Le Nobel a-t-il encore un sens?
La remise cette semaine des prix Nobel 2020 pose une question récurrente: la distinction la plus prestigieuse pour les découvertes en médecine, physique et chimie, décernée depuis 1901, est-elle aujourd’hui déconnectée de la façon dont se mène la recherche?
Il y a un siècle, les découvertes majeures venaient du cerveau ou du laboratoire d’un seul individu. De nos jours, les avancées impliquent généralement la collaboration de dizaines, voire centaines de chercheurs, travaillant dans des champs distincts mais étroitement liés.
Deux équipes, pour un total de 1.500 scientifiques, sont derrière la première détection cette année d’un trou noir de masse intermédiaire. Et les découvertes dépendent toujours plus de techniques, particulièrement en physique, pour détecter des phénomènes théorisés il y a bien longtemps.
« Le refus du comité Nobel d’accorder une distinction à plus de trois personnes à la fois a conduit à des injustices flagrantes », dit à l’AFP Martin Rees, l’astronome britannique et ancien président de la Royal Society.
De fait, l’histoire récente ne compte plus les « perdants méritants ». Comme Tom Kibble, selon Mr. Rees, pour ses travaux ayant contribué à la découverte du boson de Higgs.
Un rôle éminent
Dans la même veine, on pense à l’épidémiologiste américain Robert Gallo pour son concours à la découverte du VIH, Rosalind Franklin pour son travail pionnier sur l’ADN.
Et que dire du physicien italien Adalberto Giazotto, décédé en 2017 un mois après l’attribution du prix pour la détection des ondes gravitationnelles, dans laquelle il a joué un rôle éminent?
Même les plus ardents défenseurs du Nobel admettent que la science a changé radicalement depuis l’époque d’Albert Einstein ou Pierre et Marie Curie.
« Il y a un changement énorme par rapport au début des années 1900 », souligne auprès de l’AFP Erling Norrby, épidémiologiste suédois et pilier du prix.
« C’est vrai que la science moderne implique de très grands groupes de personnes interagissant », ajoute le scientifique, qui a régulièrement contribué à l’octroi du Nobel de médecine et participé au vote pour les prix de chimie et physique.
« La question est de savoir si on peut identifier un ou deux leaders. Je pense qu’on peut déterminer qui a pris l’initiative », sur une découverte, ajoute-t-il.
Les choix de l’Institut Karolinska, pour la médecine, et de l’Académie royale suédoise des sciences, pour la physique et la chimie, ont évolué avec le temps.
De 1920 à 1930, 23 des 30 prix Nobel ont été décernés à un seul individu.
Ce n’est arrivé que quatre fois dans les 20 premières années de notre siècle. Contre 41 distinctions pour trois personnes.
La règle de trois récipiendaires possibles est arrivée en 1934 pour la médecine, et son octroi pour la chimie et la physique en 1946 et 1956 respectivement.
Mais elle n’a plus évolué depuis. Erling Norrby concède que le CERN européen, le plus grand laboratoire de physique des particules au monde –où le boson de Higgs a été détecté– aurait partagé le prix si la règle avait changé.
« Plus juste »
Des récompenses scientifiques plus récentes prennent en compte la question. Mr. Norrby évoque ainsi l’approche « plus juste » des prix Breakthrough et Grubber, remis avant le Nobel de 2017 aux découvreurs des ondes gravitationnelles, « mais en reconnaissant explicitement toute l’équipe ». Une approche qui « donne aussi une meilleure impression de la façon dont ce projet a accompli un tel succès ».
Stavros Katsanevas, directeur de l’Observatoire Gravitationnel Européen, qui a joué un rôle clé dans cette découverte et le Nobel de physique 2017 qui l’a récompensé, est partagé sur le sujet.
« Il est difficile d’identifier des contributeurs décisifs dans un réseau aussi étendu, c’est vrai », admet-il.
Mais pour le chercheur, la science du 21è siècle ne résulte pas seulement d’une prouesse intellectuelle. C’est aussi mettre sa vision, son courage et ses qualités d’organisation au service d’une nouvelle quête, ou d’une nouvelle discipline.
« Quand on essaie de faire quelque chose de nouveau, on est considéré comme un déserteur par un camp, et comme un intrus par l’autre », dit-il, en remarquant que sa propre carrière a chevauché la physique des particules et l’astrophysique.
« Le fait que quelqu’un ait osé faire un pas, que d’autres aient rechigné à faire, doit être reconnu », selon lui.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici