Le mystère du vieillissement: les rides sont contagieuses

Dirk Draulans Dirk Draulans est journaliste pour Knack.

Les rides ne sont pas seulement un signe de vieillissement, elles accélèrent également le processus de vieillissement. Les cellules cutanées mourantes peuvent être toxiques pour les autres cellules, y compris celles du cerveau.

La peau est le plus grand organe de notre corps. Elle nous protège contre les influences extérieures nocives. Il peut s’agir de facteurs naturels, comme la lumière du soleil et les bactéries, mais aussi de facteurs non naturels, tels que les pesticides et la pollution atmosphérique. De ce fait, la peau elle-même subit de nombreux dommages et vieillit plus vite que le reste de notre corps.

Le processus de vieillissement de notre peau commence dès la vingtaine. Au fur et à mesure qu’elle perd sa capacité à s’auto-renouveler, de plus en plus de vieilles cellules s’y accumulent. Le résultat visible est que la peau commence à se rider. Les rides sont un signe fort de vieillissement. Aussi n’est-il pas surprenant que beaucoup de gens fassent tout ce qu’ils peuvent pour retarder ou dissimuler ces rides le plus longtemps possible. Beaucoup d’entre nous ne veulent pas avoir l’air âgés.

Cependant, un article paru dans New Scientist suggère que la lutte contre les rides ne se résume pas à une pure vanité physique. Les rides ne seraient pas seulement un signal du vieillissement, elles pourraient aussi stimuler activement le processus de vieillissement. L’idée de base est que les cellules mortes et mourantes de la peau ridée libèrent un cocktail de substances chimiques qui exerce un effet désastreux sur les cellules saines qui l’entourent. Ces substances peuvent même pénétrer dans la circulation sanguine et atteindre d’autres organes, où elles déclenchent un effet de vieillissement similaire. Les rides contribueraient donc activement à notre détérioration biologique, ce qui rend la lutte contre leur présence encore plus pertinente.

Moins de cellules adipeuses

La peau ne sert pas seulement de tampon contre les influences environnementales, elle produit également des substances utiles telles que la vitamine D. Elle joue un rôle dans notre système de défense, régule la température du corps et l’équilibre hydrique, sert de support aux cheveux et répare les blessures. Elle se compose essentiellement de deux couches : une couche externe (l’épiderme) constituée principalement de cellules mortes dures qui forment une fine armure biologique, et une couche interne (le derme) constituée de tissu conjonctif qui confère à la peau à la fois force et souplesse. Le derme est parsemé de vaisseaux sanguins et de nerfs qui assurent les connexions avec le reste du corps.

Avec l’âge, tous les processus importants de la peau s’essoufflent. Le remplacement des cellules de l’épiderme ralentit, ce qui l’amincit et le rend de moins en moins protecteur. Au cours d’une vie, l’épaisseur de l’épiderme diminue de moitié. Chez les personnes âgées, les vaisseaux sanguins de la peau sont plus nombreux, car la couche inférieure de la peau devient plus visible. La colle biologique qui maintient les cellules de la peau ensemble devient moins puissante. La quantité de cellules graisseuses dans la peau diminue. L’amincissement de la couche inférieure de la peau intensifie le processus de formation des rides. Les sillons se creusent, les plis de la peau s’affaissent davantage. C’est surtout le visage, presque constamment exposé aux facteurs extérieurs, qui se couvre de rides.

Ailleurs dans le corps, les rides remplissent parfois des fonctions utiles

La biologie de la formation de la ride apparaît quand l’on observe ce qui se passe après un long moment dans une baignoire ou une piscine. Les doigts et les orteils se mettent à se rider sensiblement, ce qui est dû au fait que les cellules mortes de la couche externe de la peau aspirent l’eau. La peau gonfle, mais comme elle est attachée à la couche inférieure, des rides apparaissent pour tenir compte de l’augmentation de la surface. Ce phénomène se produit surtout sur les doigts et les orteils, qui contiennent un nombre proportionnellement élevé de cellules mortes, ce qui s’explique par le fait que ces cellules subissent plus de pression que les autres.

