Les animaux sont plus intelligents qu’on ne le pense
La souplesse du cerveau est tellement vaste que ses possibilités semblent infinies. Ainsi des cerveaux complètement différents peuvent offrir les mêmes fonctions. Et un petit cerveau peut cacher une force redoutable.
Il y a environ 30 millions d’années, l’éléphant moyen était assez petit : c’était une espèce de tapir avec une trompe courte. Mais la famille s’est agrandie rapidement, en taille et en nombre. Les paléontologues ont déjà identifié et cartographié environ trois cents espèces. Comment le cerveau de l’éléphant a-t-il évolué ? Cette question a fait l’objet d’une analyse par la revue Scientific Reports cet été. Avec leurs 5 kilos, ces cerveaux sont maintenant plus gros que ceux de tout autre animal terrestre. Le cerveau humain pèse presque 1,5 kilo. Si on inclut les animaux aquatiques, le cachalot – avec son cerveau de 8 kilos – détient le record.
Au cours de l’évolution, les cerveaux d’éléphants ont fait deux grands bonds. Chaque fois, il y avait un lien avec un changement climatique drastique. Il y a environ 26 millions d’années, la terre s’est considérablement refroidie. L’habitat des éléphants de l’époque, que l’on ne trouvait qu’en Afrique, s’est très fort asséché. Les forêts ont disparu et ont été remplacées par des savanes et des déserts. Cela a nécessité une transformation du cerveau de l’éléphant : les espèces qui ont survécu à la transition en avaient un plus grand que leurs prédécesseurs.
Le deuxième bond a eu lieu il y a environ 20 millions d’années. Le climat s’est à nouveau réchauffé. En outre, le continent africain s’est attaché à l’Eurasie. Cela a permis aux éléphants de coloniser une grande partie de la moitié nord de la planète, et les ancêtres des lions sont entrés en Afrique. Autre climat, nouveaux prédateurs : à nouveau, il fallait au cerveau une poussée de croissance.
L’adaptation n’a pas toujours fonctionné. Les mammouths n’ont pas réussi à survivre à de fortes périodes glaciaires. Peut-être que la compétition avec l’homme, qui a alors commencé à conquérir le monde, était trop problématique. Le changement climatique et l’activité humaine continueront d’ailleurs de menacer les trois dernières espèces d’éléphants contemporaines. Les changements que nous introduisons se produisent si rapidement que les animaux – et certainement les grands animaux – sont incapables de s’adapter.
Stupides suricates
Une grande taille présente des avantages. Vous êtes plus résistant aux prédateurs et plus résistant à la faim et à la soif, parce qu’un grand corps a une plus grande réserve de graisse et d’eau. Mais les éléphants ont aussi une résilience limitée. Et aujourd’hui, celle-ci est extrêmement mise à l’épreuve.
Le cerveau des éléphants a-t-il grossi parce que leurs porteurs ont grossi ? Certains analystes le pensent. Une chose est claire : les animaux qui ont de gros cerveaux, surtout par rapport au reste de leur corps, réussissent mieux dans les expériences visant à tester leur capacité à résoudre des problèmes. Ainsi, Proceedings of the National Academy of Sciences décrit une expérience avec 140 individus de 39 mammifères provenant de zoos américains : ils avaient une demi-heure pour extraire de la nourriture d’une boîte presque complètement fermée. Un tiers d’entre eux a réussi. Les ours étaient les plus doués, les suricates et les mangoustes le moins.
Curieusement, aucun lien n’a été trouvé entre le caractère social des animaux et la taille de leur cerveau. Une hypothèse de base, cependant, veut que les gros cerveaux soient cruciaux pour vivre efficacement en grands groupes. Ils permettraient de reconnaître beaucoup d’autres individus et de les manipuler pour son bien : c’est le summum de l’interaction sociale intelligente.
De plus en plus d’études érodent cependant ce dogme. Récemment, Current Biology rapportait que les pintades vulturines sont très sociables, bien que leur cerveau ne soit pas plus gros qu’un pois. Il s’agit de volailles assez grandes de la savane de l’Afrique de l’Est. Elles ont une tête minuscule et vivent en grands groupes, sans doute pour se protéger contre les nombreux prédateurs. Leur structure sociale se compose de groupes de base de dix à cinquante individus. Si les circonstances l’exigent, elles fusionnent en groupes plus importants. La nuit, elles dorment par centaines dans les arbres pour une protection maximale. Lorsqu’elles partent le matin, elles retournent à la compagnie de leurs « amis » habituels.
Poules intelligentes
Ou prenez un animal que la plupart d’entre nous n’associent pas à l’intelligence : le poulet. Une étude d’ensemble de la cognition animale énumère ses possibilités inattendues. Elles s’avèrent étonnantes. Une poule peut faire un peu d’arithmétique, elle peut faire accomplir plusieurs tâches à la fois (ou : regarder quelque chose de différent avec chaque oeil), penser en trois dimensions et reconnaître plus d’une centaine d’autres poules individuelles – parfois des mois après la dernière rencontre. De temps en temps, elle aide les individus faibles, les poules presque aveugles, par exemple.
Et pour couronner le tout, un poulet peut tromper d’autres individus. Au fond, le comportement des poulets est semblable à celui de nombreux singes communs.
