Le Soleil, meilleur ami et pire ennemi
S’il semble menaçant à cause du réchauffement de la Terre, il reste notre meilleur allié pour l’avenir. Etre conscient de ses dangers, c’est se rappeler tous ses bienfaits.
Ennemi? Ami? Nous tuera-t-il à petit feu en réchauffant la planète jusqu’au chaos total? Ou nous sauvera-t-il de ces fichus fossiles émetteurs de carbone en rappelant à l’homme tous ses bienfaits, notamment le gigantesque réservoir d’énergie qui le constitue? Une chose est sûre: lui n’a pas changé depuis des millénaires. Il est le même que celui qu’apercevaient nos ancêtres australopithèques. Il y a trois millions d’années, Lucy a senti la chaleur de ses rayons lumineux comme nous la percevons aujourd’hui. En revanche, l’homme, lui, a évolué. Depuis la période néolithique et l’avènement de l’agriculture, il a marqué l’environnement terrestre de son empreinte, profonde et impudente, avec une accélération folle ces sept dernières décennies qui ont rendu notre bien commun, la Terre, vulnérable à l’étoile à laquelle on doit la vie.
Le Soleil est tellement familier qu’on n’y prête presque plus attention, sauf lorsqu’il est trop longtemps caché par une couche nuageuse. Là, alors, il nourrit les conversations chafouines au comptoir du boucher ou à la machine à café du bureau. Mais nous avons oublié que la vie sur Terre est un miracle permanent depuis quatre milliards d’années et pour encore aussi longtemps. Nous ne sommes plus conscients que, sans le Soleil, notre planète serait un caillou stérile et glacé, que nous mangeons tous les jours grâce à la photosynthèse qui permet aux végétaux de piéger son énergie lumineuse. Sans cet astre, bouillonnant à une distance idéale de 150 millions de kilomètres, cent fois plus large que notre globe, nous ne serions rien. Notre amnésie est à l’origine de la menace que cette étoile représente aujourd’hui, nous promettant des étés de plus en plus brûlants et, vu son influence sur les masses d’air et l’évaporation des mers, des tempêtes de plus en plus ravageuses.
La ruée vers l’or solaire ne fait que commencer.
Nous avons fait de notre meilleur ami notre pire ennemi. Le Soleil qui, de tous temps, a été un principe de civilisation risque d’être le complice involontaire de l’extinction de la nôtre. Dans cette débâcle annoncée, il demeure néanmoins un véritable allié potentiel. L’énergie photovoltaïque est indéniablement promise à remplacer le charbon et le pétrole comme principale source d’énergie primaire. La ruée vers l’or solaire ne fait que commencer. Ces dix dernières années, l’industrie des panneaux photovoltaïques a connu une explosion que même les écologistes les plus militants n’osaient revendiquer. Cela devrait s’accentuer. Au point que, d’ici à 2050, le solaire devrait représenter un tiers de l’énergie primaire consommée sur la planète, soit la proportion actuelle du pétrole, le fossile le plus répandu. Il remporte déjà la palme de la compétitivité puisqu’il est devenu l’énergie la moins chère, et l’efficacité des panneaux ne fait que croître (elle a quadruplé en quinze ans).
«C’est une source d’énergie inépuisable, constate Frédéric Clette, physicien solaire tout juste retraité de l’Observatoire royal de Belgique et auteur de l’ouvrage Le Soleil et nous (Favre, 2022). Le flux d’énergie que la Terre reçoit du soleil s’élève à 1.380 watts par mètre carré. En pratique, vu la forme sphérique de notre planète et le fait qu’une moitié de celle-ci est plongée dans la nuit, la quantité moyenne d’énergie solaire effectivement disponible au niveau du sol sur Terre s’élève à 175 watts par mètre carré. Ce qui est encore énorme, car cela représente un total de 90.000 térawatts, soit environ 6.000 fois la consommation d’énergie totale mondiale.» Il y a de la marge, mais des défis restent à relever. Entre autres, celui du stockage de l’énergie produite. Mais, ici, les progrès technologiques et de coûts de production des batteries, pour lesquelles le cobalt n’est plus le seul matériau indispensable, sont également phénoménaux.
Sous influence directe
Dans un autre ouvrage brillant, Soleil, mythes, histoire et sociétés (Le Pommier, 2022), la jeune philosophe française Emma Carenini rappelle que «toutes les énergies primaires renouvelables sont d’abord issues du Soleil» et que «le cycle du vivant ne fait que convertir sans cesse l’énergie solaire en d’autres formes d’actions et de mouvements». Quand le Soleil réchauffe l’atmosphère, il crée un déséquilibre entre masses d’air et la différence de pression produit le vent qui fait tourner les éoliennes. L’énergie hydroélectrique n’est pas moins tributaire du Soleil puisque c’est par le cycle de l’eau que l’astre fournit la pluie qui fait s’écouler les rivières. Lorsqu’il chauffe le sol, il lui donne de l’énergie calorifique utilisée aujourd’hui dans les maisons. Même la biomasse provient de l’énergie solaire récupérée dans le processus de croissance des végétaux qui fermenteront ensuite dans les digesteurs. Quant aux panneaux photovoltaïques, ils sont en quelque sorte, grâce au silicium, le dernier succès en date de la conquête solaire.
600
millions de tonnes d’hydrogène sont converties par le Soleil chaque seconde, soit l’énergie consommée en une année par l’humanité.
L’ultime étape pourrait être celle de la fusion nucléaire qui consiste à recréer artificiellement le processus physique observé au sein d’une étoile. Le Soleil est, en effet, un immense réacteur nucléaire qui convertit la matière en énergie. Il fusionne 600 millions de tonnes d’hydrogène par seconde, soit l’énergie consommée en une année par l’humanité.
Voici un siècle, l’astrophysicien britannique Arthur Eddington, en se basant sur la relativité découverte par Albert Einstein, émit l’idée que la fusion serait «une source inépuisable d’énergie maîtrisée». Les recherches sont toujours en cours pour concrétiser sa prophétie. Leur aboutissement signerait probablement la mort définitive des fossiles. Mais le chemin est encore long, même si des progrès récents sont à noter. En décembre 2022, un laboratoire californien a réussi, pour la première fois, à générer par des réactions de fusion une énergie supérieure à celle nécessaire pour engendrer cette fusion, laquelle ne peut être provoquée qu’avec des températures extrêmes de l’ordre de millions de degrés.
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Dangereuse déconnexion
«La lumière du Soleil est pleine d’échos d’hier, mais aussi de demain», note Emma Carenini, soulignant ainsi la nécessité de saisir la chance que nous offre encore le Soleil. Frédéric Clette constate qu’il arrive aux mêmes conclusions que la philosophe dans ses observations de physicien: «Avec le Soleil, on retrouve la problématique de déconnexion de l’homme du XXIe siècle avec la nature, dit-il. La désunion s’est réalisée en l’espace d’un siècle, par le développement des énergies fossiles, la mesure du temps distincte de celle du Soleil, l’effacement du cycle des saisons grâce à la mondialisation des échanges et la mise à mal du rythme jour-nuit par la lumière artificielle. Cette déconnexion nous met en danger, car cela amène à faire des choix politiques, économiques qui peuvent être destructeurs de la nature, sans que nous puissions reconstituer ce que nous avons fait disparaître.»
Comment en est-on arrivé là? Emma Carenini aime rappeler ce que l’évolution de la mesure du temps a changé dans nos mentalités. «A mesure que les horloges mécaniques remplacèrent le cadran solaire dans l’histoire des peuples, l’écoulement du temps allait changer de visage, explique-t-elle. Le découpage moderne des heures, de midi à minuit, allait progressivement remplacer celui des heures diurnes et nocturnes. Ce changement technique alla de pair avec un changement psychologique. On commença à se dire que chaque heure passée sans travailler était une heure « perdue ». Le concept de productivité prit tout son sens avec les heures invariables de l’horloge mécanique.» Au XVIIIe siècle déjà, conscient de cet asservissement, Jean-Jacques Rousseau s’était réjoui d’avoir vendu sa montre. Aujourd’hui, il se féliciterait de balancer son smartphone.
