Lors d’un concert de Max Richter, il est permis de dormir. Le compositeur a collaboré avec des neurologues pour créer Sleep. © GETTY

«La musique adoucit les mœurs, et nous en avons trouvé la preuve scientifique»

Que peut bien représenter le néoclassicisme pour les personnes souffrant de dépression? De quelle manière le rythme et le chant peuvent-ils offrir une meilleure qualité de vie aux patients atteints d’Alzheimer ou de Parkinson? Au fil des années, les scientifiques ont acquis de plus en plus de connaissances sur la manière dont la musique peut aider l’être humain.

Peu à peu, la recherche sur le cerveau commence à dévoiler les effets fascinants de la musique. Car il y a quelque chose de merveilleux, voire de carrément surréaliste, dans le fait que de simples vibrations dans l’air parviennent à nous tirer des larmes. Dans le fond, c’est précisément ce que représente le jeu des notes.

L’explication scientifique des mécanismes derrière ces effets bénéfiques réside dans la connexion entre notre cortex auditif et le système de récompense du cerveau. Ainsi, lorsque nous apprécions une musique, des substances chimiques telles que la dopamine sont libérées dans les régions cérébrales faisant partie de ce circuit de récompense. Les morceaux que nous aimons écouter génèrent automatiquement un sentiment de bonheur. Mieux encore, le lien qui se crée avec les centres du plaisir dans notre cerveau renforce notre motivation et notre énergie, améliorant ainsi notre fonctionnement global.

L’eudémonisme

Le titre d’un récent article publié par les chercheurs Mark Reybrouck (KU Leuven) et Edith Van Dyck (UGent) résume bien cette dynamique: «La musique est-elle une drogue? Comment l’écoute de la musique peut déclencher des réponses neurochimiques dans le cerveau.» Ils y expliquent qu’avec une écoute consciente, l’activité neuronale dans le circuit de la récompense permet de passer d’un plaisir «hédoniste» à une satisfaction «eudémonique». Ce dernier concept renvoie à l’eudémonisme, doctrine du bonheur développée par le philosophe grec Aristote, où la quête du bonheur coïncide avec la réalisation de soi.

«La musique adoucit les mœurs, et nous en avons trouvé la preuve scientifique.»

«L’écoute hédoniste vise l’effet à court terme du simple plaisir sensoriel, tandis que l’écoute eudémonique recherche la valeur ajoutée de la musique, précise Mark Reybrouck. Si on prête attention aux détails, comme la façon dont l’immense Maria Callas peut tenir une note pure pendant neuf secondes dans une aria, on expérimente une satisfaction eudémonique. Cela dépasse la simple consommation de musique. On écoute à un niveau plus profond. Cet effort mène à une libération neurochimique plus importante d’hormones, comme l’ont démontré les recherches.»

Des études récentes utilisant l’IRM fonctionnelle montrent que les personnes qui écoutent la musique de manière eudémonique, en ressentant des frissons ou des sensations plus profondes, atteignent une connectivité cérébrale plus forte. Le centre du plaisir établit alors des connexions accrues avec le cortex auditif (qui traite les informations auditives) et les zones préfrontales du cerveau (impliquées dans les réponses conscientes et les systèmes moraux). «Nous avons ainsi trouvé la preuve scientifique d’un adage ancien: la musique adoucit les mœurs», conclut Mark Reybrouck.

Une introspection guidée par la musique

Dans la machinerie complexe des réactions neurochimiques déclenchées par une expérience d’écoute eudémonique intense, Mark Reybrouck et Edith Van Dyck voient une analogie avec le fonctionnement des produits psychédéliques. Ces substances sont utilisées depuis des décennies en thérapie assistée par psychédéliques (PAT) pour soutenir la psychothérapie, avec des résultats encourageants dans le traitement de la dépression, du stress post-traumatique et des addictions.

