La 5G est-elle dangereuse pour la santé?
Dangereuse, la 5G? La question revient sans cesse et surtout en Belgique, où les normes sont pourtant bien plus strictes qu’ailleurs. Voici ce qu’en dit la science, entre certitudes et zones de gris.
A chaque technologie son lot de craintes et de questionnements éthiques. Deux mots pour résumer le nécessaire arbitrage qui s’ensuit : coûts-bénéfices. Comme les précédentes générations de réseaux mobiles, la 5G n’y échappe pas. Encore moins à l’heure des réseaux sociaux, où les montages l’associant au logo d’une zone radioactive se propagent presque aussi vite qu’une onde électromagnétique. D’un côté, les détracteurs pure souche, comme le collectif belge stop5G, qui demandent un moratoire en l’absence d’un consensus scientifique sur la nocivité des champs électromagnétiques. De l’autre, les techno- optimistes, convaincus que les apports de la 5G pèseront de toute façon plus lourd dans la balance. Et au milieu, beaucoup d’indécis, qui ne savent pas ce qu’il faut en penser.
L’effet thermique et les normes
Comme la radio et toutes les générations de réseaux de communications mobiles, la 5G se propage via des fréquences électromagnétiques, qui s’expriment en mégahertz (MHz) ou en gigahertz (GHz). Plus la fréquence est haute, plus le débit est élevé mais plus la portée du signal est faible. Pour couvrir une ville de façon optimale, la 5G doit donc utiliser de nombreuses antennes sur des bandes à plus haute fréquence (jusqu’à 40 GHz), tandis que l’usage de fréquences plus basses (de 300 MHz à 6 GHz) est privilégié pour des zones plus vastes mais moins densément peuplées. Cette nuance est importante pour aborder l’effet thermique des radiofréquences, étudié depuis les années 1950 et exploité entre autres pour les fours à micro-ondes. Les fréquences inférieures à 6 GHz pénètrent dans l’organisme : l’effet thermique peut ainsi apparaître en profondeur. Ce problème-là ne se pose pas pour les fréquences plus élevées, dans les villes ou à l’intérieur de bâtiments.
» Les intensités typiques de notre exposition au quotidien, que l’on utilise ou non un gsm, sont toujours de type non thermique, indique le docteur Jacques Vanderstraeten, spécialiste des rayonnements non ionisants à l’Ecole de santé publique de l’ULB. Le fait d’utiliser un gsm contre la tête expose l’intérieur des tissus à une variation de maximum quelques dixièmes de degré. » C’est sur la base de l’effet thermique que les normes d’exposition aux rayonnements électromagnétiques sont calculées. La Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (Icnirp) a ainsi défini le seuil à partir duquel les effets sont jugés néfastes. Celui-ci a ensuite été divisé par 50 pour définir une norme validée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans les zones accessibles au public. Elle a été fixée à 41,2 volts par mètre (v/m).
Contrairement à la plupart des pays européens, la Belgique a établi des normes beaucoup plus restrictives et différentes d’une région à l’autre. En Flandre, la limite cumulative dépend de la fréquence (20,6 v/m pour une fréquence de 900 Mhz et 3 volts par mètre par antenne pour chaque opérateur). En Wallonie, elle est uniquement calculée par antenne et par opérateur, quelle que soit la fréquence (3 v/m également). C’est en Région bruxelloise que la norme est actuellement la plus sévère, avec une limite cumulative de 6 v/m pour une fréquence de 900 MHz. Ce niveau, près de 50 fois plus exigeant que les recommandations de l’Icnirp, empêcherait tout simplement de développer la 5G dans la capitale, selon les opérateurs. Pour cette raison, le gouvernement bruxellois devrait étendre prochainement la norme à 14,5 volts par mètre, soit le minimum recommandé par le régulateur belge.
Cancérigène ou pas ?