Ailleurs dans le corps, les rides remplissent parfois des fonctions utiles. Une analyse parue dans Nature conclut que la ride profonde de notre cortex cérébral est utile au bon fonctionnement du cerveau : grâce à sa structure tortueuse, elle favorise les contacts entre des zones cérébrales éloignées. Il n’est pas exclu que le cortex cérébral soit aussi important pour le fonctionnement de notre cerveau que le vaste réseau de connexions entre les cellules cérébrales.

55 divisions

Le vieillissement cellulaire est une conséquence inévitable du fait que la capacité de survie des cellules est limitée. On estime généralement que nos cellules ne peuvent se diviser que 55 fois avant que les choses ne tournent mal. Cette limite est imposée par la durabilité des télomères : des capuchons protecteurs situés à l’extrémité des chromosomes et qui doivent être copiés à chaque division. Ces capuchons s’usent un peu à chaque division. Lorsqu’ils sont usés au point de ne plus assurer une protection suffisante, les cellules s’éteignent en quelque sorte par suicide. Des remplaçants, fournis par les cellules souches, sont constamment prêts à éviter les problèmes et à combler les lacunes.

Les vieilles cellules ne peuvent plus se diviser, et heureusement, car sinon elles accumuleraient encore plus d’erreurs, mais elles restent actives pendant un certain temps, un peu comme des zombies. Cette activité pourrait d’ailleurs être utile : les cellules zombies pourraient constituer une forme de protection contre le cancer, en empêchant les cellules endommagées de se transformer en cellules cancéreuses. Elles attirent les cellules immunitaires qui nettoient les tissus endommagés. Ainsi, elles font un tout dernier effort utile avant de s’éteindre définitivement.

Mais avec le temps, l’équilibre entre les nouvelles et les anciennes cellules se déséquilibre complètement. Les cellules zombies s’accumulent dans la peau et libèrent un cocktail toxique de substances aux effets pro-inflammatoires. Ces substances endommagent les autres cellules et tissus. Le processus d’endommagement peut être déclenché par des cellules n’importe où dans le corps, mais il est encore plus intense dans la peau parce qu’elle a dû endurer davantage. Les rayons du soleil, les polluants et même l’utilisation inconsidérée de produits cosmétiques exercent une telle pression sur la peau que les substances qui libèrent ses cellules mortes sont particulièrement nocives. Les pesticides et les poussières fines peuvent accélérer notre vieillissement.

Un cocktail toxique

Ce cocktail de substances toxiques est appelé SASP, pour senescence-associated secretory phenotype (phénotype sécrétoire associé à la sénescence) : l’ensemble des substances libérés par les cellules zombies vieillissantes. Il s’agit notamment de protéines pro-inflammatoires, des substances qui interfèrent avec les défenses naturelles et d’enzymes qui dégradent les protéines. Elles peuvent introduire des erreurs dans l’ADN et interférer avec le fonctionnement des usines énergétiques d’une cellule. Elles favorisent surtout des réactions inflammatoires rampantes qui ont un effet épuisant sur l’organisme. Il y a de solides indications que les substances malignes des cellules zombies de la peau atteignent d’autres organes par le biais de la circulation sanguine, qui se mettent alors à se dégrader plus rapidement que la normale. Même le cerveau ne serait pas à l’abri de cet effet.

Le cocktail toxique des cellules cutanées mourantes aurait un effet stimulant sur de nombreuses affections du cœur, du foie, des muscles, des articulations et du cerveau liées à l’âge: problèmes cardiovasculaires, démence, ostéoporose, diabète et cirrhose du foie. L’effet est continuellement amplifié, car les cellules saines affectées par la toxicité des cellules zombies entrent elles-mêmes dans une phase zombie accélérée, ce qui les rend toxiques à leur tour. Les processus de décomposition des structures ou des organes individuels peuvent même avoir un effet de renforcement mutuel. Une fois le processus enclenché, il n’y a pas de retour en arrière possible et la détérioration s’accélère. Le vieillissement d’un corps est contagieux.