De plus en plus, les thérapeutes combinent la musique à la PAT. Cette combinaison, associée avec les substances administrées, active des zones cérébrales liées aux émotions, aux souvenirs autobiographiques et à l’imagerie mentale. Cela permet aux patients de lâcher prise plus facilement et d’explorer leur monde intérieur. Les études montrent qu’ils perçoivent la stimulation musicale comme étant encore plus déterminante que les hallucinogènes pour provoquer une catharsis émotionnelle et des expériences spirituelles intenses menant à une meilleure compréhension de soi.

Dans une étude publiée l’an dernier, Mark Reybrouck et la neuroscientifique italienne Elvira Brattico ont exploré le concept de mindful music listening (que l’on pourrait traduire par écoute musicale de pleine conscience). Cette approche associe une écoute attentive et intentionnelle de la musique à des pratiques de pleine conscience. Cette combinaison peut aider les personnes dépressives à mieux réguler leurs émotions. Avec l’aide d’un thérapeute, elles apprennent à exprimer les pensées et les sensations ressenties pendant les sessions d’écoute.

«L’écoute consciente peut ainsi offrir des perspectives sur des sentiments parfois difficiles à cerner», explique Mark Reybrouck. La musique peut être une clé pour accéder à des émotions cachées et les rendre plus explicites. Une écoute attentive peut également induire un état de calme et de vigilance, libérant des dopamines et permettant aux personnes souffrant de troubles psychiques de mieux gérer leur humeur.»

Impliquer le patient dans les choix musicaux

La composition des playlists pour les thérapies psychiatriques est cruciale, soulignent les auteurs de l’article «La musique est-elle une drogue?». Les œuvres d’ensemble, les compositions instrumentales ou les chansons dans une langue étrangère à celle de l’auditeur se révèlent les plus efficaces. Les compilations utilisées jusqu’à présent incluent fréquemment des œuvres néoclassiques de Ludovico Einaudi et Max Richter, deux compositeurs qui assument pleinement leur orientation vers une musique méditative. Max Richter, par exemple, a collaboré avec des neurologues pour créer l’album Sleep, d’une durée de huit heures et demie. Les compositions minimalistes de Henryk Górecki et Arvo Pärt sont également prisées par les musicothérapeutes.

«Les sons doux, prolongés, à tempo lent et plus harmonieux sont les plus efficaces pour apaiser», indique le professeur Reybrouck. La question est de savoir si ce type de mélodies peut être imposé, par exemple, à un fan de metal de 16 ans. Si cette musique le rebute, il risque d’en être davantage irrité que calmé. Les meilleurs résultats s’obtiennent lorsque le patient participe au choix de la musique. Bien sûr, le thérapeute peut orienter cette sélection, par exemple en suggérant des morceaux comportant moins de percussions ou de sons saturés. Les gens sont souvent plus réceptifs qu’on le pense, comme on le voit lors des funérailles. Même les individus les plus endurcis peuvent verser une larme dans ces moments-là. A cet instant, ils deviennent sensibles à la beauté d’une musique qu’ils auraient jugée mièvre en d’autres circonstances.

Les sons doux à faible tempo sont les plus efficaces. Mais peut-on imposer cela à un fan de metal de 16 ans?

Une ami fidèle

Le psychologue de la musique Waldie Hanser, de l’université de Tilburg, a récemment étudié le phénomène de la musique funèbre et a tiré quelques conclusions surprenantes. «En général, cette musique est souvent mélancolique, mais bien moins triste que je ne l’avais imaginé. Grâce à une combinaison de tempos lents et d’accords majeurs, les chansons régulièrement diffusées lors de funérailles paraissent tendres et sensibles, sans être forcément déprimantes. Nous avons également constaté que la musique funèbre est souvent acoustique, ce qui renforce la sensation d’intimité. On a l’impression que l’interprète chante rien que pour nous à ce moment précis. Tout cela renforce l’idée d’une musique qui agit comme élément réconfortant, comme une bonne amie

Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Waldie Hanser avait déjà exploré la force apaisante de la musique. «Nous avons présenté aux participants différentes façons de se réconforter: écouter de la musique, chercher du soutien auprès d’autrui, pleurer, manger pour apaiser ses émotions, prendre une douche chaude, consommer de l’alcool, des drogues, et ainsi de suite.» A la question de savoir à quelle méthode ils avaient le plus facilement recours pour trouver du réconfort, écouter de la musique est arrivée en tête, suivi par le contact social et les pleurs. «Ecouter de la musique s’est avéré être la meilleure source de réconfort dans les situations les plus graves, comme la perte d’un être cher, la maladie ou un sentiment de dépression ou de solitude. Lorsque le moral est au plus bas, les paroles d’autrui –même bien intentionnées– peuvent parfois être maladroites. La musique, en revanche, ne déçoit jamais, car on choisit consciemment les morceaux que l’on veut écouter, des morceaux qu’on aime et auxquels on est personnellement attaché.»

Plusieurs patients ont déclaré que les stimuli musicaux les avaient davantage aidés que les médicaments. © GETTY
«Ecouter de la musique s’est avéré être la meilleure source de réconfort dans les situations les plus graves.»

Outre son implication dans le système de récompense, notre audition possède également une fonction d’alarme. Elle analyse l’environnement acoustique à la recherche de menaces potentielles ou d’opportunités possibles. Ecouter devient alors une stratégie d’adaptation: cela nous permet d’éviter les stimuli que nous jugeons nuisibles et, à l’inverse, de rechercher ceux qui semblent avantageux. Une musique électro à un haut niveau sonore dans un festival, avec une succession continue de beats puissants, place notre corps dans un état d’éveil accru, une sorte d’état d’alerte. Cela accélère le rythme cardiaque et libère des hormones de stress. Beaucoup fuient ce type de sensation, mais c’est précisément ce que les fidèles du festival Tomorrowland trouvent agréable. Les sportifs, eux aussi, peuvent consciemment rechercher cette excitation et cette surstimulation par la musique, comme une sorte de «dopage légal».

Dans le sport, la musique peut également aider en détournant l’attention des efforts et des stimuli internes qui les accompagnent, comme la douleur et la fatigue. Toutefois, utiliser la musique comme analgésique peut s’avérer dangereux pour les sportifs de haut niveau. Lorsqu’on s’entraîne intensivement, il est crucial de rester attentif aux signaux que le corps envoie. Si on ressent une douleur, il faut savoir quand s’arrêter. C’est pourquoi les professionnels utilisent principalement la musique avant une performance, pour réguler leur niveau d’éveil. La plupart se motivent avec des chansons entraînantes jusqu’à atteindre l’état d’activation souhaité. S’ils sont stressés avant une compétition, ils optent plutôt pour des morceaux apaisants.

Depuis longtemps, les scientifiques s’intéressent aux possibilités de la musique dans la gestion de la douleur. «Jusqu’à présent, les résultats des expériences ont été variables, mais une étude publiée l’année dernière dans un laboratoire norvégien a révélé une découverte notable, souligne Waldie Hanser. Lorsque des adultes étaient invités à tapoter du pied en rythme avec la musique diffusée, ils réagissaient nettement moins aux stimuli douloureux. L’écoute passive comme le tapotement actif détournaient l’attention des participants des sensations de douleur. Si la musique correspondait à leurs goûts personnels, l’effet était encore renforcé, grâce à l’activation du système de récompense. Les chercheurs recommandent donc dans leurs conclusions d’utiliser plus fréquemment cette approche en milieu clinique pour traiter la douleur.

«Si la musique ne peut pas guérir la maladie d’Alzheimer, elle peut néanmoins offrir un coup de fouet cognitif aux patients.»

