
Analyse des données sismiques: le noyau terrestre change de forme
En seulement 20 ans, le noyau terrestre s’est déformé, rapportent des chercheurs. Leurs analyses révèlent à quel point nous connaissons encore peu les mystères de l’intérieur de la planète.
Les pingouins, les oiseaux marins et les phoques peuplent les îles Sandwich du Sud, dans l’Atlantique Sud battu par les tempêtes. Mais aucun être humain n’y vit. Les tremblements de terre qui secouent régulièrement ces îles volcaniques isolées situées à la lisière de l’Antarctique –où plusieurs plaques tectoniques entrent en collision– ne causent dès lors généralement pas de grands dommages.
Ces secousses ont toutefois permis aux scientifiques de faire une découverte remarquable. Les ondes sismiques générées par ces séismes peuvent être détectées sous une forme atténuée à l’autre bout du globe. Comme une partie de ces ondes traverse les profondeurs du noyau terrestre, elles livrent des indices précieux sur son état actuel.
Les dernières analyses révèlent donc que le noyau terrestre s’est déformé. Des études antérieures avaient déjà montré que le noyau tourne à une vitesse fluctuante. Les processus à l’œuvre dans le noyau terrestre ont une influence directe sur la planète. C’est dans la région du noyau externe, située profondément sous le sol, que se forme le champ magnétique terrestre. Celui-ci protège la Terre contre les particules hautement énergétiques venues de l’espace. Sans ce bouclier naturel, l’atmosphère terrestre serait progressivement érodée par le vent solaire et finirait par disparaître. De plus, les rayonnements cosmiques pourraient altérer massivement l’ADN des êtres vivants et favoriser l’apparition de cancers.
Les processus à l’intérieur du noyau terrestre semblent également être responsables de légères variations de la durée d’un jour sur une période d’environ six ans –heureusement seulement de l’ordre du dix-millième de seconde. Pour cette raison, les horloges atomiques doivent régulièrement être ajustées avec une seconde intercalaire afin de correspondre au temps réel d’un jour solaire moyen, qui dépasse légèrement les 24 heures.
Le trou le plus profond jamais foré par l’homme représente moins de 0,2% de la distance qui mène au centre de la Terre.
Un noyau encore largement méconnu
Malgré ces découvertes, de nombreux phénomènes à l’intérieur du noyau terrestre restent encore incompris. La surface de certaines planètes sont mieux connues que l’intérieur de la Terre. Jusqu’à présent, les scientifiques ont à peine réussi à percer la croûte terrestre pour atteindre le manteau terrestre, la couche située sous la fine croûte sur laquelle nous vivons. Le trou le plus profond jamais foré par l’homme représente moins de 0,2% de la distance qui mène au centre de la Terre. «Nos possibilités sont très limitées», souligne Christoph Sens-Schönfelder, du GFZ, le centre de recherches allemand en géosciences, à Potsdam.
Depuis environ 90 ans, il est établi que le noyau terrestre, situé sous le manteau, est composé de deux parties distinctes. D’abord, le noyau interne, une sphère de fer et de nickel en rotation. Son diamètre est d’environ 2.440 kilomètres, soit une distance plus grande que celle entre Berlin et Lisbonne. Avec une température avoisinant 6.000 degrés Celsius, ce gigantesque noyau est aussi chaud que la surface du Soleil. Pourtant, il n’est pas liquide, mais solide, en raison de la pression colossale qui règne à l’intérieur de la Terre –plus de trois millions de fois supérieure à la pression atmosphérique à la surface.
Et puis, il y a le noyau externe. Contrairement à l’interne, cette couche est liquide. Son épaisseur est d’environ 2.200 kilomètres. Le noyau interne solide flotte ainsi au centre du noyau externe liquide sous l’effet de la gravité et des forces de pression et de densité qui en résultent.
Une équipe dirigée par John Vidale de l’université de Californie du Sud à Los Angeles rapporte dans la revue spécialisée Nature Geoscience des changements à court terme qui affectent probablement les limites du noyau interne de la Terre. «Il est très probable que le noyau externe tire sur le noyau interne et le fasse bouger un peu», a décrit le chercheur au New York Times.
A la recherche de «doublons sismiques»
John Vidale et son équipe ont analysé les données sismiques enregistrées à Yellowknife, dans le nord du Canada, ainsi que près de Fairbanks, en Alaska (Etats-Unis). Pendant plus de deux décennies, les sismomètres situés à ces endroits ont capté les ondes sismiques issues des séismes sur les îles Sandwich du Sud. L’équipe s’est particulièrement intéressée à plus de 160 «doublons sismiques» –des séismes qui se produisent au même endroit, avec une intensité identique, mais à des moments différents.
Si le noyau interne en rotation se trouve exactement dans la même position au moment de ces secousses, les ondes générées devraient être similaires. Or, les signaux enregistrés par le sismomètre canadien ont changé au fil des années, tandis que ceux captés en Alaska sont restés stables.
Cela signifie que les ondes sismiques ont emprunté des chemins différents à travers l’intérieur de la Terre. Les ondes mesurées au nord du Canada sont passées plus près de la frontière entre le noyau interne et le noyau externe. Les changements observés dans les données suggèrent donc que le noyau terrestre s’est déformé précisément dans cette région.
«Nous estimons que ce mouvement pourrait être de l’ordre de plusieurs centaines de mètres, peut-être un ou deux kilomètres, précise John Vidale. Et nous ne savons pas quelle est son étendue exacte. Elle pourrait couvrir plusieurs centaines de kilomètres.»
«Une déformation du noyau interne terrestre est certainement une explication plausible des observations», déclare le sismologue de Potsdam, Christoph Sens-Schönfelder, qui n’a pas participé à cette étude. Selon lui, ces résultats constituent «une pièce supplémentaire du puzzle dans la compréhension des processus à l’intérieur de la Terre». Le fait que les experts aient détecté ce changement dans le noyau terrestre à un seul endroit pour l’instant ne lui pose pas problème: «Ce n’est peut-être pas ce que l’on souhaiterait, mais c’est ce qui est possible pour le moment.»
Le sismologue Xiaodong Song de l’université de Pékin, qui ne fait pas partie de l’équipe de John Vidale, explique dans la revue scientifique Nature: «Après des décennies de recherches et de débats, une image de plus en plus nette d’un noyau interne en transformation commence à se dessiner.»
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