Intolérance, allergie alimentaire : le nouveau chic
Vraies ou fausses intolérances, régimes d’exclusion… Les « alimentations particulières » et les nouvelles « fixettes » alimentaires nourrissent nos modes de vie et nos conversations à plein régime.
Jadis, quand on voulait recevoir des amis à dîner, il fallait juste trouver une date qui convenait à tous. Aujourd’hui s’y rajoute une difficulté de taille, celle d’établir un menu… compatible pour tous. Les desiderata des végétariens (ou végétaliens, plus radicaux) sont certes faciles à satisfaire. Ils se contentent d’une « salade ». Tout se complique avec les exigences des « intolérants », vrais ou autoproclamés. Nous connaissons tous un ou une qui a proscrit de son alimentation le gluten (la protéine de blé présente dans les farines), le lactose, le glutamate ou encore le sucre qui rendrait agressif et agité. Sans oublier les abonnés à la nourriture crue et autres toqués des régimes « spéciaux » dernier cri. Un repas festif autour d’une raclette ou d’une bonne recette de cuisine française appartient à la préhistoire. Chacun exige une alimentation particulière et sur mesure. Comment en est-on arrivé là ?
« Nous assistons à une modification considérable des habitudes alimentaires, décrypte le Pr André Van Gossum, coordinateur de l’équipe nutrition à l’hôpital universitaire Erasme à Bruxelles. Une grosse partie de la population active ne mange plus de vrais repas. Les familles sont désorganisées, beaucoup de personnes vivent seules. On n’a plus le temps de faire la cuisine et chacun mange dans son coin, face à son ordinateur, à son iPhone ou à son iPad. L’industrie répond à cette demande par des plats tout faits. Parallèlement, l’écoute aux intolérances devient très importante. Globalement, les gens vivent plus longtemps et sont soucieux de leur qualité de vie qui passe, aussi, par l’alimentation. » Or la notion de l’alimentation évolue et suit des tendances. Il fut un temps où l’on se nourrissait pour apporter au corps du substrat énergétique. Puis on s’est focalisé sur les effets négatifs de certains aliments (le sel, par exemple, qui favorise l’hypertension). Plus récemment, on a encensé certains nutriments, tels les omégas 3 ou les antioxydants qui auraient un effet bénéfique sur la santé. Aujourd’hui, on a peur de se faire du mal en mangeant. D’où l’explosion des intolérances et des régimes d’exclusion.
Gluten et lactose, vrai et faux
« Il règne dans ce domaine une grande confusion, note le Pr Van Gossum. Une intolérance au gluten existe réellement. Celui-ci est à l’origine de la maladie c£liaque provoquant la destruction de la muqueuse intestinale. Bien reconnue, héréditaire et vraiment handicapante, elle touche un Belge sur 1 000. Il s’agit d’une intolérance immunologique qui n’est pas une allergie alimentaire. « Quand une personne se dit »allergique » au gluten, des médecins demandent une prise de sang incluant des immuno- globulines IgG, poursuit le Dr Van Gossum. Chez certaines personnes, leur taux peut en effet être élevé, sans avoir toutefois de signification pathologique. » En ce qui concerne le lactose, il s’agit d’une intolérance enzymatique. Les personnes qui en souffrent présentent un déficit en enzyme appelée lactase, nécessaire pour décomposer le lactose contenu dans le lait et le fromage. Cela dit, même les personnes déficientes en lactase peuvent tolérer les yaourts et les fromages à pâte dure, sources de protéines et de calcium. Il n’y a pas de raison d’adopter un régime d’exclusion strict. La paranoïa a cependant bon dos et touche même les propriétaires de chiens (aux Etats-Unis, pour commencer). Ainsi, Nestlé vient de lancer, uniquement sur le marché américain, une glace pour chiens… intolérants au lactose, déclinée en deux saveurs : vanille et beurre de cacahuètes et nappées de yaourt à la vanille !
Intestins et stress
Quid des fausses intolérances ? On entre ici dans la problématique des intestins irritables et de la flore intestinale. Il faut savoir que le tube digestif est une tuyauterie très compliquée. On y trouve environ 70 % des lymphocytes, ainsi qu’une grande quantité d’hormones. L’intestin doit se défendre contre des milliards de bactéries. « Le fait de ne pas bien digérer, pour certaines personnes, le chou-fleur ou les champignons, par exemple, n’est pas nouveau, mais les gens se plaignent davantage, rapporte le Pr Van Gossum. De surcroît, l’alimentation est un domaine bien mystérieux. Il est vrai que, pendant des années, on considérait la maladie c£liaque comme une maladie d’enfant. Aujourd’hui, elle peut se déclarer chez des adultes, à l’âge de 25, 35, voire 40 ans. L’intolérance au lactose, c’est pareil. La déficience en lactase est présente depuis l’enfance. Or, tout d’un coup, elle peut se dévoiler à l’âge adulte. Nous assistons à un déplacement des symptômes. C’est un phénomène nouveau dont on ignore les causes. » Cela dit, les gens (surtout les femmes) s’observent beaucoup et, au moindre petit pépin, se croient dans l’anormalité. On cherche immédiatement une cause à un banal problème passager de tuyauterie, provoqué, éventuellement, par le stress. Du coup, on affiche sa différence, facteur valorisant dans notre société de plus en plus individualiste.
Régimes d’exclusion
En France, l’Observatoire des habitudes alimentaires a consacré, fin janvier, un colloque à ces « tabous électifs », une façon élégante de parler de nouvelles « fixettes » ou « marottes » alimentaires qui mènent à des régimes de plus en plus farfelus. Les plus drôles ? Les régimes « rose » et « froid ». Le premier réunit les aliments roses : du tarama, des fraises sous toutes les formes, de la purée d’aubergine… Le tout arrosé, of course, de champagne rosé. Le second autorise tous les aliments (même steak-frites), à condition qu’ils soient « glacés ». On citera aussi le régime des groupes sanguins qui adapte un protocole alimentaire en fonction des quatre groupes : O, A, B, AB (interdiction de manger du poulet pour les B et AB !), le « régime des cavernes » (viandes, fruits et légumes, à l’état le plus brut possible) ou encore le régime « living foods » qui fait appel à un pendule de radiesthésiste pour déceler les « ondes de vie » contenues dans un aliment. Or les meilleurs nutritionnistes sont unanimes : ces régimes qui, de surcroît, peuvent entraîner une carence, ne marchent jamais. Il s’agit d' »une médecine de l’échec ». Le seul moyen de perdre du poids consiste à diminuer des apports caloriques par rapport aux dépenses. Or, si les régimes ont un tel succès, c’est par ce qu’il y a une demande. « On recherche une médecine parallèle, une nutrithérapie, conclut le Pr Van Gossum. La notion du régime ou des interdits alimentaires est inscrite dans toutes les grandes religions monothéistes. Si l’on s’impose des interdictions, on va mieux et on pense que l’on va s’améliorer. Au bout du compte, c’est très culturel. »
La science de la nutrition n’est certes pas facile. Mais au lieu de se compliquer la vie (et celle des autres) avec des régimes monomaniaques et des intolérances de tous genres, ne vaut-il pas mieux de retourner aux principes de base : « On mange de tout, un peu » et « on ne parle pas de ses bobos à table » ?
BARBARA WITKOWSKA
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