Retour à son moi profond

Dans une étude publiée en 2021 dans Journal of Alzheimer’s Disease, Michael Thaut, professeur à l’université de Toronto et spécialiste des liens entre musique et neurosciences, a examiné l’effet d’une playlist de chansons préférées écoutée une heure par jour pendant trois semaines par des personnes atteintes d’un trouble cognitif léger ou d’un début d’Alzheimer. Avant et après l’étude, des IRM du cerveau et des tests de mémoire ont été réalisés. Michael Thaut a constaté une petite mais significative amélioration du fonctionnement de la mémoire des participants, alors qu’une telle progression est extrêmement rare dans les cas d’Alzheimer et autres formes de démence. Les scans cérébraux montraient la formation de nouvelles connexions entre différentes régions du cerveau. Ses recherches ont conduit à la conclusion que, bien que la musique ne puisse guérir la maladie d’Alzheimer, elle peut offrir un coup de fouet cognitif aux patients.

L’hippocampe stocke la musique dans la mémoire à long terme. En particulier, la musique qui nous a marqué dans notre jeunesse, profondément ancrée dans notre cerveau. C’est pourquoi les souvenirs associés restent intacts, même en cas de démence. La musique entraînante découverte durant l’adolescence, souvent perçue comme «la nôtre», laisse une empreinte durable sur notre personnalité. Elle contribue à façonner notre identité. Cela explique pourquoi certaines personnes atteintes de démence disent retrouver une part d’elles-mêmes lorsqu’elles réécoutent les chansons de leur adolescence. Pour ces personnes, la musique est une manière de se reconnecter à leur moi profond.

La musique ne déçoit jamais, car on choisit très consciemment les morceaux qu’on souhaite écouter à un moment précis. © GETTY

Des avancées prometteuses

La maladie de Parkinson, qui affecte les cellules nerveuses responsables du contrôle des mouvements musculaires, prive les patients de leur stabilité et de leur agilité. Les chercheurs constatent que la stimulation auditive rythmique (RAS) est un outil puissant pour aider ces patients à marcher de manière plus stable. Grâce à des indices rythmiques diffusés par un casque, le patient ajuste ses pas à un tempo défini, ce qui améliore sa cadence et sa vitesse de marche tout en prolongeant son endurance. Cette technique bénéficie également aux patients en rééducation après un AVC.

Dans un article publié il y a deux ans, Michael Thaut et d’autres chercheurs concluent que la RAS est même plus efficace que d’autres méthodes de réhabilitation physique. Ils plaident pour une utilisation élargie de cette méthode, notamment dans l’ergothérapie pour des personnes atteintes de traumatismes crâniens, de sclérose en plaques ou de troubles moteurs liés au vieillissement. Le développement de nouvelles applications ouvre des perspectives pour rendre la RAS plus accessible dans les hôpitaux et les maisons de repos.

Les modes de communication affectés par des troubles neurologiques peuvent également bénéficier de la musicothérapie. De nombreux groupes de patients atteints de la maladie de Parkinson se réunissent chaque mois pour pratiquer des exercices de voix et de respiration tout en chantant en chœur. Ces activités améliorent leur volume vocal et leur intelligibilité. Une étude américaine a révélé que le chant choral favorise la production d’ocytocine dans le cerveau, une hormone surnommée «hormone du câlin», qui joue un rôle clé dans la formation des relations.

Cette découverte a inspiré l’épidémiologiste Mary Mittelman, de l’université de New York, à créer le chœur The Unforgettables. Ce chœur de 22 personnes est composé pour moitié de patients souffrant de troubles de la mémoire et pour moitié de leurs aidants proches, souvent leurs conjoints. Ces derniers retirent également de grands bienfaits des sessions de chant. Ils se sentent mieux soutenus socialement et gagnent en confiance en eux grâce à cette activité collective. Parfois, des scènes particulièrement émouvantes ont lieu, comme l’a raconté le chef du chœur: «J’ai vu des couples se tenir la main et se regarder dans les yeux, comme s’ils étaient à nouveau des adolescents amoureux lors de leur premier rendez-vous.»

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