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Grandes différences

Il existe de grandes différences de vieillissement entre les personnes. C’est dû en partie à la composition du cocktail chimique libéré par leurs cellules zombies et à la vitesse à laquelle leur vieillissement se manifeste. Cette composition dépend à son tour des substances et des produits auxquels une personne a été exposée et avec quelle intensité, à beaucoup ou peu de pesticides, par exemple. Un article récent paru dans The British Journal of Dermatology montre que les personnes qui paraissent physiquement plus jeunes que leur âge officiel,  moins ridées, sont également moins susceptibles de souffrir de problèmes oculaires et auditifs, d’ostéoporose et de maladies pulmonaires. Même leur fonctionnement mental serait meilleur.

La composition de la communauté bactérienne de la peau est un facteur qui pourrait expliquer certaines des différences individuelles. Un article très récent paru dans Experimental Dermatology suggère que certaines bactéries présentes sur notre peau pourraient avoir un effet sur la présence de collagène dans la deuxième couche de la peau : une protéine clé du tissu conjonctif qui maintient les cellules ensemble et donne de la force aux tissus. Une peau lisse est le résultat d’une quantité optimale de collagène de soutien. En hypothéquant la présence de cette protéine, les bactéries pourraient stimuler le vieillissement de la peau. Mais jusqu’à présent, on ne sait pas si les bactéries influencent la production de collagène ou si une réduction du collagène due à d’autres causes modifie la composition bactérienne. En d’autres termes, c’est l’histoire de l’œuf ou la poule.

Le collagène, selon une étude parue dans la revue Dermatology Practical & Conceptual, est en effet l’un des agents étudiés pour arrêter ou au moins ralentir le processus de vieillissement. Il est principalement extrait de restes de poissons et administré par voie orale pour tenter de lutter contre la formation des rides. Son action est similaire à celle du botox : combler les rides. Mais le collagène, comme sans doute le botox, ne doit être considéré que comme un cosmétique: il n’a aucun effet sur l’activité des cellules zombies de la peau.

Pour obtenir un effet réel, deux types de médicaments anti-âge sont à l’étude, qui comportent chacun deux substances principales. Les premiers sont des sénolytiques qui visent à détruire les cellules vieillissantes. Les seconds sont des sénomodulateurs qui n’affectent pas les cellules elles-mêmes, mais les empêchent de décharger un cocktail toxique. Selon New Scientist, une vingtaine d’essais cliniques de sénolytiques sur l’homme seraient en cours dans le monde. Les principaux sont le dasatinib, déjà utilisé pour traiter une forme spécifique de leucémie, et la quercétine, un produit naturel issu du chêne, disponible sous forme de complément alimentaire (mais qui devient lui-même toxique à trop fortes doses). Les premiers résultats des tests sont « encourageants », mais il n’est pas certain du tout que ces substances aient un effet notable sur le processus de vieillissement.

Vanité

Les deux principaux sénomodulateurs sur lesquels travaillent les scientifiques sont la rapamycine et la metformine. Cette dernière fait l’objet du « premier véritable grand test clinique visant à déterminer si une substance peut être en mesure d’influencer de manière significative le processus de vieillissement chez l’homme ». Il est d’ores et déjà clair qu’ils devront être administrés en continu pour contrecarrer le déchargement des toxines par une masse de cellules zombies, ce qui augmente la probabilité d’effets secondaires. Mais même dans ce cas, on ne sait pas encore s’ils seront capables de contrer le vieillissement en général. Le vieillissement étant un processus complexe, il n’existe peut-être pas non plus de moyen simple de l’influencer.

En attendant des remèdes médicaux plus efficaces, les conseils les plus importants pour lutter contre le vieillissement restent les suivants: ne pas fumer, manger moins (et surtout manger plus sainement), éviter la pollution, faire de l’exercice régulièrement et – très important pour la peau – appliquer une crème solaire de bonne qualité lorsque l’on sort. Tout ce qui peut réduire la pression exercée sur notre peau peut contribuer à augmenter les chances de vieillir en bonne santé. Mais il est peut-être bon de savoir que la lutte contre les rides n’est plus seulement une question de vanité. Il semble qu’il s’agisse également d’une question de santé, d’un moyen de vieillir dans la dignité.

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