La gestion de la crise tel un vaste rituel pour éloigner le covid
Des professions sacrifiées, des experts mis sur un piédestal, des applaudissements devenus un rite quotidien… Le covid a entraîné son lot de rituels, de comportements symboliques, visant à éloigner la menace.
Chaque culture possède ses propres rituels qui sont ancrés dans les habitudes et les croyances des uns, mais qui peuvent pourtant paraître étranges aux yeux des autres. Ces comportements symboliques renforcent le sentiment d’appartenance à une communauté et constituent donc le « ciment » des groupes humains.
De nombreux rituels sociaux ont vu le jour lorsque les humains se sont mis à vivre en groupes. Certains rites ne connaissent pas de frontière – le Nouvel an, par exemple, est certainement la célébration ritualisée la plus répandue, même si les pratiques divergent -, quand d’autres sont propres à certains peuples. Aujourd’hui encore, ces traditions ancestrales perdurent, et se réinventent.
Luc de Heusch, l’un des plus grands anthropologues belges du XXe siècle, distinguait trois types de rituels :
- des rites cycliques, de l’ordre de la structure (les fêtes de Noël, par exemple) ;
- des rites de passage ou transitifs, liés à un temps irréversible (comme l’initiation des jeunes ou les anniversaires) ;
- et des rites occasionnels, nés d’une tentative d’éviter un désastre.
À l’heure où une pandémie plonge l’ensemble de la planète dans le désarroi et la peur, c’est la troisième catégorie de rites qui nous intéresse : l’Homme adopte de nouveaux comportements visant à se protéger de cette nouvelle menace sanitaire.
S’unir pour mieux lutter
Dans les régions fréquemment touchées par les catastrophes naturelles et les maladies, où le risque de violence et de maladie est élevé, les sociétés ont tendance à être « plus strictes », avec des normes sociales plus contraignantes et une tolérance réduite envers les comportements déviants, expliquait en 2011 Michele Gelfand, psychologue à l’université du Maryland, dans des propos repris par National Geographic.
La Chine, notamment, déjà victime d’une pandémie similaire en 2003, a dirigé d’une main de fer sa population afin d’éviter toute dérive. Malgré quelques erreurs de démarrage, le pays a pu déployer un dispositif anti-covid conduisant à la quasi-disparition de la circulation du virus sur son territoire : mise en quarantaine stricte des zones gravement touchées avec interdiction totale de sortir du domicile, fermeture des entreprises, interdiction stricte de déplacements entre les villes et les provinces, contrôles quotidiens de la température corporelle…
Face à un danger comme le covid, la coopération s’est en effet vite avérée être une question de vie ou de mort. Même en Europe, peu habituée aux situations de crise sanitaire, le non-respect des mesures a nourri l’hostilité et l’exaspération face à ce que beaucoup considéraient comme de l’égoïsme. Et malgré le ras-le-bol général, ces nouvelles mesures modernes sont aujourd’hui ancrées dans nos habitudes et pourraient, sur le long terme, finir par être véritablement ritualisées.
Des rituels modernes
Lorsque l’on parle de rituels, on pense immédiatement aux pratiques ancestrales visant à faire appel aux dieux et esprits au moyen de danses, de sacrifices et autres rites communautaires. Dans plusieurs régions du monde, certaines populations ont réagi à la crise sanitaire en mettant en oeuvre ce type de rites : aux Philippines, par exemple, diverses communautés autochtones ont invoqué les esprits pour leur demander de les protéger. En Indonésie, des animaux ont même été offerts en sacrifice. D’autres rites occasionnels auraient également été observés en Thaïlande, en Malaisie et ailleurs.
Si d’aucuns trouvent ces pratiques locales inefficaces face au covid, il ne faut pas oublier que les États européens ont mis en place leurs propres rites occasionnels. Les conseils pratiques des experts et du monde médical connaissent notamment une certaine ritualisation : on pensera au lavage des mains ou au port du masque.
Les conseils scientifiques et épidémiologistes se sont transformés en « guides spirituels », en « grands sorciers », pour tenter de nous expliquer en détail comment se laver les mains correctement, ou comment mettre un masque dans les règles de l’art. Largement médiatisés, ces experts se sont alors vus attribuer le rôle de maîtres cérémoniels en charge du déroulement des opérations, bien que les décisions finales aient été prises par les politiques.
D’autres pratiques sociales, comme le salut avec le coude ou les e-pero, ont également émergé et sont entrées dans nos habitudes. Lors du premier confinement, les citoyens belges, mais également français, espagnols ou italiens, se sont donné rendez-vous tous les soirs à 20h00 aux fenêtres, velux ou balcons pour rendre hommage au personnel médical en première ligne pour faire face au virus. Si aujourd’hui, la pratique s’est essoufflée, elle restera dans les mémoires.
Enfin, l’Europe a même pratiqué ses propres « sacrifices » : on pensera à ces nombreux secteurs non-essentiels – notamment les restaurateurs ou les coiffeurs – interdits de pratiquer malgré la menace de faillite ou de troubles financiers, à ces personnes âgées, abandonnées à leur triste sort dans leurs maisons de repos, ou encore à ces jeunes, enfermés dans leur chambre sans possibilité de sociabilisation.
On le constate, ces rites occasionnels, qu’ils soient pratiqués par les peuples de l’Asie du Sud-Est ou par les Occidentaux, ne sont finalement pas si différents les uns des autres. Et si les experts et les scientifiques remplacent les esprits et les dieux, le covid est considéré par tous comme un danger qui menace la cohésion sociale et la santé du groupe.
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