Entretien avec Thomas Pesquet: « On devrait aller sur Mars vers 2040 »
Excellent communicant, le spationaute Thomas Pesquet, 41 ans, a contribué au regain d’intérêt du grand public pour la conquête spatiale. Son retour à bord de la station internationale, où il a déjà passé six mois, est prévu à l’horizon 2021, et il se verrait bien participer aussi à une future mission sur la Lune. Alors que des chercheurs lui demandent, pour des raisons écologiques, de se prononcer contre le tourisme spatial et les projets de vols vers Mars, lui-même reconnaît que l’urgence est de sauver la Terre.
Vous êtes né près de neuf ans après le premier pas de l’homme sur la Lune et cinq ans après la fin des missions lunaires Apollo. Cette épopée vous a-t-elle tout de même marqué ?
J’ai été recruté astronaute en 2009, quarante ans après le vol historique d’Apollo 11. Ma promotion est la toute première qui n’était pas née à l’époque des missions lunaires. Les astronautes des générations antérieures ont des souvenirs personnels de cette épopée, pas moi. Mais j’ai un grand respect pour ceux qui ont mis le pied sur la Lune. Ils devaient être des hommes de fer, vu les risques encourus. Si le moteur d’ascension du LEM, qui a permis à Neil Armstrong et Buzz Aldrin de quitter le sol lunaire, n’avait pas fonctionné, ils seraient restés sur place, sans espoir de secours. Nous, en cas de coup dur à bord de la Station spatiale internationale, nous pouvons redescendre sur Terre dans les vingt-quatre heures et avoir accès aux soins médicaux. Le côté romantique et aventureux de l’exploration spatiale s’est estompé ces dernières décennies, mais il réapparaîtra avec les nouveaux vols habités vers la Lune.
Vous avez évoqué récemment votre envie d’aller sur la Lune. La Nasa promet d’y envoyer des hommes en 2024, avec l’objectif d’une mission habitée vers Mars en 2033. Objectifs réalisables ?
Il est toujours délicat de donner des dates précises dans le secteur spatial, étant donné les aléas techniques. Mais on peut estimer qu’il y aura des missions lunaires habitées d’ici à 2030 et que l’on ira sur Mars vers 2040.
L’ESA, l’Agence spatiale européenne, a annoncé votre prochain retour dans la Station spatiale internationale. Quand repartez-vous ?
A l’horizon 2021. La date est encore incertaine, car l’accès à l’espace ne se fera plus dans un Soyouz, au départ de la base de Baïkonour, mais dans un nouveau véhicule américain, en cours de développement sous l’égide de la Nasa : ce sera soit la capsule Crew Dragon de SpaceX, soit son concurrent, le vaisseau CST-100 Starliner de Boeing. C’est excitant de partir dans un nouveau véhicule. Mais ces capsules ne sont pas encore prêtes. D’ici là, il faut reprendre les entraînements. C’est lors du décollage et du retour sur Terre qu’il y a le plus de risques.
Que ferez-vous dans l’ISS ?
Je ne connais pas encore mon programme de travail. Le débutant que j’étais lors de ma première mission sera cette fois un vétéran, avec des tâches d’encadrement à assumer. L’ESA essaie d’envoyer un Européen par an dans la station pour qu’il y ait une continuité dans les expériences scientifiques menées à bord. On me demande souvent à quoi servent ces séjours dans l’espace. Ils font progresser la recherche sur l’adaptation du corps humain en microgravité, ils débouchent sur des avancées dans le traitement de maladies et ils permettent de créer de nouveaux alliages légers pour les industries de l’automobile et de l’aéronautique.
Depuis votre retour sur Terre, vous participez à la préparation du projet de station en orbite lunaire. Où en est-on ?
Ce projet nous mobilise depuis deux ans. L’ESA conçoit deux des cinq modules de la future station internationale Gateway. Ils ne sont pas encore construits. Notre programme a dû s’adapter au virage imposé par l’administration Trump : elle veut désormais envoyer des hommes sur la Lune avant l’achèvement du Gateway et l’établissement d’une desserte entre la station et la surface lunaire. Quand l’homme remarchera sur la Lune, il n’y aura qu’une ministation en orbite lunaire. Elle sera composée d’un petit élément habité et d’un module de service.
Vous avez eu le » space blues » après votre retour sur Terre. Avez-vous gardé des séquelles physiques et psychologiques de votre séjour de près de deux cents jours dans l’espace ?
Les effets d’un séjour prolongé dans l’espace sont réversibles : ils se résorbent en quelques semaines ou quelques mois. J’ai perdu de la masse osseuse et musculaire. L’équilibre est perturbé et le système cardiovasculaire est atteint, car le coeur s’atrophie en impesanteur. Psychologiquement, c’est aussi une épreuve : dans la station, nous sommes sans cesse occupés, notre activité est planifiée du matin au soir, avec des objectifs précis. De retour sur Terre, il faut gérer les multiples sollicitations, on se disperse. J’ai hâte de retourner dans l’espace !
Une expédition martienne durera au moins neuf cents jours. Quels effets sur l’équipage ?
