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E=mc2 ou le récit de la découverte d’Einstein

Rosanne Mathot Journaliste

Alors que le professeur de l’Université de Namur André Füzfa estime que l’Humain peut maîtriser la gravitation, bousculant la théorie d’Einstein, voici comment les horaires de chemin de fer ont mis le mythique physicien sur la voie de la relativité restreinte.

C’est sur un rail de chemin de fer qu’est née la formule mathématique la plus connue du monde. A l’époque où Einstein, comme tant d’autres, réfléchit à cette équation, prendre le train est en effet d’une complexité cauchemardesque.

L’heure varie d’un coin à l’autre d’un même pays. Chaque ville voit alors midi à sa porte, en établissant son heure locale, en fonction de la position du soleil à son zénith. Ainsi, à Genève, n’y a-il pas une, pas deux… mais trois horloges qui indiquent chacune une heure différente. L’horloge du centre donne l’heure moyenne de Genève. L’horloge de gauche est à l’heure de Paris, basée sur les horaires de la ligne de chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée. Quant à celle de droite, elle affiche l’heure de Berne, la capitale. Elle a 5 minutes d’avance sur celle de Genève.

Dans de telles conditions, prendre le train relève de l’épopée homérique : si on sait à quelle heure on part, l’heure d’arrivée demeure, elle, bien souvent un énigme.

Alors que le monde occidental vit à plein régime sa révolution industrielle, gérer des livraisons de marchandises relève du casse-tête chinois. Quant à l’organisation de la défense militaire, comment y parvenir, sans une unicité du temps?

Avant-gardiste, l’Allemagne prend le problème à bras le corps. Dès 1891, le comte prussien Von Moltke, décrète, devant le parlement impérial, que la synchronisation des horloges doit être une priorité nationale. Les Allemands se mettent au travail. Mais pas seulement eux : partout, en Europe, on planche sur la question des horloges. Très vite jaillissent idées et innovations techniques. Les progrès s’enchaînent. Rapides. Fulgurants. Dès 1892, le réseau urbain des horloges synchronisées de Berne se met en place. L’unicité du temps s’affiche en grande pompe.

Quand Einstein entre en scène, au début du XXe siècle, on sait synchroniser les horloges dans une même ville, mais pas encore à l’échelle d’un pays. Et certainement pas à l’échelle d’un continent. Dès 1902, aidé par son père, le très jeune Albert Einstein devient technicien au Bureau fédéral de la propriété intellectuelle, à Berne. A longueur de journée, Einstein, qui n’a pas 25 ans, décortique et analyse les idées des uns et des autres, au sujet des horloges et de l’électromagnétisme, idées qu’il reçoit sous forme de demandes de brevets. On peut dire qu’Einstein, cet outsider qui n’appartient pas au sérail scientifique, est vraiment au bon endroit, au bon moment.

Tous les grands cerveaux de son temps s’activent pour solutionner cet énervant problème de synchronisation des horloges. Dès 1900, le mathématicien français Henri Poincaré évoque déjà le terme de « relativité » et il formule également la fameuse équation E=mc2 dans son mémoire. Quant au Néerlandais Hendrik Lorentz, il publie « sa » relativité restreinte en 1904. Ainsi, la plupart des éléments qui paraîtrons dans les travaux d’Einstein sont déjà là. Mais épars. Dispersés. Si la polémique sur la paternité de la relativité restreinte a déjà fait couler beaucoup d’encre, il faut concéder à Einstein d’avoir su, dès 1905, réaliser une véritable révolution conceptuelle profonde de la relativité de l’espace et du temps. Il était impossible de résoudre le puzzle des horloges, sans se poser, évidemment, les bonnes questions. Les interrogations d’Einstein au sujet du temps tiennent à la fois d’une candeur infantile extrême et d’une complexité conceptuelle énorme.

Premier constat : les gens confondent souvent « durée » et « temps ». Et Einstein de nous ébahir, en nous expliquant ce que nos sens et notre intuition se refusent d’admettre : en fonction du lieu, et du mouvement, une seconde n’a pas toujours la même durée. Paf.

C’est à Berne, en passant devant l’horloge qui se trouve tout près de son bureau, qu’Einstein a ainsi l’épiphanie qui bouleversera l’ordre du monde : « Une tempête s’est déchaînée dans ma tête. (…) J’ai directement puisé à la source, dans les pensées de Dieu ». Einstein comprend subitement pourquoi une horloge embarquée sur un train, même si elle a été synchronisée avec celles restées à quai, bat systématiquement plus lentement que les autres. La réponse qu’il donne, entre 1905 et 1916, est à la fois élégante et bouleversante ; c’est, ni plus ni moins, ce qu’il expose dans ses deux théories de la relativité : il y a un lien indissoluble entre le temps et la vitesse de propagation de son signal ; à grande vitesse, l’espace et le temps se contractent dans le sens du déplacement. Dans un monde à 4 dimensions, plus il y a de vitesse, moins il y a d’espace-temps et vice versa.

Le temps est donc bel et bien ralenti pour les objets en mouvement, des horloges transportées par un train, par exemple. Mais le temps est également ralenti dans un champ gravitationnel puissant. Ainsi, plus on s’approche du centre de la terre, plus l’horloge bat lentement. La vitesse et le champ gravitationnel s’invitent dans la jigue insensée d’un monde à quatre dimensions tel que nous l’a concocté Einstein avec l’aide de Minkowski.

