Convertir l’excès de pression de l’eau en électricité : une école de promotion sociale bruxelloise l’a fait
Un robinet qui coule, une lampe qui s’allume : les étudiants d’une école de promotion sociale bruxelloise ont mis au point une hydroturbine capable de transformer la surpression de l’eau en électricité. Leur projet, primé, est à découvrir dans une exposition sur les pionniers énergétiques.
Et un jour, quelqu’un ouvrit le robinet. Celui des toilettes dans le couloir, pour autant que ce détail revête une quelconque importance. Nul ne se souvient exactement ni quand, ni qui. Mais celui-là, ce matin ou cet après-midi-là, trouva que ses mains étaient trop fortement aspergées. » Ici, nos étudiants ont tous une expérience professionnelle. Pas besoin de leur expliquer : sept bars, ils savent ce que c’est « , glisse Saïd Dhimdi, professeur de thermodynamique appliquée, hydraulique et pneumatique à l’IEPS d’Uccle. Car, vérifications faites auprès de l’intercommunale Vivaqua, l’eau s’écoulait donc avec une pression allant jusqu’à sept bars dans les tuyaux de cet institut bruxellois d’enseignement de promotion sociale. Là où trois auraient suffi.
Alors, quelqu’un commença à cogiter. Ses cogitations devinrent un sujet de mémoire. Ce mémoire gagna le prix du projet de développement durable le plus innovant, décerné par l’Ares, l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (et, cette date-là, personne ne l’a oubliée : le 23 novembre 2018). Ce prix engendra une présentation à Kuala Lumpur, en Malaisie, lors d’un colloque international sur l’environnement en février dernier. Ce colloque donna lieu à une publication dans une revue scientifique. Le tout aboutit dans l’exposition La Pile, consacrée aux innovations citoyennes en matière de production d’électricité, inaugurée en mai dernier à Bozar et désormais installée au Pianofabriek de Saint-Gilles, jusqu’au 16 septembre prochain.
Un robinet qui s’ouvre, une chasse qui s’enclenche et de petits spots LED dans le couloir de l’IEPS s’allument. Voilà. Saïd Dhimdi et ses étudiants ont conçu une minihydroturbine capable de convertir l’excès de pression de l’eau en électricité, qui est alors stockée dans des batteries. » C’est un système de rotation d’une roue qui active un alternateur « , détaille le professeur. La quantité de watts générés dépend du débit. » Pour un petit ménage, on peut imaginer une production de 10 kilowattheures par an, facilement. » Juste grâce à un robinet et à de l’eau qui coulerait de toute façon, même si cela reste une goutte comparé aux 1 660 kWh consommés en moyenne annuellement par chaque Belge. Une demande de brevet a été déposée. En attendant (sans doute encore six à huit mois), les futurs ingénieurs travaillent à l’élaboration d’un système à beaucoup plus grande échelle, utilisant une roue plus imposante. » Cela pourrait être prometteur pour l’industrie, l’Horeca, les boucheries, les abattoirs…, énumère-t-il. Des entreprises qui utilisent beaucoup d’eau. »
Le prix de l’Ares (une bourse de 10 000 euros) récompensait également un deuxième projet de recherche du professeur Dhimdi : la mise au point d’un tapis de production d’électricité. Ça se passe à nouveau dans les couloirs de l’institut de promotion sociale. Un sol, constitué de pochettes d’eau surmontées de dalles de bois, a été imaginé pour que la surpression engendrée par les pas des étudiants (7 000 tout de même, le plus gros établissement de promotion sociale en Fédération Wallonie-Bruxelles) puisse produire de l’énergie électrique. Qui peut soit être utilisée directement (dans l’école, le système alimente des lampes LED, comme pour la minihydroturbine), soit emmagasinée dans des batteries pour un usage ultérieur.
Sables mouvants
A voir la vidéo de démonstration, l’invention a pour l’instant davantage des allures de sables mouvants que de plancher aussi solide que lisse. Les futurs étudiants en électromécanique seront chargés de peaufiner le mode de fonctionnement. » D’ici deux ans, on devrait aboutir à une solution beaucoup plus au point. » Saïd Dhimdi imagine bien le tapis un jour recouvrir les sols de galeries et centres commerciaux, par exemple, ou de tout autre endroit où le flux de piétons est suffisamment élevé. En attendant, une autre demande de brevet a été déposée. Il n’existerait aucun système du genre ailleurs, hormis un projet français utilisant du quartz en lieu et place de l’eau.
» Le plus compliqué, c’était de ne pas trouver ce qu’il nous fallait sur le marché, au niveau matériel, raconte Saïd Dhimdi. Il a fallu acheter un peu par-ci, un peu par-là, en adaptant le mieux possible à nos besoins. » En commandant notamment des pièces en Chine, tant pis si ce n’est pas franchement durable-durable. » Mais il fallait y aller à l’économie et rester dans des coûts raisonnables. » La bourse de l’Ares (10 000 euros pour les deux projets) permettait peu d’extravagances budgétaires.
La candidature de l’IEPS avait été retenue parmi quatre-vingt-sept autres, dont la majorité émanait d’universités et de hautes écoles. » Nous avons été retenus comme le projet le plus innovant, ce qui est d’autant plus positif que l’enseignement de promotion sociale est souvent dénigré, car méconnu « , épingle Lina Martorana, directrice de l’établissement ucclois. Les profils des étudiants tranchent avec ceux habituellement rencontrés dans l’enseignement supérieur. Généralement entre 25 et 30 ans, non-diplômés au-delà du secondaire ou en quête de reconversion professionnelle, combinant boulot en journée et cours en soirée. Durant six ans, pour celui qui souhaite obtenir un master d’ingénieur.
» On essaie que tous les cours soient axés sur des projets, poursuit-elle. Les travaux doivent aboutir sur une réalisation pratique, soit une amélioration d’une technologie existante, soit une innovation. » » Des projets de recherche, on en a plein les tiroirs ! « , enchaîne Saïd Dhimdi. Qui cite une éolienne à double rotation horizontale et verticale, un système de climatisation automobile écologique par essorage de l’air… » On possède plusieurs brevets et on lance de nouvelles recherches énergétiques environ tous les deux ans. » Toutes n’aboutissent pas, l’école n’ayant pas les capacités de développement d’une spin-off universitaire. Mais si la minihydroturbine se retrouve finalement sur le marché, ce sera grâce à quelqu’un qui, un jour, avait ouvert le robinet des toilettes dans le couloir. Et ce détail aura alors acquis une certaine importance symbolique.
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