«Le Soleil est source de toute vie, pourtant nous y pensons à peine.»
Le précieux jour du Soleil
Se «rebrancher» au Soleil ne relève pas que de la suggestion lyrique. C’est désormais une nécessité liée à nos besoins énergétiques et à notre mode de vie. «Le Soleil est source de toute vie, pourtant nous y pensons à peine», relève la philosophe française. Son fonctionnement et ses interactions avec la Terre ne sont pas enseignés à l’école, comme d’autres matières essentielles. On le voit comme une évidence au-dessus de nos têtes, sans chercher plus d’explication. Pourtant, avant l’époque contemporaine, depuis la Préhistoire, l’astre blanc a toujours fasciné les hommes. Il apparaît dans les peintures rupestres du Paléolithique. C’est surtout lorsqu’il devient sédentaire et commence à travailler la terre que l’homme prendra conscience de son importance, pour la poussée de ses cultures et pour le rythme des saisons, avec les équinoxes et les solstices qui inspireront l’édification de sites mégalithiques comme Stonehenge, dans le sud de l’Angleterre.
Il sera célébré comme un dieu chez les Sumériens, les Hindous, les Mayas (qui créent le calendrier solaire), les Incas, les Aztèques, les Egyptiens ou les Grecs dans l’Antiquité. Chez les Romains, le culte du Sol Invictus (Soleil invaincu) sera officialisé au IIIe siècle par l’empereur Constantin, qui fera du jour du Soleil le jour de repos hebdomadaire. La signification littérale du dimanche en anglais ou en allemand, sunday et sonntag, témoigne de cet épisode de l’histoire dont les conséquences nous sont toujours profitables. Le Soleil est aussi une marque de puissance. Pour ne citer que l’exemple le plus connu, Louis XIV l’avait choisi comme emblème de son règne, d’où son surnom de «Roi-Soleil». Depuis le Moyen Age, à côté de la fleur de lys, le Soleil est le symbole de la suprématie royale, mais Louis XIV a porté cette association à son apogée. Même ses gardes du corps exhibaient le Soleil sur leurs étendards et leurs boutons.
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Explosions d’énergie
Il faudra attendre Galilée au XVIIe siècle pour que les hommes s’intéressent enfin à la nature réelle de l’étoile, grâce à l’invention du télescope astronomique. C’est l’Italien le premier qui observa les taches solaires révélant que l’astre est en rotation sur lui-même. Ces fameuses taches font toujours l’objet de l’attention des astrophysiciens aujourd’hui, car elles sont la source d’éruptions solaires, à la fois grandioses et menaçantes, suscitées par une accumulation d’énergie qui finit par exploser. «Un peu comme un élastique qui plus on l’entortille, plus résiste grâce à l’énergie accumulée et finit par claquer brutalement, libérant tout en une fraction de seconde, compare Frédéric Clette. Pour donner une idée, une éruption moyenne du Soleil équivaut à 10.000 éruptions volcaniques parmi les plus intenses jamais enregistrées.» Elle peut déclencher de puissantes tempêtes géomagnétiques, dont une partie des particules parviennent à pénétrer le bouclier ou champ magnétique terrestre, dessinant alors dans la voûte céleste de certaines régions du globe les fameuses aurores boréales ou australes.
Hormis ces draperies lumineuses magiques, les éruptions solaires ont des effets néfastes. «Elles émettent des particules tueuses de satellites, poursuit l’astrophysicien. Des engins spatiaux ont déjà été mis complètement hors-service par ces assauts. Ce qui explique que les agences spatiales suivent l’activité solaire de très près et qu’elles évoquent peu les incidents, vu les enjeux financiers. Aujourd’hui, celles qui souhaitent à nouveau envoyer des astronautes sur la Lune tentent d’y détecter des grottes pour installer leurs stations à l’abri des roches, car la planète satellite de la Terre n’a, elle, plus de champ magnétique et est donc directement exposée aux particules solaires qui sont radioactives à des doses létales.» Sur Terre, les éruptions peuvent aussi avoir des conséquences sur tout ce qui conduit l’électricité à longue distance et est donc vulnérable aux courants induits, comme les lignes à haute tension ou les câbles sous-marins de télécommunication équipés de répéteurs électroniques.
