Le chercheur en biologie marine, Cyrille Przybyla, avec des bars à l'Ifremer. © DR

Des poissons élevés sur la Lune

Rosanne Mathot Journaliste

Le premier animal élevé et consommé dans l’espace pourrait bien être un poisson. Deux centres de recherche français planchent sur un singulier projet d’élevage en aquaculture en milieu spatial. La phase 2 de Lunar Hatch démarre cet automne, avant un lancement d’oeufs de poisson vers l’ISS, espéré en 2021.

Heureusement, il y en a toujours, des loufoques, des ingénieux, des originaux et des créatifs pour ne pas suivre les règles à la lettre. Dans le sud de la France, à Pa- lavas-les-Flots, le biologiste marin Cyrille Przybyla, de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), cingle à toute allure vers les étoiles, avec un projet inouï : élever des poissons d’aquaculture dans l’espace, pour que les spatio- nautes en mission céleste aient autre chose à se mettre sous la dent que les actuels repas lyophilisés, déshydratés, ratatinés, fourrés dans des boîtes de conserve ou dans des petits sachets peu appétissants.

 » Si on élevait des poissons sur la future base lunaire européenne (NDLR : le projet Moon Village vise à installer une première colonie humaine sur notre satellite d’ici à 2030), cela n’aurait que des avantages pour l’être humain « , commente Cyrille Przybyla, polo Ifremer au vent.  » Les poissons ne rogneront pas sur les espaces de vie des hommes et des femmes, pouvant être placés dans des tunnels de nage non pressurisés. Comme ils sont vivants et qu’il faudra s’en occuper, ils constitueront de plus un lien intime avec la Terre, un lien plus fort qu’avec des algues, des salades ou des bactéries. Les psychologues estiment que cela ne peut être que positif pour le moral des spationautes, tout en améliorant les apports nutritionnels et en dopant la santé des explorateurs de l’espace « , s’exalte le chercheur.

Vers une autonomie alimentaire

 » Le concept d’autonomie alimentaire d’une colonie spatiale sur la Lune ou sur Mars passera obligatoirement par la production locale d’aliments « , observe le biologiste marin titulaire d’un diplôme de mécanique céleste, obtenu à l’Observatoire de Paris. Jusqu’à présent, seules des productions d’aliments végétaux (tomates, salades ou pommes de terre) ont été expérimentées par les agences américaine et européenne, la Nasa et l’ESA, en milieu spatial. L’expérimentation de Cyrille Przybyla, portant sur un vertébré aquatique, est donc une première mondiale. Elle devrait faire l’objet d’une publication dans la revue scientifique Life Sciences in Space Research d’ici à quelques semaines .

En réalité, il y a déjà eu des poissons dans l’espace depuis la mission américaine SpaceLab de 1973. Mais l’originalité du projet Lunar Hatch est de se focaliser sur des poissons destinés à être consommés par des humains.  » L’idée est de recréer un maillon de vie dans l’espace, avec ce qu’on aura sous la main dans le futur village lunaire. L’élément premier dont on va avoir besoin, c’est l’eau. On sait qu’il y de l’eau solide aux pôles de la Lune, c’est pour ça que le Moon Village devrait être construit près d’un pôle. Il y a aussi, possiblement, de l’eau séquestrée dans une couche géologique souterraine. Il est probable que ces eaux lunaires soient fortement minéralisées, d’où le fait qu’on travaille tant avec des poissons d’eau saline que d’eau douce. On n’est jamais trop prévoyant.  » De l’eau liquide, on pourrait aussi en disposer grâce au régolithe lunaire, cette poussière rocheuse, riche en hydrogène et en oxygène, dont on pourrait extraire non seulement de l’eau (voir Le Vif /L’Express du 7 février dernier :  » Des Belges sur la Lune avant 2025 « ), mais aussi de l’oxygène.

CubeSat, ce nanosatellite développé pour réaliser l'expérimentation.
CubeSat, ce nanosatellite développé pour réaliser l’expérimentation.© DR

Des oeufs lancés dans l’espace

Au printemps 2019, l’étape n°1 du projet Lunar Hatch, nommée Lauve (Launch Vibration on Fish Embryo), a eu pour cadre le Centre spatial universitaire de Montpellier, avec le concours du LMGC (Laboratoire de mécanique et de génie civil) : 200 oeufs de bar et de maigre, fécondés à Palavas, ont été placés en milieu aquatique dans six nanosatellites – des CubeSat – développés avec le soutien de la Fondation Van Allen et des agences spatiales française (Cnes) et européenne (ESA). Les oeufs ont été soumis à des conditions similaires à celles d’un lancement de fusée Soyouz. Bilan ? Positif. Pas d’omelette, mais des oeufs éclos sans accroc.

 » S’il repart vers la Station spatiale internationale, nous aimerions que l’astronaute français Thomas Pesquet embarque cette expérimentation à bord de l’ISS « , explique le chercheur de l’Ifremer, qui estime que son projet sera fin prêt d’ici à 2021. Reste à voir si des larves soumises à un lancement spatial se développeront normalement, malgré la microgravité et les rayonnements cosmiques. C’est l’enjeu de la phase N°2 du projet, qui démarre cet automne. Une formalité, pour le biologiste marin :  » Absolument rien ne porte à croire que ces poissons extraterrestres présenteront des anomalies génétiques, mais nous allons reconduire notre expérience, en activant l’ARN (acide ribonucléique) maternel avant fécondation, pour voir s’il y a ou non des impacts.  »

Ce n’est pas par caprice ou par lubie que Cyrille Przybyla a opté pour un vertébré aquacole comme premier animal d’élevage possible dans l’espace : outre que les poissons présentent un excellent rapport de conversion alimentaire, ils requièrent trois fois moins d’oxygène que les vertébrés terrestres et émettent trois fois moins de CO2. De plus, les poissons s’intègrent parfaitement dans une logique d’économie circulaire, dans un milieu hostile doté de ressources limitées :  » Sous leur forme actuelle, les poissons existent depuis environ 38 millions d’années ! Ils ont vécu et se sont adaptés biologiquement à toutes les situations environnementales contraignantes possibles. De plus, toutes les études montrent qu’ils s’adaptent bien aux conditions spatiales. Au bout de trois ou quatre jours, les poissons n’ont plus le mal de l’espace « , qui se traduit par des nausées, des vomissements, de la faiblesse et de la nage en looping. Et le chercheur de conclure :  » Ce sont des animaux incroyablement résilients ! Ils sont parfaits…  »

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