Pourquoi la NASA va-t-elle se pencher sur les ovnis?
Pour la première fois, la Nasa a annoncé le lancement d’une enquête portant sur les phénomènes aériens non identifiés, lesdits ovnis. Pourquoi l’agence spatiale américaine a-t-elle décidé de s’intéresser à ce sujet ? Le point avec Emmanuel Jehin, astrophysicien et chercheur FNRS à l’Université de Liège.
L’homme a toujours été fasciné par la possibilité d’une vie extraterrestre. Depuis quelques années, les Etats-Unis semblent s’intéresser sérieusement à la possibilité de visites extraterrestres sur Terre. En juin 2021, le renseignement américain avait déjà affirmé dans un rapport très attendu qu’il n’existait pas de preuves d’existence des extraterrestres, tout en reconnaissant que des dizaines de phénomènes constatés par des pilotes militaires ne pouvaient pas être expliqués. Et ils suscitent inévitablement les spéculations les plus folles.
Audition du Congrès américain
En mai 2022, le Congrès américain a tenu une audition publique consacrée aux « phénomènes aériens non identifiés », un terme qu’Emmanuel Jehin préfère à celui d’ovni. « Quand vous dites ovni, vous dites objet, vous faites déjà l’hypothèse qu’il y a un objet qui vole et qui n’est pas identifié« , explique-t-il.
« Depuis le début des années 2000, nous avons observé un nombre croissant d’objets non autorisés ou non identifiés », déclarait Scott Bray, le directeur adjoint du renseignement pour la US Navy. Le responsable attribue cette hausse « aux efforts considérables » de l’armée américaine consacrés à « déstigmatiser l’acte de signaler les observations » et au progrès technologique. Il a toutefois indiqué n’avoir rien détecté « qui peut suggérer une origine non terrestre » à ces phénomènes. Mais il n’a pas non plus définitivement exclu cette possibilité.
« Une crasse devant la caméra »
« Il y a deux ans, la défense américaine a déclassifié des dossiers, et parmi eux, il y en a certains qui ont refait surface. Il s’agit d’observations signalées par des pilotes de chasse de la Navy. Ces vidéos sont ressorties et refont le buzz depuis quelque temps », explique Emmanuel Jehin. « Ces images sont de mauvaise qualité, et on ne voit pas grand-chose. Cependant, le fait que les observations ont été réalisées par des pilotes d’avion leur confère un caractère officiel et sérieux, alors qu’il peut s’agir d’une crasse sur la caméra, d’une réflexion à l’intérieur du cockpit ou de quelque chose qui vole dehors. Le problème, c’est que les données ne sont souvent pas d’assez bonne qualité, et qu’elles sont insuffisantes ».
Seule une toute petite fraction d’observations reste inexpliquées, souvent justement à cause du manque de données. Et ce sont celles-là évidemment qui permettent les élucubrations les plus fantaisistes. Quand on a assez de données on peut généralement exclure l’ovni et l’identifier… comme un phénomène astronomique (une planète, une étoile filante, un satellite artificiel etc), un phénomène météorologique (nuages lenticulaire par exemple), ou aérien comme un avion, des lanternes chinoises, un drône etc. », ajoute-t-il.
La NASA va étudier ce qui existe au niveau de données scientifiques réellement exploitables et formuler différentes hypothèses, même si elle a souligné d’emblée qu’il n’existe aucune preuve que ces phénomènes ont une origine extraterrestre.
Un budget très réduit
L’astrophysicien souligne que le budget alloué à l’étude est très réduit. « Il faut noter que le budget mis pour cette étude qui va durer neuf mois s’élève à 100 000 dollars, soit le budget d’un seul chercheur. C’est une toute petite étude, et le but c’est vraiment de dire : ‘voilà, on n’a pas assez de données on va regarder ce qu’on peut avoir, comment les analyser au mieux et les récolter’. C’est une première mise en jambe pour voir si on peut vraiment faire quelque chose de ces données ».