E=mc2 : c’est la formule mathématique la plus connue au monde. Aujourd’hui, elle a des applications dans le domaine du nucléaire, notamment pour la fabrication de piles ou de bombes atomiques. Par ailleurs, grâce à E=mc2, l’un des plus grands mystère du XIXe siècle a été résolu : c’est cette formule qui explique pourquoi les étoiles parviennent à briller, donc à émettre de l’énergie, pendant des milliards d’années. On le sait, grâce à Einstein : un même événement peut être vu différemment par deux personnes qui vont chacune défendre bec et ongles leur propre perception, se traitant peut-être respectivement de « frappadingue ». Plus dingue encore, nous explique Einstein, l’espace est forcément intimement mêlé à la notion de « temps ». De ces noces fantastiques naît l’image d’un espace-temps dynamique. L’espace-temps peut être visualisé comme une espèce de nappe, une entité dynamique, en tous cas, qui peut bel et bien être déformée par la masse des corps célestes qui s’y trouvent. Ou par leur énergie. Ce qui est finalement la même chose, selon la fameuse équation E=mc2 {selon laquelle une masse (m) multipliée par le carré de la vitesse ou « célérité » (c) de la lumière donne l’énergie (E)}

Nobel, schizophrénie, courages et projecteurs

En 1921, Einstein reçoit le Nobel pour (sic) « son explication de l’effet photoélectrique et ses contributions à la physique mathématique ». Pourtant, en filigrane, c’est bien de « relativité » qu’il s’agit, même si, officiellement, le comité Nobel ne présente pas la chose ainsi. Pourquoi tant de chichis ? Parce que le comité Nobel avait initialement pensé co-décerner le prix à Einstein, Poincaré et Lorentz. Or en 1921, Poincaré est mort depuis près de dix ans. Quant à Lorentz, il refuse que Poincaré ne soit pas cité. La situation est délicate, pour le comité Nobel qui aimerait récompenser le travail de celui qui est en train de devenir une des personnalités les plus populaires au monde.

Depuis l’éclipse de soleil de 1919, Einstein est devenu une incontournable star planétaire. Au lendemain de la première Guerre mondiale, les médias ont adoré au-delà du possible le fait que des savants britanniques vérifient la théorie d’un scientifique né allemand. Le mythe Einstein devait être récompensé. Ce sera chose faite.

Bien sûr, Einstein n’était pas un esprit isolé, tirant de nulle part des idées fantastiques. Ses pensées se font l’écho des grandes préoccupations de son temps et surtout, elles s’enracinent dans les travaux d’autres grands penseurs, comme Minkowski, Poincaré, Lorentz ou Hildbert. La Relativité d’Einstein semble par ailleurs difficilement dissociable des formules mathématiques de la première épouse d’Einstein, la surdouée des maths, Mileva Maric.

D’ailleurs, en 1921, lorsque Einstein se voir décerner le prix Nobel, Mileva Maric, dont il est séparé, mais pas divorcé, est très claire : il n’y aura pas de divorce, si elle ne touche pas l’intégralité de la récompense. Ainsi fut fait. L’argent devait compenser les années de travail dans l’ombre de son époux et devait permettre à Mileva de s’occuper des enfants Einstein, en particulier d’Eduard, qui développe, au début de l’âge adulte, une forme virulente de schizophrénie.

Des années durant, le couple Einstein a travaillé ensemble. Mais dès les premières lueurs du succès, en 1919, Einstein tourne le dos à sa brillante compagne avec laquelle il a eu trois enfants et a probablement accouché de la relativité, étant lui-même un piètre matheux. Adulé par les médias, Einstein devient tyrannique à la maison, interdisant à sa femme de s’approcher des projecteurs qui font la place belle au savant. Le fabuleux destin d’Albert Einstein qui se déroule sur les chaînes de télé finit de saborder l’union déjà vacillante des deux anciens camarades d’études.

Après le divorce, la très discrète Mileva, en proie, comme Eduard, à des démons psychiatriques, ne poursuivra pas sa carrière scientifique. Mère et fils seront d’ailleurs internés ensemble pendant qu’Einstein prend, très loin d’eux, des bains de foule dans le crépitement des flashs des photographes.

Mais Einstein n’a nullement besoin d’être jugé post-mortem. D’ailleurs, en fin de compte, ce n’est pas de justice, mais de courage qu’il s’agit ici. Or, les courages, il faut l’admettre, Albert Einstein, les a presque tous eus : il a eu le cran de soutenir la cause des noirs, d’aider à la naissance de l’État d’Israël, de tenir tête à la Gestapo, puis au FBI. Einstein est aussi celui qui écrira à Roosevelt pour lui proposer son aide dans la construction de la bombe atomique contre les Nazis ; c’est encore lui qui reprendra la plume pour supplier cette fois le même Président américain d’arrêter la bombe A.

Oui, les courages, Einstein les a presque tous eus. Mais rester auprès d’un fils et d’une femme souffrant de troubles de la personnalité, c’était au-dessus de ses forces. Contrairement à l’Univers et à la bêtise humaine, Albert Einstein n’aura eu d’autre option que de composer avec ses propres limites. Il laisse au monde un théorie puissante et merveilleuse, élaborée grâce à son regard totalement novateur. Ce regard, vous l’avez certainement vu plus souvent que vous ne le pensez : les yeux du très sage Yoda, dans la Guerre des Etoiles, sont la copie parfaite d’un modèle unique, le modèle einsteinien.

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