« La psychanalyse ne guérit pas, elle sauve. C’est mieux ! »
Auteur à succès du roman autobiographique Un secret, qui fut adapté au cinéma, le psychanalyste Philippe Grimbert continue d’explorer les conséquences sur l’homme de ces passés enfouis. Tout ne doit pas nécessairement être dit. Mais un secret dévoilé apporte souvent le soulagement.
Pourquoi votre livre Un secret, qui a été adapté au cinéma, a-t-il eu un tel écho ?
Ça a été une grande surprise pour moi ! Je pensais écrire un livre plutôt confidentiel. Ce qui m’a aidé à comprendre, c’est probablement le courrier des lecteurs. Très souvent, ils me disaient une chose à la fois amusante, touchante et riche d’enseignements : » J’ai beaucoup aimé ce livre parce qu’il raconte exactement mon histoire. » Et la personne de me conter son histoire… qui n’avait rien à voir ! Cela me fait penser qu’un livre qui fonctionne raconte forcément au lecteur son propre vécu, même s’il est très différent. Ici, cela tient au fait que le livre touche à une chose qui nous concerne tous : le secret de famille. Et quand je dis » secret de famille « , c’est presque un pléonasme : toute famille sécrète du secret.
Pourquoi le secret est-il un ressort que l’on voit beaucoup en littérature, au cinéma ou dans les séries télévisées ?
Ce thème a du succès justement parce qu’il est universel. Il fait intimement partie de notre être. Mais le plus grand secret que nous portons en nous est notre propre désir, logé dans notre inconscient. C’est ce que nous ne connaissons pas de nous-mêmes. Nous avons tous en nous ce noyau caché qu’il s’agit soit de débusquer en faisant un travail psychanalytique, soit de laisser à sa place. En général, il agit beaucoup quand il reste secret et inconscient.
Pensez-vous que tous les secrets doivent être dits ?
Je ne pense pas que tous les secrets doivent être dits, en particulier aux enfants. Il faut se méfier de cette tendance actuelle de transparence, cette nécessité de tout dire à l’enfant et de le prendre pour confident. Cela peut être très embarrassant pour lui. Si un secret n’a, a priori, pas de probabilité d’avoir une influence sur son devenir – je pense à la sexualité, à l’intimité des parents par exemple -, alors on ne le lui dit pas. En revanche, s’il s’agit d’un secret du type crime, suicide, prison, là je crois qu’il est très important d’en parler.
Il faut se méfier de cette tendance actuelle à prendre l’enfant pour un confident
Quels sont les risques si un tel secret n’est pas révélé ?
Il y a trois grands risques majeurs. L’inhibition d’abord : l’enfant sent qu’il y a un interdit de savoir. Cela peut être contagieux et s’exercer dans d’autres domaines, comme la scolarité. Il peut avoir le sentiment qu’on lui dit : » Tu n’as pas le droit de savoir, tu n’as pas le droit d’apprendre. » La somatisation ensuite. Le corps exprime à notre insu ce qui ne peut pas se dire. Et tous les organes sont prêts à nous rendre service de ce côté-là ! Cela va des maux d’estomac à l’eczéma en passant par l’ulcère, le bégaiement… La répétition enfin. J’en ai un exemple clinique assez spectaculaire. C’était un jeune adolescent qui cherchait en permanence des ennuis avec la police et la justice. En discutant avec la famille, j’apprends l’existence de ce grand-père qui avait fait de la prison pendant longtemps pour escroquerie grave. Et, bien sûr, la honte de la famille faisait que personne n’en disait jamais un mot ! Sans le savoir, le petit-fils répétait et questionnait l’attitude de son grand-père.
Révéler un secret provoque-t-il toujours du soulagement ?
Toujours. Lorsque quelqu’un apprend un secret familial pesant, il a toujours une double réaction. Il est bouleversé (l’histoire de la famille prend tout à coup un autre visage) et il se dit en même temps : » C’est curieux, j’ai l’impression de l’avoir toujours su. » Car un secret suinte toujours. C’est comme une source que l’on essaierait d’empêcher de jaillir, et qui jaillirait ailleurs sous la forme de multiples ruisselets. La révélation est donc soulageante pour l’enfant – il sentait bien que quelque chose pesait sur lui -, mais aussi pour celui qui en était le porteur. Il y a une formule de Serge Tisseron (NDLR : psychiatre et psychanalyste) que j’aime beaucoup : » C’est bien d’être gardien d’un secret, mais c’est terrible d’en être prisonnier. » La révélation peut libérer l’adulte et éviter à l’enfant certains des risques évoqués plus haut. Il prend conscience de ce qui l’animait, de certaines questions qu’il posait à son insu.
Le fait de vous être tourné vers la psychanalyse a-t-il un rapport avec votre histoire personnelle ?
Existe-t-il un métier que l’on choisit par hasard ? Je me suis pris de passion pour la psychanalyse lorsque j’ai étudié Freud en philosophie. J’ai ensuite entrepris une psychanalyse – parce que, pour devenir psychanalyste, il faut avoir soi-même quelques siècles d’analyse derrière soi ! Et j’ai compris, dans les premières années de mon analyse, pourquoi j’en avais demandé une. Que ce n’était pas du tout pour les raisons que je pensais – purement intellectuelles, et parce que je voulais devenir psychanalyste. La découverte d’un secret de famille me conduisait à vouloir découvrir mon propre secret : quel est mon désir, qui m’est secret à moi-même ? Et à souhaiter aider les autres à en faire de même.