Nos recherches, dans l’ISS, visent précisément à rendre possibles ces missions de longue durée. Comment maintenir l’équipage en bon état physique et psychologique ? Comment le protéger des radiations ? Un séjour prolongé hors des ceintures de Van Halen, région de la magnétosphère de la Terre, augmente l’exposition aux rayons cosmiques. Pour s’en protéger, il faudrait doter les capsules d’un blindage épais, mais cela les rendrait trop lourdes. La faisabilité de l’atterrissage d’un vaisseau habité sur Mars est aussi un énorme challenge.
Pourquoi le projet d’une mission vers Mars vous passionne ?
Parce que jamais dans l’histoire l’homme n’a relevé un tel défi. C’est très excitant. Pour cette mission, nous devrons nous dépasser, nous confronter à nos limites. Quel impact psychologique sur les astronautes aura la perte de vue de la planète bleue, le fait de voyager dans le vide de l’espace sans espoir de retour avant des mois ? Les trajectoires orbitales font qu’une fois le vol entamé, il faudra poursuivre sa route, faire le tour de la planète rouge avant de revenir, soit un périple de six cent jours en autonomie. L’équipage d’une mission martienne devra comprendre un médecin, ou plutôt deux, vu le risque de tomber malade au cours d’un si long voyage. Il faudra tout prévoir, y compris l’imprévu, comme une rage de dents !
Vous participez à des stages de préparation destinés à forger l’esprit d’équipe lors de longs séjours dans des espaces confinés. Quelles qualités faut-il avoir pour aller sur Mars ?
Les membres de l’équipage devront avoir une solide stabilité psychologique. Il faut être capable de travailler en équipe, savoir bien communiquer et arriver à gérer son stress. On doit pouvoir exercer des fonctions de leader et respecter celui qui assume les tâches de management.
Vous êtes ingénieur aéronautique, pilote, ceinture noire de judo, saxophoniste, polyglotte… : il faut être un surdoué pour aller dans l’espace ?
Je ne suis pas un surhomme ! Je ne suis ni prix Nobel, ni athlète de haut niveau. On exige surtout des candidats astronautes d’être en bonne santé, d’avoir une bonne vue, de ne pas avoir de caries… Les critères de sélection pour être retenu dans le corps des astronautes de l’ESA sont nombreux, mais ce n’est pas mission impossible. Et il y a tant d’autres professions passionnantes !
Vous êtes devenu la star des spationautes. Une popularité lourde à porter ?
Je confirme. Cela a changé ma vie. Mais je suis devenu une personne publique pour la bonne cause : j’explique à quoi sert l’exploration spatiale et je défends des thèmes qui me tiennent à coeur, comme l’environnement, l’éducation, la parité hommes-femmes. Le grand public peut voir les astronautes, nous rencontrer à notre retour sur Terre, alors que les satellites envoyés dans les étoiles n’envoient que des données. Nous sommes les ambassadeurs de l’espace sur Terre.
Du haut de l’ISS, vous avez posté sur les réseaux sociaux de nombreuses photos de la Terre. Quelles réactions en Belgique ?
La nuit, il est difficile de reconnaître des lieux précis depuis l’espace. La Belgique fait exception : du haut de l’ISS, on distingue nettement les autoroutes belges éclairées. Quand j’ai posté une photo de l’Europe où l’on voyait une Belgique toute brillante, c’était simplement pour partager un spectacle surprenant. Je n’ai pas anticipé que ce cliché déclencherait un débat sur la consommation d’énergie et la pollution lumineuse des autoroutes belges.
En orbite à 400 kilomètres d’altitude, que voit-on des désastres causés par le changement climatique ?
Au début, j’ai été émerveillé par le spectacle de la Terre et du halo bleu et scintillant de l’atmosphère. Ensuite, j’ai distingué les montagnes, les fleuves, les côtes, les îles… Puis seulement j’ai repéré les traces de l’activité humaine : la pollution de l’air, les coupes dans les forêts amazoniennes, la fonte des glaciers… Un séjour dans l’espace fait prendre conscience de la fragilité de la Terre plus concrètement qu’un rapport austère sur les effets du changement climatique.
Si l’avenir de l’humanité sur Terre est compromis, la conquête de l’espace est-elle un » plan B » pour assurer notre survie ?
Sûrement pas ! Nous ne serons pas en mesure de coloniser des mondes extraterrestres avant des centaines d’années. Il n’y a pas de » plan B « , il faut faire avec la Terre. Malgré toute notre ingéniosité et des budgets spatiaux conséquents, nous ne pouvons actuellement envoyer que quelques personnes triées sur le volet dans la banlieue de notre planète. Cela montre la complexité de la conquête spatiale. Je ne dis pas qu’il faut nous interdire de penser à la colonisation de la Lune et de Mars, mais ceux qui y voient une solution pour assurer notre avenir sont des fantaisistes ou des personnes qui ont d’autres intérêts que le sort de l’humanité.
Bio express
1978 : Naissance à Rouen (France), le 27 février.
2001 : Diplômé ingénieur aéronautique à Toulouse.
2002 : Recruté par le Centre national d’études spatiales (CNES)
2005 : Licence de pilote de ligne ; vole sur Airbus.
2009 : Retenu dans le Corps européen des astronautes.
2016-2017 : Six mois dans la Station spatiale internationale (ISS).
2019 : Sélectionné pour retourner dans l’espace » fin 2020 ou début 2021 « .
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