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Retour sur la Lune avec Artémis: « On est dans le registre géopolitique, pas scientifique »

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

La mission Artémis d’exploration de la Lune est-elle un programme de découverte spatiale? Plutôt une mission géopolitique ou un vol de reconnaissance pour l’exploitation de ressources naturelles, évalue Yaël Nazé, astrophysicienne et maîtresse de recherches FNRS à l’ULiège, spécialiste des étoiles massives et de leurs interactions avec leur environnement.

Qu’attend la scientifique que vous êtes de la mission Artémis?

Difficile à dire, tout simplement parce qu’il est clairement question de géopolitique et de géostratégie. On n’est pas du tout dans le registre des vols qui nous apporteront énormément de connaissances. Les participants aux missions Apollo étaient déjà revenus de la Lune avec des cailloux, qui sont toujours en cours d’analyse. Il est clair que certains enseignements sortiront de tout cela, mais ce n’est pas le but principal. La finalité, c’est la conquête spatiale au sens premier du terme, ainsi que les intérêts économiques qui en découlent.

Nous n’avons plus rien à apprendre de la Lune?

Enormément de choses sont encore à découvrir, notamment à propos de la présence de l’eau, une découverte qui n’a d’ailleurs été faite que très récemment. Lorsque des astronautes y retourneront, ils prélèveront d’autres échantillons et feront certainement des photos très précises de certains endroits mais, globalement, ce sont des opérations que l’on peut tout aussi bien réaliser avec des missions robotiques. La recherche scientifique n’est pas au cœur de la mission Artémis.

La planète Mars © Reuters

La conquête spatiale a toujours inclus une dimension géopolitique. Que vous inspirent ces enjeux qui n’ont rien à voir avec la science?

Effectivement, ce n’est pas la première fois. C’était déjà le cas avec les missions Apollo dont l’objectif premier était de battre les Russes. Personnellement, je préférerais qu’on puisse bénéficier d’une partie de ce budget pour faire de la recherche. On aurait pu utiliser ces moyens pour programmer des dizaines de missions vers différents objets du système solaire ou fabriquer des télescopes pour apprendre de nouvelles choses sur l’univers. Mais, d’une certaine manière, le scientifique n’a rien à dire dans ce cas-ci puisque ce n’est pas la découverte qui compte.

Ce que vous exprimez est très éloigné du discours officiel qui met en avant les potentielles avancées auxquelles ces missions pourraient aboutir…

C’est sans doute une expérience qui inspirera plusieurs générations, comme ce fut le cas avec Apollo. C’est logique: on s’identifie plus vite à un astronaute qu’à un petit robot qui explore une surface. Il y a une dimension humaine qu’on ne trouve pas dans les missions robotiques. Toutefois, si on met en balance d’un côté l’argent investi et de l’autre le retour scientifique, on se dit qu’on pourrait faire beaucoup mieux. On peut aussi se poser la question de la légalité de la conquête de la Lune et, plus largement, de l’exploitation de l’espace. Artémis, ce n’est pas seulement une question de prestige, c’est aussi une question d’utilisation des ressources spatiales qu’on pourrait s’approprier. Il y a beaucoup à dire sur la question de la rentabilité – qui sera d’ailleurs nulle à court terme – et sur l’inexistence des modèles économiques pour cette exploitation lunaire.

On risque d’arriver à une situation où, en vertu du Space Act et des accords Artémis, un seul acteur s’appropriera les droits d’exploitation, et donc empêchera d’autres de le faire.

Toutes ces questions n’ont pas été réglées dans les différents traités?

Il existe effectivement un traité qui stipule que les Etats ne peuvent pas s’approprier l’espace, ni les objets qui s’y trouvent. Mais les Américains ont tourné cela à leur avantage en décrétant que, si on ne pouvait pas s’approprier l’espace, il en allait autrement des ressources. Le traité de l’espace n’a pas été édicté de la même manière que celui concernant les fonds sous-marins. Pour ce dernier, on a tenu compte de la notion de bien commun de l’humanité, ce qui implique une exploitation très compliquée car extrêmement encadrée. Tandis que pour l’espace, cette notion de bien commun n’est apparue que dans le tout dernier texte, le traité de la Lune que peu d’Etats ont signé. Ce qui est permis ou non reste donc assez vague.

L’administration Obama, qui a beaucoup œuvré en faveur du spatial privé, a acté à travers le Space Act (NDLR: texte voté en 2015 spécifiant que les citoyens américains peuvent entreprendre l’exploration et l’exploitation commerciales de l’espace) qu’on pouvait s’approprier les ressources. Le Luxembourg a fait de même un peu plus tard. Or, on parle ici de ressources non renouvelables. Sur la Lune, on trouve de l’eau sous forme de glace qui pourrait être utilisée par d’éventuelles colonies humaines mais, surtout, qu’on peut transformer assez facilement en hydrogène et en oxygène pour produire des carburants pouvant alimenter des fusées ou des centrales électriques. Mais quel serait l’intérêt de disposer d’une station-service en plein milieu d’un désert s’il n’y a aucune autoroute?

On peut faire des projections sur l’avenir mais le fait est que ces voies n’existent pas actuellement. L’autre question, plus philosophique, est de savoir si on veut continuer à puiser toujours plus dans les ressources naturelles, comme on le fait avec la Terre. On risque aussi d’arriver à une situation où, en vertu du Space Act et des accords Artémis, un seul acteur s’appropriera les droits d’exploitation et donc, empêchera d’autres de le faire.

Yaël Nazé, astrophysicienne à l’ULiège.
Yaël Nazé, astrophysicienne à l’ULiège. © DR

Les Européens se sont-ils fait flouer dans cette aventure?

Les Américains ont joué la carte de la carotte et du bâton en négociant la participation des Européens à Artémis et en leur promettant une place pour un astronaute qui pourra marcher sur la Lune. En échange, ils doivent les laisser exploiter les ressources lunaires.

Plus exactement, les autres Etats pourraient également le faire mais encore faut-il qu’ils en aient les moyens: les Européens avancent en ordre dispersé et les accords Artémis n’ont pas été signés par tous les pays. Quid de la Chine et de la Russie? La Chine, surtout, a déjà prévu sa propre mission pour explorer les cratères du sud de la Lune. Si on compare la liste de leurs cibles précises et celle des Etats-Unis, on constate sans surprise que ce sont les mêmes. On se demande comment ils géreront ça…

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