Vous avez écrit aussi, en 2001, Evitez le divan, un essai : la psychanalyse n’est-elle pas bénéfique à tout le monde ?
Elle ne peut faire de mal à personne. Mais elle n’est pas nécessaire à tous. Je crois que la répétition d’une expérience malheureuse dans son histoire (amoureuse, professionnelle, familiale) est un signe qu’il faut travailler quelque chose. Mais certaines personnes ont peur de l’inconnu que représente le mieux-être, c’est ce que j’ai essayé de traiter avec humour dans Evitez le divan. Pour le névrosé moyen, on a souvent affaire à de la culpabilité. Il se dit : » Je n’ai pas le droit d’aller mieux parce que je suis profondément coupable. » Les gens sont également nombreux à penser que, lorsqu’il leur arrive une chose formidable, il va falloir le payer d’une façon ou d’une autre. C’est la logique névrotique. Un psychotique consultera rarement un psychanalyste spontanément, bien qu’il puisse faire pour lui des choses formidables. Une démarche qui permet à certains d’éviter l’hôpital psychiatrique. Ils ne seront jamais guéris, mais on peut leur permettre de vivre une vie normale, ce qui est déjà un résultat magnifique. Nous sommes tous, névrosés ordinaires, des » tabourets à quatre pieds « , pour reprendre l’image de Lacan. S’il nous arrive des tuiles, nous tenons encore. Mais un psychotique est un tabouret à trois pieds : il tient, mais s’il lui arrive une tuile, il s’écroule. Il y a un manque originel inscrit dans sa structure psychique, que la psychanalyse (parmi d’autres choses) peut venir suppléer. Parfois, un traitement médicamenteux est aussi nécessaire. Si quelqu’un venait me voir pour une psychanalyse, suant d’angoisse, je lui dirais d’aller d’abord voir un psychiatre. Je ne peux pas lui dire : » Vous serez moins angoissé dans un an ou deux ! »
Certains sont rebutés par le temps que prend une psychanalyse…
Il y a un grand malentendu concernant la psychanalyse. Il faut cesser d’en parler comme d’une thérapie : la psychanalyse ne guérit pas, elle sauve – c’est mieux ! Vous achetez votre liberté. » Comment, cela fait deux ans que tu es en analyse et tu n’as toujours pas fini ? » entend-on parfois. Poserait-on une telle question à quelqu’un qui fait du yoga ? Je crois que la psychanalyse est un travail sur soi qui vous transformera fondamentalement et qui n’a pas de fin. Vous vous arrêtez un jour, bien sûr, vous quittez votre analyste mais pas l’analyse : même après avoir terminé, vous ne vous regardez plus de la même manière. Pour ma part, c’est vraiment l’outil qui m’a permis d’être au monde. Je sais quels sont mes traits névrotiques, les situations anxiogènes pour moi. Je peux prévenir, repérer l’angoisse et la faire redescendre. C’est inestimable. Certaines thérapies comportementalistes, notamment contre les phobies, peuvent être efficaces sur le court terme, mais elles ne résolvent rien. Si on n’a pas analysé les causes de sa terreur, elle risque de se déplacer sur autre chose. J’entends également parler de certaines approches cliniques où, peu à peu, on oublie tout de l’inconscient pour se demander simplement quelle est la zone du cerveau qui fonctionne quand on est déprimé. Nous avons besoin de le savoir, mais c’est en même temps très pauvre : on réduit tout à des mécanismes neurologiques et on oublie la force de l’inconscient et de l’histoire personnelle.
Mais la psychanalyse a beaucoup été critiquée ces dernières années…
Elle a commis des péchés de jeunesse terribles, le premier étant autour de l’autisme. Dans les années 1970, Bruno Bettelheim (NDLR : psychologue américain, 1903-1990) a soutenu que c’était souvent une mère toxique qui rendait fou son enfant. Et cela a fait des ravages. Certains psychanalystes ont détruit des mères en les rendant absolument coupables de la pathologie de leur enfant. Mais je crois par ailleurs que la psychanalyse est beaucoup critiquée car elle montre que vous n’êtes pas le maître en la demeure. La majeure partie est en réalité laissée à votre inconscient, qui peut vous mener là où vous pensiez ne pas vouloir aller. C’est quelque chose qui, plus que jamais, est insupportable aujourd’hui.
Propos recueillis par Guénaëlle Le Solleu, Jean-Paul Arif et Marika Droneau (L’Éléphant).
La revue de culture générale, trimestriel (160 pages) disponible en librairie et kiosque ou sur www.lelephant-larevue.fr. On ne peut véritablement profiter du savoir que si on se l’approprie !
Bio Express
1948 Naissance à Paris.
1974 Diplômé en psychologie et psychanalyse à l’université de Nanterre.
1996 Première publication : Psychanalyse de la chanson (éd. Les Belles Lettres).
2001 Premier roman : La Petite Robe de Paul (Grasset).
2004 Publie Un secret (Grasset), prix Goncourt des lycéens.
2011Un garçon singulier (Grasset), consacré à l’autisme.
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