Il estime que c’est une bonne idée de confier cette tâche à la NASA. Celle-ci s’intéresse en effet scientifiquement à la recherche de la vie dans l’Univers au travers de l’étude des exoplanètes ou l’exploration des planètes de notre système solaire et il est donc aussi normal d’investiguer la possibilité que le phénomène ovni soit liée à ces questions. »Chaque fois que quelqu’un a demandé de l’argent pour étudier ce sujet correctement, sa demande a été rejetée. Cependant, il ne faut pas oublier que la NASA c’est aussi aéronautique, que leur business, c’est finalement de savoir ce qu’il y a dans le ciel. Le Département de la Défense des Etats-Unis n’exclut pas l’hypothèse d’engins-espions russes. Pour la sécurité, les Américains sont prêts à mettre n’importe quoi comme budget », déclare-t-il.
Il souligne toutefois que rien n’est sorti des documents déclassifiés qui ont fait les choux gras des fanatiques d’ovni, adeptes de séries de type X-Files: « Il y a trente ans que je regarde le ciel, et que je collecte ce genre d’information, et je peux vous dire qu’il n’y a jamais rien, même si j’aimerais être le premier à observer quelque chose d’extra-terrestre ».
Des témoignages non fiables
Il existe des montagnes de données et de témoignages sur les phénomènes aériens non identifiés, mais cela ne signifie pas qu’ils sont utiles pour autant. « Le gros problème, c’est la qualité et la quantité des données. Les témoignages visuels n’ont pas grande valeur parce qu’ils ne sont pas fiables, même si cela ne signifie pas que la personne est de mauvaise foi pour autant. On sait bien que si on demande à trois personnes de décrire un événement, on va avoir trois versions différentes. Et quand il s’agit de choses qui se passent dans le ciel, c’est encore plus difficile », analyse le scientifique.
Il fait notamment référence à la fameuse vague belge. Dans la soirée du 29 novembre 1989, des gendarmes avaient en effet observé différents points d’étranges et grands objets triangulaires dans le ciel. Les jours suivants, 200 civils vont confirmer avoir vu eux aussi ces bizarres objets volants. Pendant 18 mois, des milliers de Belges vont observer des ovnis aux caractéristiques qu’on ne pouvait pas expliquer avec les moyens techniques d’alors.
Le phénomène aérien non identifié belge le plus courant était de forme triangulaire avec grands feux éclairants à chaque extrémité et avec une sorte de gyrophare rouge-orange en son milieu. Malgré le nombre de témoins, il n’y aura cependant aucune vidéo ou photo suffisamment qualitative pour être une preuve irréfutable ou probante. La seule photo claire d’un ovni belge s’est révélée, il y a quelques années seulement, être un canular.
« Il y a cent ans que les astronomes observent le ciel avec des moyens techniques de plus en plus performants, et ils n’ont jamais rien vu d’extraterrestre. Le phénomène ovni, ce qui fait souvent le buzz, c’est une personne qui prend une photo à contre-jour d’un paysage, qui ne voit rien à l’œil nu, et puis qui après le développement voit apparaître quelque chose sur la photo. Et là, elle a envie de croire à la magie ».
Déstigmatiser le sujet
L’idée est de déstigmatiser le sujet et de contribuer à la sortir de la sphère des complotistes. « L’un des résultats de cette étude pour moi serait de faire comprendre à tout le monde (…) que le processus scientifique est valable pour traiter tous les problèmes, y compris celui-là », a également déclaré Thomas Zurbuchen, administrateur associé à la NASA, qui dit avoir lui-même décidé d’ouvrir cette enquête.
L’étude sera menée par d’éminents scientifiques et experts en aéronautique. Prévue pour démarrer au début de l’automne, elle devrait durer neuf mois et aboutir sur un rapport rendu public.
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