Selon des études récentes parues dans Current Biology and Scientific Reports, les possibilités du cerveau d’un oiseau sont parfois comparables à celles des singes communs. C’est remarquable, car les oiseaux ont connu une évolution différente. Les routes des oiseaux et des mammifères se sont séparées il y a 250 à 300 millions d’années, et le cerveau des oiseaux est resté généralement beaucoup plus petit. Les chercheurs constatent pourtant de fortes analogies entre certaines zones du cerveau chez les oiseaux et les mammifères, même si la structure de ces zones peut varier.
Certaines zones correspondant au néocortex, qui nous rend aussi intelligents, sont jusqu’à cinq fois plus grandes chez les perroquets et les corbeaux que chez les autres oiseaux. Selon une étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences, les oiseaux peuvent avoir beaucoup plus de cellules cérébrales que les singes par unité de poids cérébral. La force du cerveau ne réside pas d’abord dans son volume, mais dans le réseau de cellules qu’il contient.
Poulpes flexibles
Dans l’évolution de la vie, l’intelligence et la capacité de résoudre les problèmes ont été cruciales, à tel point que la nature les a rendus possibles de différentes manières. Même les stimuli chimiques de base, comme certaines molécules messagères, peuvent avoir le même effet dans différents types de cerveau. Une étude sur les pinsons des Caraïbes, publiée dans Science Advances, l’illustre parfaitement. Le neurotransmetteur glutamate, qui transmet des messages cognitifs importants au cerveau des humains et d’autres animaux intelligents, est également actif chez les oiseaux intelligents. Ce processus est appelé évolution convergente. Il s’agit de développements similaires qui se déroulent souvent d’une manière complètement différente.
L’exemple classique de l’évolution convergente est la rétine des vertébrés et les yeux à facettes des invertébrés : deux designs totalement différents qui permettent cependant à leurs porteurs de voir. En matière d’intelligence, les poulpes invertébrés en sont un exemple frappant. Les poulpes sont des animaux extrêmement intelligents, même s’ils ont une structure cérébrale très différente de la nôtre. Leur cerveau est divisé en neuf noyaux : un central et huit à la base de chaque bras. Ces derniers peuvent fonctionner séparément, de sorte que les bras peuvent tous opérer séparément. Les poulpes sont les invertébrés les plus intelligents, mais même chez eux, ce n’est pas lié au comportement social. Généralement, ils vivent seuls.
Les poulpes sont devenus intelligents, selon une étude de Trends in Ecology & Evolution, parce qu’ils ont perdu la coquille dans laquelle leurs ancêtres se sont retirés. Sans la coquille, ils sont devenus vulnérables aux nombreux mangeurs de poulpes et ont dû devenir physiquement et mentalement flexibles. Ils ont investi dans des mécanismes de défense, comme le camouflage et le liquide encreur qu’ils projettent vers leurs prédateurs. Ils peuvent aussi ériger des barricades et utiliser des coquilles de noix de coco comme une sorte de bouclier. Grâce à leur plus grande intelligence, ils peuvent se mesurer à une plus grande variété de proies.
Récemment, il a même été suggéré que les poulpes peuvent rêver, et comme le nôtre, leur cerveau évalue, filtre et stocke activement les informations reçues.
Éponges passives
L’évolution vise-t-elle automatiquement un cerveau plus grand ? C’est une option, mais ce n’est pas la panacée. Le meilleur exemple est celui des éponges de mer, probablement les tout premiers animaux multicellulaires sur terre. Les éponges d’aujourd’hui n’ont plus la trace d’un cerveau ou d’un système nerveux, mais il y a de fortes indications que leurs prédécesseurs aient eu un cerveau ou des cellules nerveuses. Leur génome contient des gènes capables de former des cellules nerveuses – elles ne s’activent tout simplement plus.
On pense que le premier cerveau complexe est apparu il y a environ 520 millions d’années. C’est à ce moment-là que la vie sur terre a été stimulée pour la première fois vers plus de diversité. Mais les éponges auraient renoncé à leur cerveau (sans doute modeste) pour mener une vie simple. Elles sont coincées dans le sol, où elles filtrent passivement l’eau pour en extraire les éléments nutritifs : cela ne demande pas beaucoup de capacité de résolution de problèmes. De plus, proportionnellement, le cerveau consomme une quantité relativement importante d’énergie. Leur élimination peut être une mesure d’économie d’énergie.
Les scientifiques ont découvert des animaux qui ont perdu du volume cérébral en réaction à des conditions environnementales changeantes. Nous en sommes le meilleur exemple. Depuis plusieurs dizaines de milliers d’années, le volume de notre cerveau diminue : il pèse déjà environ 300 grammes de moins qu’au début de notre évolution, ce qui est beaucoup sur un total de presque 1500 grammes. Il faut savoir que notre cerveau consomme un cinquième à un quart de l’énergie produite par notre corps.
Comment assimiler cette perte ? Peut-être que le réseau que nos cellules cérébrales forment les unes avec les autres s’est resserré. Peut-être que nous pouvons aussi perdre du volume cérébral parce que nous sommes devenus une structure socialement aussi fortement organisée. Notre société prend de plus en plus en charge les tâches des individus essentielles à notre survie, comme la recherche de nourriture et de boissons.
L’homme est-il devenu si intelligent qu’il risque de courir à sa perte? Ce n’est pas exclu. Nous sommes la seule espèce capable de s’anéantir avec les moyens qu’elle a créés. Cela prouve que les cerveaux hyperefficaces ne garantissent pas une longue vie évolutive.
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