«Une éruption solaire moyenne équivaut à 10.000 éruptions volcaniques parmi les plus intenses.»
A quand la superéruption?
En mars 1989, au Québec, une éruption solaire est survenue si brusquement que les systèmes de sécurité n’ont pu éviter que des transformateurs ne grillent. Résultat: en plein hiver, six millions de Québécois furent privés d’électricité pendant plus de neuf heures. «Les rayons X et ultraviolets provoqués par une éruption peuvent aussi perturber des communications par ondes radio telles que les liaisons avec les satellites en orbite, les réseaux de téléphonie sans fil ou la navigation GPS, indique le Dr. Clette. Pour les systèmes de localisation satellite, cela peut induire des erreurs d’une centaine de mètres dans la position mesurée, ce qui s’avère préjudiciable, par exemple, pour la navigation aérienne, surtout à l’atterrissage, d’autant qu’il peut y avoir simultanément des ruptures de communication vocale avec les pilotes.» Dans les satellites en orbite, l’électronique est protégée par un blindage. Mais cela n’empêche pas des incidents réguliers sur Terre, comme encore le 2 juillet dernier, lorsque les signaux radio haute fréquence de l’Amérique du Nord ont brièvement été déréglés par une forte tempête solaire.
Aujourd’hui plus qu’hier, on peut craindre l’arrivée d’une superéruption, comme celle dite «de Carrington» (du nom de l’astronome britannique, premier à faire le lien entre l’activité solaire et les perturbations géomagnétiques sur Terre), en 1859. Elle fut classée X80 selon des estimations actuelles, sachant que la lettre X désigne les éruptions les plus intenses et que le nombre indique sa force. Depuis le début de l’ère spatiale et des mesures satellites, on n’a pas dépassé X21. L’activité du Soleil suit un cycle de onze ans. Depuis quelques mois, le pic a été atteint; le dernier cycle ayant commencé en 2019 pour finir en 2030. «On sait qu’il existe un risque, ça nous pend au nez, surtout que l’événement de Carrington date, avertit Frédéric Clette. Le problème est que ce genre d’éruption majeure aura des répercussions bien plus graves qu’il y a 200 ans, car l’humanité contemporaine offre une vulnérabilité nouvelle avec l’omniprésent développement technologique dépendant de l’électricité.»
Sole mio
On le comprend, le Soleil nous réchauffe mais peut aussi nous faire frissonner… Il reste, malgré tout, notre meilleur allié vital. La météo spatiale est une discipline encore jeune, mais elle est devenue essentielle pour préserver notre monde hyperconnecté. Elle sera bientôt intégrée dans l’Organisation météorologique mondiale en tant que département spécifique. Surtout, les énergies alternatives, redevables au Soleil, sont une des portes de sortie principales de la crise climatique. Laquelle n’est pas due, soulignons-le, à l’activité de notre étoile. «Les variations du cycle solaire s’effectuent selon un maximum et un minimum constants depuis des millions d’années, éclaire encore le Dr. Clette. Même si le Soleil jouait un rôle minime dans le réchauffement global terrestre, il ne pourrait expliquer la montée anormale des températures observées depuis 70 ans. D’autant qu’au cours de cette période, l’intensité des cycles solaires a diminué par rapport aux précédents.»
Nous raccrocher au Soleil, finalement, c’est aussi se souvenir qu’«il a fait pousser la pensée», selon les termes d’Emma Carenini. Ce n’est pas un hasard si la philosophie occidentale est née en Méditerranée. Notre étoile a façonné nos représentations, nos mœurs, notre histoire, notre vision du monde. Sa chaleur, quand elle n’est pas torride, et sa lumière, sans laquelle nous ne verrions rien, sont des conditions essentielles du bonheur. Le Soleil est le bien le plus démocratique qui soit, gratuit, accessible à tous. Il est «l’or des pauvres», a écrit la poétesse Natalie Barney au siècle dernier. La modernité technologique, urbaine et marchande nous en a éloignés. A nos dépens. En prendre conscience est sans doute le début de la sagesse, diraient les Anciens.
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