La révolution de la voiture autonome
Les voitures sans conducteur pourraient révolutionner nos modes de transport, notre Code de la route, nos contrats d’assurance et même notre fourniture d’électricité. Explications.
Une imposante voiture beige s’arrête sans bruit à proximité de la gare des Guillemins, à Liège. Ce SUV est une des voitures électriques les plus emblématiques du moment : la Tesla Model X. Une voiture entièrement électrique d’une autonomie de 417 km à 565 km selon les versions. Dans l’habitacle : Christian Richelle, un entrepreneur liégeois, et Maryse Brandt, son épouse. Nous montons à bord. La voiture s’engouffre lentement dans le trafic de cette fin d’après-midi. Ce bolide à 130 000 euros est rempli de gadgets. Une grande tablette remplace le tableau de bord et permet de contrôler tous les paramètres : de la radio à l’air climatisé en passant par les suspensions ou l’ouverture des portes.
Atout majeur de cet engin : l’autopilot, le pilotage automatique. Christian l’utilise tout le temps. Il suffit d’actionner un des leviers qui se trouve près du volant pour l’enclencher. En plein embouteillage, c’est très pratique. » Il lit les lignes « , explique le conducteur. Des lignes bleues apparaissent de part et d’autre de la voiture représentée sur un petit écran en face du volant. » Quand il n’y a plus de lignes, la voiture suit celle qui la précède « , poursuit Christian Richelle. Lorsque le trafic s’arrête, le véhicule ralentit à son tour. Lorsqu’il reprend, la Tesla redémarre toute seule.
Qui est responsable ?
A l’approche d’un carrefour, le véhicule s’engage sur la bande qui permet de tourner à gauche et s’arrête à la hauteur du feu rouge. Un semi-remorque est devant nous. Le pilotage automatique est activé. » Le camion est devenu bleu, je ne sais pas si la voiture va le suivre en tournant. On va voir « , lance Christian. Soudain, un petit » bip » signale que l’ordinateur de bord a lâché les commandes. Attentif, le conducteur ne s’est pas laissé surprendre. Il a repris instantanément le volant. » Elle a voulu aller tout droit « , ponctue-t-il. Alors que le camion tournait à gauche, l’oeil de la caméra s’est arrêté sur le véhicule stationné juste en face et qui s’apprêtait à tourner à droite, dans la direction opposée. Il ne faut donc pas se fier aveuglément à cet autopilot.
En cas de collision, l’assurance en responsabilité civile couvrirait les dégâts occasionnés aux autres véhicules et aux autres biens. Que la voiture soit autonome ou pas, elle dédommagera aussi les victimes. En Belgique, cette assurance est obligatoire. Comme dans le cas de l’assurance en responsabilité civile, les assureurs pourraient intenter un recours contre le conducteur s’ils parvenaient à prouver qu’il a utilisé le pilotage automatique dans de mauvaises conditions. En cas de vitesse trop élevée par exemple. Les assureurs vont donc devoir intégrer de nouvelles clauses dans leurs contrats pour accompagner l’arrivée des voitures autonomes. Ils pourraient aussi intenter un recours envers le constructeur s’ils parvenaient à prouver qu’il y a eu une défaillance du système. Les autos pourraient être munies d’une boîte noire, comme dans les avions. Notons enfin que bon nombre d’experts considèrent que la voiture autonome devrait s’avérer plus sûre qu’une voiture classique. Les assureurs devraient donc encourager l’achat de ce type de véhicule en revoyant leurs primes à la baisse.
Bon nombre d’experts considèrent que la voiture autonome devrait s’avérer plus sûre qu’une voiture classique
Un nouveau Code de la route
En ville, l’arrivée de la voiture autonome va booster l’autopartage. » Vous serez capable d’ajouter votre voiture dans la flotte partagée en cliquant simplement sur un bouton de l’application. Elle générera ainsi des revenus pendant que vous êtes au travail ou en vacances « , écrit Elon Musk, le patron de Tesla, dans la deuxième partie de son master plan. Dans les grandes villes, posséder une automobile s’avérera de plus en plus superflu. Au-delà des assurances, le Code de la route devra aussi s’adapter. Car, aujourd’hui, toute voiture doit encore avoir son conducteur.
Sur l’autoroute, la Tesla de Christian Richelle » bipe » de temps en temps. Pas d’inquiétude, elle lui demande simplement de toucher légèrement le volant. Histoire de s’assurer qu’il n’est pas endormi. Si le marquage au sol n’est plus lisible ou qu’une forte pluie diminue la visibilité de la caméra, la Tesla impose à son pilote de reprendre les commandes. Pour doubler le véhicule qui nous précède, Christian n’a qu’à actionner le clignotant. Le voiture s’engage dès lors sur la bande de gauche quand la voie est dégagée. Pour certaines manoeuvres, le conducteur est toutefois obligé de reprendre les commandes.
