La relativité d’Einstein, « supercherie scénaristique » préférée des réalisateurs
Véritable big bang scientifique dans le monde de la science, la théorie de la relativité restreinte d’Einstein est pourtant souvent utilisée au cinéma comme une simple « supercherie » pour « mettre sous le tapis » des failles du scénario, ont expliqué à l’AFP deux chercheurs lors d’un festival en France.
La théorie d’Einstein au cinéma ? « Il n’y a pas de bons et de mauvais élèves. Il n’y en a que de mauvais ou de très mauvais ! », plaisante l’astrophysicien français Roland Lehoucq, venu au Festival d’astronomie de Fleurance (sud-ouest de la France) donner une conférence sur les rares réalisateurs qui s’en tirent bien.
« Dans l’imaginaire commun, on sait que la relativité parle plus ou moins de l’espace-temps et qu’on n’y comprend rien », décrypte le deuxième intervenant, Quentin Lazzarotto, responsable du département audiovisuel à l’Institut de recherches mathématiques Henri Poincaré, situé à Paris.
« Donc c’est très pratique pour un réalisateur de dire +c’est la relativité+ dès qu’il y a un problème », explique-t-il.
Dans le célèbre « Retour vers le Futur » (1985), le réalisateur américain Robert Zemeckis utilise ainsi cette « excuse » pour expliquer le voyage vers le passé, avec la mythique voiture DeLorean lancée à grande vitesse. Mais la relativité restreinte ne permet pas de faire ça.
Publiée par Einstein en 1905, cette théorie a révolutionné la physique en expliquant notamment que les durées ne sont pas les mêmes selon l’état de mouvement du référentiel.
Un voyage en train, par exemple, aura une durée plus courte pour les passagers qui se meuvent à grande vitesse, que pour ceux qui les attendent, fixes, à l’arrivée.
Au quotidien, l’effet est cependant « complètement négligeable », explique Roland Lehoucq, car il faut atteindre un tiers de la vitesse de la lumière pour que cela soit sensible aux sens humains. C’est pourquoi la relativité est surtout présente dans les films spatiaux.
Mais elle est souvent employée « à mauvais escient pour faire passer d’énormes supercheries scénaristiques », déplore son confrère Quentin Lazzarotto.
Le chercheur « ne compte plus » les films « absolument pas corrects physiquement » où on parle de « ralentir le temps » avec la relativité. Ou ceux dans lequel un personnage, censé mettre 400 ans terrestres pour atteindre une planète lointaine, y arrive jeune et fringant grâce à cette excuse.
« La fiction ne doit pas forcément être vulgarisatrice », concède toutefois M. Lazzarotto, « on a le droit de simplifier pour aller à l’essentiel et faire passer l’émotion ».
– La physique, contrainte créative –
Car parler de relativité est plus compliqué au cinéma qu’en littérature, avoue-t-il, cela nécessite un temps d’étude qui refroidit souvent les producteurs.
En outre, les films « s’adressent à nos sens », qui sont « justement abusés par la relativité », alors que le livre fait appel à l’imagination. Mais « rester juste, c’est quand même nécessaire ».
« Interstellar » par exemple, est « impeccable » là-dessus: le film exploite bien le fameux paradoxe des jumeaux, lorsque le « père qui voyage dans l’espace devient plus +jeune+ que sa fille restée sur Terre », juge Roland Lehoucq.
Le film du réalisateur britanno-américain Christopher Nolan est « positif » car il a « ramené la relativité sur le devant de la scène et en parle bien », même si les deux chercheurs sont d’accord pour lui attribuer de nombreuses autres erreurs scientifiques qui « décrédibilisent l’ensemble ».
Au titre des élèves « pas trop mauvais », Quentin Lazzarotto cite « 2001: L’odyssée de l’espace », où Stanley Kubrick exploite le potentiel philosophique de la relativité.
« La planète des singes » (Franklin J. Schaffner, 1968) figure aussi en bonne position, avec son twist final, « bien utilisé », qui repose entièrement sur la relativité restreinte.
« Certains réalisateurs ont peur du détail scientifique parce qu’ils craignent de perdre le spectateur », expose M. Lazzarotto, qui voit au contraire dans la physique « une source de créativité inépuisable pour des histoires très fortes », comme c’est le cas en littérature avec le genre de la « hard science-fiction ».
« Il y a des artistes pour qui la contrainte, comme celle de respecter la physique réelle, est créative », indique-t-il. « Il faut se saisir des nouvelles théories physiques pour dire de nouvelles choses sur le monde ».
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