Comment l’homme est devenu l’Homme
Des chercheurs, dont des Belges, ont observé comment s’adaptent les chimpanzés, primates les plus proches de l’homme. Leur conclusion : c’est l’imprévisibilité qui développe le cerveau. Un chemin emprunté il y a bien longtemps mais qui reste le mécanisme de survie des primates, humains ou non humains.
C’est une recherche étonnante que vient de publier le magazine scientifique de référence Nature. Savoir comment l’espèce humaine est passée d’un spécimen avec un cerveau de taille moyenne, vivant uniquement l’instant présent de la survie en se nourrissant de cueillette et de pêche, jusqu’au dernier avatar d’homme moderne que nous sommes, est une énigme à laquelle se frottent les scientifiques. Il s’agit de temps très longs, sans doute des dizaines de milliers d’années, pour qu’une » branche humaine » pousse à part dans l’arbre de l’évolution des grands primates.
La variabilité environnementale, facteur de diversification comportementale et culturelle des grands singes.
A part des fossiles de squelettes relativement récents, on ne dispose d’aucun témoignage de la chose. C’est pourquoi des chercheurs tentent de reconstituer ce voyage en observant celui que font les chimpanzés, qui partagent 98 % de notre code génétique tout en disposant d’une plus petite boîte crânienne. » Les grands cerveaux et l’innovation comportementale sont des traits spécifiques à l’espèce. Ils sont corrélés et associés à la flexibilité comportementale dont les animaux ont besoin pour s’adapter aux habitats saisonniers et imprévisibles. Des défis écologiques similaires auraient été des moteurs importants tout au long de l’évolution humaine « , expliquent les auteurs, dont une équipe belge de l’université de Gand et une autre du zoo d’Anvers.
Diversité comportementale
Pendant des centaines d’heures, patiemment, les scientifiques ont donc observé en détail le comportement de cent quarante-quatre communautés de chimpanzés sauvages dans le monde. » Nous démontrons que les chimpanzés présentent une plus grande diversité comportementale dans des environnements qui offrent davantage de variabilité. La distance des refuges forestiers est associée à la présence d’un plus grand nombre de traits de comportement, y compris des comportements d’utilisation d’outils et de non-outils. Or, c’était précisément l’habitat des primates au Pléistocène (il y a environ 2,5 millions à 12 000 ans), qu’ils soient chimpanzés ou primates humains. Etant donné que plus de la moitié des comportements étudiés sont également susceptibles d’être culturels, nous suggérons que la variabilité environnementale était une force évolutive critique favorisant la diversification comportementale et culturelle des grands singes « , souligne la docteure Ammie Kalan, du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology de Leipzig, en Allemagne.
Craquer les noix, un gain d’énergie
» L’environnement dans lequel une espèce ou une population habite peut façonner les traits comportementaux et culturels qu’elle développe. Par exemple, avoir un plus large éventail de comportements pourrait aider les espèces à faire face à la variabilité environnementale au fil du temps. » Ammie Kalan et ses collègues ont testé cette relation en observant trente et un comportements de chimpanzés. Ils ont analysé si l’utilisation de certains comportements était liée à trois mesures différentes de la variabilité environnementale, à différentes échelles de temps : la variabilité des précipitations, l’utilisation de la savane par rapport à l’habitat forestier et la distance des refuges forestiers glaciaires.
Nous suggérons que la variabilité environnementale était une force évolutive critique favorisant la diversification comportementale et culturelle des grands singes
» Ces trente et un comportements ne sont pas universels pour tous les chimpanzés « , signale Ammie Kalan. » Certains de ces agissements se sont révélés adaptatifs aux conditions environnementales ou écologiques locales, comme l’utilisation de grottes et la baignade chez les chimpanzés de savane pour faciliter la thermorégulation pendant les périodes de stress thermique. Les comportements incluent également un certain nombre de traits liés à la quête de nourriture, où certains groupes apprennent à extraire des ressources particulières, souvent à l’aide d’outils. » De précédentes recherches ont démontré que le craquage des noix fournit aux chimpanzés un gain énergétique net substantiel et que la chasse assistée par un outil observée dans une communauté de chimpanzés permet aux individus moins forts, à savoir les femelles et les jeunes, de capturer et de consommer de la viande de vertébrés, elle aussi riche en énergie.
Une nouvelle perspective sur la diversité comportementale intraspécifique.
Des forêts refuges aux riches plaines
» Les résultats montrent que les populations vivant davantage éloignées des sites qui étaient des refuges forestiers pendant les cycles glaciaires du Pléistocène avaient des répertoires comportementaux plus diversifiés « , poursuit la docteure du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology. Les chercheurs voient dans ces résultats la preuve que les populations qui se sont éloignées des refuges au fil du temps sont plus susceptibles d’inventer de nouveaux types de comportements culturels que celles qui sont restées plus près des refuges forestiers. La diversité comportementale des chimpanzés était également plus élevée dans les populations des savanes par rapport à celles des habitats forestiers et dans les populations connaissant une plus grande saisonnalité des précipitations, ce qui suggère que la variabilité environnementale actuelle façonne également la diversité comportementale.
Les populations de grands singes qui se sont dispersées et se sont éloignées des refuges au fil du temps auraient non seulement été plus susceptibles d’innover mais aussi de conserver (y compris culturellement) des comportements supplémentaires, qui ont facilité l’adaptation à de nouveaux habitats. » Pendant ce temps, les communautés qui sont restées dans les refuges forestiers les plus stables peuvent avoir été plus statiques dans leur diversité comportementale « , un processus qui reflète potentiellement l’hypothèse selon laquelle une différenciation et une diversification minimales de la population sont prédites dans les refuges.
Ce qu’il faut en conclure pour l’Homme
Qu’en conclure pour les hominidés ? » Comme le comportement est difficile à reconstruire à partir de fossiles seuls, un cadre comparatif utilisant des primates non humains pour un aperçu de l’évolution humaine peut faciliter la recherche empirique « , précise Ammie Kalan. Par exemple, les babouins ont été proposés comme modèle pour l’évolution humaine en raison de leur large dispersion sur un continent ainsi que de leurs spécialisations comportementales et écologiques. Cependant, il est difficile de séparer les prédispositions génétiquement héritées des adaptations flexibles lors de la comparaison entre les espèces. » Par conséquent, la présente étude offre une nouvelle perspective sur la diversité comportementale intraspécifique en utilisant des chimpanzés, démontrant que les environnements fluctuants dans l’espace et dans le temps peuvent avoir été des moteurs importants de diversification comportementale et culturelle, en plus de la transformation en espèce, pour d’autres grands singes. Y compris les humains. »
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