’espace-temps créée par la présence de la masse de la Terre. Interrogé par les médias, Einstein donnera, au sujet de la pomme de Newton, la réponse suivante : « Au lieu de rester assis dans un verger à regarder les pommes tomber, qu’est ce que j’ai fait ? En bon homme de science, je me suis dit que, tôt ou tard, un homme finirait bien par tomber d’un gratte-ciel en construction. C’est arrivé. Je suis allé au chevet de cet homme et après les politesses d’usage, je lui ai demandé : « Pendant votre chute, avez-vous senti que la terre vous attirait ? » L’homme répondit « Gar nicht ! » (Absolument pas!) La terre m’a repoussé tellement fort que je me retrouve à l’hôpital avec les os brisés ! ». « Et bien mon cher ami », lui répond Einstein, « Vous avez peut-être échappé au pire, avec votre dos, mais vous avez très certainement cassé celui de Newton ».

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