Espace: une machine à remonter le temps
La détection des ondes gravitationnelles, ces rides dans l’espace-temps prédites par Einstein, devrait se doter d’un nouvel outil. Lequel pourrait être mis en fonction à quelques pas de chez nous.
Un triangle de dix kilomètres de côté, installé à 300 mètres de profondeur. C’est ce à quoi devrait ressembler le télescope Einstein, le détecteur d’ondes gravitationnelles le plus grand et le plus sensible jamais installé sur Terre. Deux sites sont en compétition pour l’accueillir: la Sardaigne et la zone frontière entre la Belgique, les Pays-Bas et l’ Allemagne. Les scientifiques et l’Europe trancheront d’ici à 2024, afin que l’instrument puisse être opérationnel dès 2035.
« Les ondes gravitationnelles sont des oscillations de l’espace et du temps qui ont lieu à certaines fréquences, selon la source qui les produit. A l’heure actuelle, les interféromètres terrestres (NDLR: instruments permettant de mesurer des distances par l’utilisation des phénomènes d’interférence) sont sensibles à partir d’environ 10 hertz. Mais de nombreux phénomènes très intéressants se manifesteraient à plus basses fréquences: le télescope Einstein sera capable de les détecter. Pour ce faire, contrairement à Ligo (interféromètre implanté aux Etats-Unis) et Virgo (en Italie), il sera construit sous terre. De quoi éliminer les bruits sismiques, principal obstacle à dépasser aux basses fréquences », explique Giacomo Bruno, professeur de physique à l’UCLouvain.
Le télescope permettra d’écouter les premiers « cris » de l’univers et d’ainsi mieux en connaître les innombrables secrets.
Dans les systèmes binaires, deux trous noirs tournent l’un autour de l’autre. Lors de cette rotation, des ondes gravitationnelles sont émises. Elles atteignent un maximum d’intensité lorsque les deux trous noirs fusionnent en un seul, plus gros. Seule cette apothéose est actuellement détectable. Le télescope Einstein, lui, sera capable d’observer plus longuement la danse préalable des deux trous noirs. Il permettra également d’écouter les premiers « cris » de l’univers et d’ainsi mieux en connaître les innombrables secrets. Selon des physiciens théoriciens, des ondes gravitationnelles de basses fréquences se seraient formées dans les tous premiers instants après le Big Bang.
Dans les mains de l’Union Européenne
Le télescope Einstein sera complémentaire au projet d’interféromètre spatial approuvé par l’agence spatiale européenne (ESA). Dénommé Lisa, il s’agit d’un instrument construit sur trois satellites qui tourneront avec la Terre autour du Soleil. Son lancement est prévu pour 2030. « Il sera sensible à des fréquences extrêmement basses, entre 0,0001 et 1 hertz. Le télescope Einstein, quant à lui, détectera une gamme de fréquences comprises entre 1 et 10.000 Hertz, tout en améliorant de plus d’un facteur 10 la sensibilité des interféromètres terrestres Virgo et Ligo. »
Reste que cet ambitieux projet est encore suspendu à la confirmation de son financement par l’Union européenne. « Début septembre 2020, un consortium composé de scientifiques de différents pays européens a soumis à l’UE une proposition pour inscrire le télescope Einstein sur la feuille de route des infrastructures de recherche. Si, d’ici à fin 2021, l’Europe rend une réponse positive, ce sera un grand pas vers sa concrétisation. » En effet, les projets repris sur ce document obtiennent généralement le soutien financier des différents pays européens.
Au banc d’essai liégeois
La sensibilité du télescope Einstein sera au moins dix fois supérieure à celle de Virgo et Ligo. Pour ce faire, l’engin exploitera un miroir ultrasensible. Dans le cadre du projet E-Test, financé à hauteur de quinze millions d’euros par le programme européen Interreg, « un prototype de miroir suspendu en silicium refroidi à température cryogénique, très peu sensible au bruit, sera construit dans la plus grande chambre à vide du centre spatial de Liège. Ce sera unique au monde et mené à bien en trois ans, un temps record », explique le professeur Christophe Colette, du département Aérospatiale et mécanique (A&M) de l’ULiège. Un inventaire du sous-sol (propriétés mécaniques des roches, présence de failles) des régions frontalières entre Belgique, Pays-Bas et Allemagne sera dressé. Et ce, afin de positionner au mieux les cavités nécessaires au projet Einstein. Une deuxième étude préliminaire impliquant des partenaires scientifiques néerlandais et flamands est financée par Interreg. Il s’agit du projet ET-Pathfinder. « Son objectif est de construire, à Maastricht, un prototype à échelle réduite de l’interféromètre complet. Toutes les nouvelles technologies imaginées y seront déployées. Ce qui permettra d’évaluer si elles fonctionnent ensemble comme attendu », précise le professeur Bruno.
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