Coronavirus: quels sont les enjeux du tracking ?
Le traçage sanitaire via les smartphones semble s’imposer pour accompagner le déconfinement à venir. Avec quelle efficacité ? Et quels risques pour nos vies privées ?
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La méthode est éprouvée dans de nombreux pays asiatiques qui ont connu l’épidémie du Sras. Grâce à l’intelligence artificielle, le tracking ou traçage médical peut rendre le déconfinement relativement plus efficace. La technique privilégiée en Europe serait celle du Bluetooth, ce message radio émis par un smartphone pour se connecter à un autre appareil. Une app installée sur les gsm permettrait à chacun, via le croisement des émissions Bluetooth, de détecter s’il est ou s’il a été en contact, à moins de deux mètres, avec une ou plusieurs personnes ayant déclaré, après examen médical, être atteinte du coronavirus ou susceptible de l’être. Cela permettrait de réagir – en se faisant dépister, par exemple – en fonction de ces contacts établis. La propagation serait ainsi mieux contrôlée.
La technique du Bluetooth n’est cependant pas sans faille, car elle n’est pas conçue, à la base, pour la mesure de distance. Le signal peut d’ailleurs varier si l’on porte son mobile à la main, en poche ou dans un sac, a expliqué au quotidien Le Monde un expert du Bluetooth. Et tous les modèles de gsm ne sont pas équipés des mêmes antennes. Bref, il y aura des faux positifs ou négatifs dans la détection de personnes infectées. En outre, ce tracking se fera très probablement sur base volontaire des utilisateurs de smartphones, comme c’est le cas à Singapour où moins de 15 % de la population seulement a téléchargé l’application, ce qui ne s’avère pas très efficace.
Bluetooth ou géolocalisation ?
Pour éviter une disparité des types de traçage, l’Union européenne tente de coordonner les différentes initiatives. Plus de 130 chercheurs à travers l’Europe (la KULeuven en fait partie) se sont alliés pour mettre au point un standard commun à l’UE, entre autres pour que les apps continuent de fonctionner en passant les frontières. Mais certains Etats membres font actuellement bande à part, la Pologne en particulier, qui, faisant fi du Bluetooth, impose un dispositif de géolocalisation (gps) permettant de tracer les personnes infectées ou susceptibles de l’être. Les Polonais récalcitrants subissent des visites à l’improviste de la police pour surveiller qu’ils respectent la quarantaine.
Le tracking met clairement en jeu la vie privée et la liberté individuelle. L’équilibre avec l’efficacité sanitaire sera délicat. En Belgique, un collectif de data scientists, ingénieurs et juristes, baptisé TFC19, a émis une dizaine de recommandations telles que l’anonymisation des données, la fin du dispositif à la sortie de crise, l’interdiction de collecter des données de géolocalisation, de conserver des données…
De son côté, le Parlement fédéral est bien décidé à s’emparer du débat, même en période de pouvoirs spéciaux. Plusieurs partis, dont le CD&V et l’Open VLD, se sont joints à une proposition de résolution d’Ecolo qui pose 25 balises. Parmi celles-ci, la transparence : l’application de tracking belge doit être open data (en accès libres aux usagers) et open code (accès libre aux codes et logiciels). Autre exigence : que les infos fournies par Bluetooth soient le moins centralisées possible par les opérateurs pour que ceux-ci ne puissent pas voir qui rencontre qui, au-delà des données sanitaires. Autant de garanties qui inciteront les Belges à adhérer au tracking, plus que les Singapouriens ?
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