C’est surtout le caractère potentiellement cancérigène des ondes qui suscite le plus de craintes auprès du grand public. » Compte tenu […] des résultats de recherche recueillis à ce jour, il n’y a pas de preuves scientifiques que les faibles signaux de radiofréquence émis par les stations de base et les réseaux sans fil puissent causer des effets négatifs sur la santé « , indique l’OMS, en s’appuyant sur 25 000 articles scientifiques publiés ces trente dernières années. Mais l’hypothèse ne peut être écartée avec certitude. C’est la raison pour laquelle le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), qui dépend de l’OMS, a classé les champs de radiofréquences électromagnétiques comme potentiellement cancérigènes pour l’être humain. » En 2018, il y a eu coïncidence dans les résultats de deux mégaétudes sur les rongeurs, explique Jacques Vanderstraeten. L’une a été conduite par le National Toxicology Program, aux Etats-Unis, l’autre par l’institut italien Ramazzini. Ce n’est pas extrapolable à l’homme, mais les chercheurs ont observé un effet non thermique, c’est-à-dire l’apparition d’une tumeur sans échauffement significatif des tissus. Or, si cet effet existe pour les rongeurs, il doit vraisemblablement pouvoir exister aussi chez l’homme. »
Si cette hypothèse se confirme un jour, les normes devront alors être revues. Et le questionnement sur les très hautes fréquences, absorbées que par le premier millimètre d’épaisseur de la surface du corps, en deviendra lui aussi d’autant plus pertinent. » A ce jour, il n’est pas exclu que ces fréquences précises puissent avoir un impact, commente le médecin. Des collèges d’experts s’accordent pour dire qu’il manque des études à leur propos. Il ne s’agirait dès lors plus d’étudier la fréquence de certains cancers à l’intérieur de l’organisme, mais plutôt les effets sur l’oeil et la peau. »
Tous hyperconnectés ?
Enfin, l’arrivée de la 5G amène à s’interroger sur les dérives d’une société toujours plus tournée vers les écrans. » De plus en plus de parents ont du mal à gérer l’hyperconnectivité chez leurs enfants, déplore Jacques Vanderstraeten. Une à trois heures par jour sur le smartphone, c’est moins de sommeil, de créativité et de sport. Des études ont déjà établi un lien entre l’hyperconnectivité et la fréquence de troubles de l’attention. On peut penser qu’il faudra un certain temps d’adaptation pour intégrer cette nouvelle donne, qui a pris sa place de force. Il faudra faire avec, mais le débat mérite d’être abordé. »
Le 23 avril prochain à Bozar, à Bruxelles, le séminaire Ilya Prigogine » Penser la science » de l’ULB portera sur la 5G et les questions qu’elle soulève, y compris en matière de santé.
Appelée à couvrir tant les télécommunications que des applications industrielles critiques, la 5G pose aussi des questions cruciales en matière de sécurité informatique et d’espionnage. Au point d’en faire un enjeu géopolitique, sur fond de guerre commerciale avec la Chine. C’est Donald Trump qui a mis le feu aux poudres, en 2018. Le président américain avait alors décidé de placer l’équipementier chinois Huawei sur une liste noire : les services de renseignement soupçonnaient ce dernier de vouloir installer des outils de surveillance électronique dans ses produits. Le débat a ensuite gagné l’Europe. En avril 2019, le centre belge pour la cybersécurité (CCB) a estimé que les preuves à l’encontre de Huawei n’étaient pas suffisantes pour établir une menace. En janvier dernier, la Commission européenne a indiqué qu’elle acceptait » tout le monde « , tout en posant des règles, comme la nécessité de travailler avec plusieurs équipementiers. A cet égard, le Royaume-Uni a décidé de limiter la future part de marché de Huawei pour la 5G à 35 %. Enfin, début février, l’opérateur français Orange a, quant à lui, annoncé qu’il travaillerait plutôt avec Nokia et Ericsson, tous deux européens.
Pour Jean-Michel Dricot, professeur à l’Ecole polytechnique de l’ULB, les enjeux sur la sécurité informatique de la 5G sont primordiaux. » Il devrait y avoir un réel appel pour avoir une souveraineté européenne sur nos infrastructures de réseau, plaide-t-il. Il ne faut pas dépendre uniquement d’équipements américains et asiatiques. Il y a un intérêt réel à acquérir des connaissances sur les usages, au-delà de la course économique. »
A Bruxelles, la norme est 50 fois plus stricte que les recommandations de l’Icnirp.
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