Grâce à leurs caméras et capteurs, les voitures à autopilotage sont équipées pour réduire le plus possible les risques d’accident. Mais qu’en sera-t-il lorsque celui-ci sera inévitable ? Et surtout lorsque des vies seront en jeu ? L’auto choisira- t-elle de renverser ce groupe de piétons qui traverse la route et ainsi sauver son équipage ? Ou préférera-t-elle épargner ces usagers faibles, dévier de sa trajectoire et entrer en collision avec une autre voiture stationnée au bord de la chaussée ? Quitte à mettre ses passagers en danger ?
Aux Etats-Unis, » il y a un fort consensus qui conclut que la voiture devrait sauver le plus grand nombre. Même si cela implique de sacrifier ses passagers « , relève Jean-François Bonnefon, docteur en psychologie cognitive et directeur de recherche au CNRS, qui a interrogé la population américaine sur ce dilemme avec les chercheurs Azim Shariff et Iyad Rahwan. Or, le trio a également demandé aux personnes sondées quelle voiture autonome elles aimeraient acquérir. Elles ont naturellement répondu qu’elles souhaitaient une voiture qui les protège en tant que passager…
Des choix cornéliens
Les consommateurs achèteront-ils ce type de véhicule s’ils savent qu’il pourrait potentiellement se retourner contre eux afin de sauver d’autres vies ? Selon leur étude parue en 2016 dans la revue Science, beaucoup d’entre eux n’en achèteraient pas. » Ce qui n’est pas rationnel, embraie Jean-François Bonnefon. Cela signifie renoncer à une voiture qui est censée être beaucoup plus sûre, à cause d’une chance sur cent milliards qu’elle puisse vous tuer un jour. » Cela poserait aussi beaucoup de problèmes juridiques. » Si la voiture est en train de foncer sur dix personnes, que la solution pour les éviter est de monter sur le trottoir et d’en faucher deux autres : en l’état, c’est interdit « , poursuit-il.
Un peu plus loin, le volant de la voiture suit les courbes d’une route de campagne sinueuse. Maryse critique l’état de la chaussée. Des infrastructures qu’il faudra mieux entretenir pour accueillir les véhicules autonomes. Notamment au niveau de la signalisation et des marquages. Et ces routes vont devenir plus importantes qu’avant. Elles pourraient se transformer en artères énergétiques.
Le SUV s’engage dans un chemin privé troué de nids-de-poule menant aux maisons de ce hameau situé à quelques kilomètres de Verviers. La voiture s’arrête dans l’allée d’une villa quatre façades. Christian branche directement sa voiture au câble qui sort de son garage. Un fil simplement connecté à une prise de 220 volts. La Tesla gagnera ainsi une dizaine de kilomètres supplémentaires par heure. Christian Richelle puise directement ses électrons à partir du réseau. Les hauts arbres qui entourent sa maison ne permettent pas d’installer des panneaux solaires pour recharger la voiture. Mais, à l’avenir, il pourrait programmer l’autopilot pour qu’elle aille d’elle-même se brancher aux panneaux photovoltaïques d’un voisin, au pied d’une éolienne ou de la centrale la plus proche.
La voiture pourrait même se substituer au réseau en transportant l’électricité jusqu’à des batteries installées dans les maisons. C’est du moins ce que prédit Damien Ernst, professeur à l’ULg. Une technologie qui serait particulièrement intéressante dans les villages les plus isolés, où le prix de distribution de l’électricité est plus élevé que dans les grands centres urbains. Selon le chercheur, l’énergie puisée au pied d’une éolienne coûte environ 6 cents par kilowattheure. Contre environ 28 cents pour l’électricité qui sort d’une prise domestique dans la région de Verviers. En allant directement à la source, le consommateur court-circuiterait ainsi les taxes et les frais de distribution.
L’amortissement des coûts
Aujourd’hui réservée à des voitures premium, les batteries de 100 kilowattheures vont peu à peu se démocratiser. En moyenne, une telle voiture consomme une vingtaine de kilowattheures par cent kilomètres. Un véhicule autonome pourrait ainsi se recharger à une éolienne située à une cinquantaine de kilomètres et revenir avec une batterie remplie à 80 %. Dans un tel schéma, l’énergie livrée à l’habitation ne coûterait que 7,5 cents par kilowattheure. Le coût lié au transport de l’énergie ne serait donc plus que de 1,5 cent par kilowattheure. » Or, c’est un dixième de ce que l’on paie pour le réseau de distribution à Verviers « , souligne Damien Ernst. Il faut cependant prendre en compte le coût des batteries domestiques dans lesquelles l’électricité sera stockée.
En ville, se passer du réseau électrique semble moins intéressant. Couvrant une surface restreinte, le coût de cette toile est amorti par un nombre important d’utilisateurs. Les voitures partagées inutilisées pendant la nuit pourraient cependant suivre la même route et se recharger au pied des centrales. Beaucoup d’autres secteurs devraient être bouleversés par l’arrivée de la voiture autonome.
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