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Les bactéries miroirs, ce danger à venir pour l’humanité: pourquoi les scientifiques appellent à stopper les recherches 

Les bactéries miroirs n’existent pas encore. Mais des scientifiques de renom appellent à stopper la recherche sur ces organismes artificiels qui pourraient se révéler dévastateurs.

De révolution scientifique à désastre humanitaire? Dans un rapport paru dans la revue Science, 38 chercheurs de renom alertent sur la création de bactéries miroirs  et appellent à stopper la recherche dans ce domaine, par peur que ces organismes synthétiques deviennent incontrôlables. «La menace est sans précédent», s’alarment-ils.

Retour en arrière. En 2010, des scientifiques font état d’une avancée majeure: une équipe de recherche en biotechnologie a mis au point la première cellule contrôlée par un génome synthétique. D’autres recherches sont alors lancées dans la création de bactérie « miroir ». Soit la fabrication d’une bactérie par par synthèse de son ADN, en inversant la structure moléculaire. Il s’agit donc de créer une forme de vie qui n’existe pas en tant que telle, par effet miroir d’une forme qui existe naturellement.  

L’effet miroir est réalisable grâce au principe de chiralité, que possèdent «toutes les molécules du monde vivant. Elles sont identiques mais pas superposables, c’est le cas avec les mains», illustre Jean-François Collet professeur en microbiologie et biochimie à l’Institut de Duve de l’UCLouvain.

Ces bactéries n’existent pas encore, mais avec les progrès de la biochimie elles pourraient voir le jour dans les dix prochaines années. «La question est de savoir quand est-ce que ça arrivera. Dix ou quinze ans, ça passe très vite, commente le microbiologiste. Autant le bloquer le projet dès le début».

Des bactéries miroir, pour quoi faire ?

Le procédé scientifique est enthousiasmant au départ, notamment dans le domaine de la médecine. «C’est une approche qui se justifie bien en pharmacologie pour trouver de nouveaux médicaments», estime Eric Muraille, biologiste et immunologiste à l’ULB.

Les bactéries miroirs résisteraient à des environnements extrêmes car elles seraient incapables d’interagir avec les organismes existants. «Une infection, c’est un dialogue moléculaire entre l’organisme humain et un virus ou une bactérie, qui reconnaît les éléments qui vont permettre l’infection», détaille Eric Muraille. Or, c’est comme si une molécule miroir parlait une toute autre langue que les molécules existantes, illustre encore Jean-François Collet.

Cette caractéristique en fait donc des éléments prometteurs pour traiter des maladies complexes chroniques, qui résistent aux traitements actuels. Les molécules miroirs pourraient aussi être utilisées dans le domaine de la parfumerie, en apportant de nouveaux arômes. Ou encore éclairer la recherche fondamentale sur l’évolution, en aidant à comprendre pourquoi la vie sur Terre a évolué en chiralité.

Des effets dévastateurs

Le revers de la médaille de la résistance des bactéries miroirs, c’est que le vivant non plus ne pourra pas interagir avec elles, et sera plus vulnérable à des infections. Le système immunitaire humain, animal et végétal serait ainsi incapable de les reconnaître et d’y répondre, notent les chercheurs, parmi lesquels plusieurs prix Nobel. «Du fait qu’elles parlent une autre langue, le vivant ne peut pas lutter contre elles», appuie le professeur à l’UCLouvain.

De plus, les scientifiques pensaient au départ que ces bactéries ne pourraient pas survivre dans l’environnement, dépourvues d’hôtes adaptés. «Pour se multiplier, les bactéries se nourrissent de molécules et nutriments» explique Eric Muraille. Et d’après le rapport, les bactéries miroirs seraient en mesure de s’adapter aux environnements naturels en exploitant des nutriments non chiraux, comme le glycérol, ou des molécules modifiées.

«Ces bactéries pourraient ainsi avoir des effets dévastateurs sur le vivant dans son ensemble», estime Jean-François Collet. Sans prédateurs naturels pour en limiter la propagation, elles pourraient proliférer de manière incontrôlée dans les écosystèmes, provoquant des déséquilibres écologiques.

Une alerte «précoce»

Les chercheurs y voient ainsi beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages, et demandent à ce que les recherches soient interdites. «Toutes les applications pratiques qui nous ont attirés dans ce domaine sont les raisons pour lesquelles il nous terrifie aujourd’hui», déclare Katarzyna Adamala, co-auteure du rapport, et biologiste synthétique à l’Université du Minnesota, auprès du Scientific American.

Le débat est lancé dans la communauté scientifique. Cependant, l’alerte est «précoce» et n’a pas de sens «pour le grand public», selon Eric Muraille. «C’est un risque très hypothétique et très éloigné. Il n’y a pas de raison de s’affoler dans l’immédiat», tempère le microbiologiste. Pour qu’un tel projet voit le jour, «il faut beaucoup d’argent et une raison industrielle de l’investir dans le projet»…

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