Comment les futurs vétérinaires s’exercent désormais sur des mannequins (reportage)
Stérilisation, prélèvements, sutures, césarienne… des gestes autrefois appris par les étudiants de la faculté de médecine vétérinaire de l’ULiège sur des animaux vivants ou des cadavres. Aujourd’hui, grâce au Skill Lab, ils font leur armes sur des modèles en majorité faits maison.
C’est un laboratoire de compétence pas comme les autres. Au premier coup d’œil, on se croirait dans une sorte de musée Grévin peuplé d’animaux. Sauf qu’ici, cochons, vaches, chevaux, chiens, chats, tortues ou iguanes ne sont pas en cire. Le plus souvent en peluche, en plastique ou en silicone. Accrochée à la pince d’un statif, parfois juste une patte, reliée à une poche de sang. Ou, sur une table, quelques paires de testicules de chien tout juste retirées par des étudiants de Master 2. «Il va falloir réparer tout ça pour la prochaine session», sourit Sophie Tasnier, assistante à la faculté de médecine vétérinaire de l’ULiège.
Le Skill Lab est son «terrain de jeu». La majeure partie des mannequins présents dans les différentes salles de l’ancienne clinique des animaux de compagnie sont ses créations. «J’ai longtemps hésité entre l’art et la médecine vétérinaire. J’ai finalement réussi à concilier les deux.»
Créé en 2019 à l’initiative de la professeure Tatiana Art, aujourd’hui doyenne de la faculté, le Skill Lab est un lieu d’apprentissages alternatifs. Le fruit d’un alignement de planètes. «Jusque-là, les étudiants apprenaient les gestes techniques sur des animaux morts ou sur des animaux pédagogiques vivants ou de clients de la faculté. Faute de contingentement, nous avons été à un moment submergés d’étudiants. Nous manquions d’animaux, évoque Tatiana Art. Et puis, les mentalités dans le grand public, chez les étudiants et les enseignants ont beaucoup changé. On ne tolère plus qu’un futur vétérinaire pose son premier geste sur un animal en le ratant ou en le faisant souffrir.» A cela se sont ajoutés des infrastructures qui se libéraient et un budget, inespéré, de cent mille euros.
Les premiers mannequins sont alors achetés aux Etats-Unis. Avec toutes les difficultés inhérentes: délais, prix exorbitants, frais de douane, étude de marché (l’université est soumise au système de marché public)… Pour un choix d’animaux finalement limité. «Il fallait être très motivé pour entreprendre toutes ces démarches et créer ce labo, se souvient la doyenne. Alors on a commencé à créer des choses nous-mêmes. Je crois qu’on stupéfierait le monde entier en montrant la qualité des mannequins de notre laboratoire par rapport au prix dépensé. Grâce à Sophie…» Qui récupère tout ce qu’elle peut, passe des heures sur Marketplace et fait preuve d’une ingéniosité qui surprend chaque jour ses collègues.
Ce n’était pourtant pas gagné d’avance… «Au début, nos collègues cliniciens étaient sceptiques, sourit Tatiana Art. Beaucoup n’imaginaient pas apprendre à leurs étudiants à faire des manipulations sur des peluches ou des bêtes en caoutchouc qui, pour eux, n’offriraient pas les mêmes sensations que le vivant. On est toutefois parvenus à respecter de nombreux paramètres: repères anatomiques, consistance et texture des tissus, finesse de certaines parois, etc. Les étudiants adorent et sont rassurés de pouvoir d’abord s’exercer sur des mannequins ; les profs sont conquis. On a même réussi à bluffer nos collègues médecins venus visiter le labo…»
Ne leur manquerait-il pas seulement la parole et le geste, à ces animaux? «Nous ne sommes pas des savants fous qui décidons que ce serait rigolo de faire ceci ou cela, tempère la professeure. L’important est de commencer par les essentiels. Mais ce ne serait pas impossible, il faudrait plus de technicité, d’électronique. Certains modèles de chiens contiennent déjà des amplis qui permettent une auscultation cardiaque. Nous étudions aussi l’utilisation de récepteurs sensibles à certaines pressions qui pourraient déclencher un gémissement, une toux ou un mouvement. Je pense également sérieusement à équiper la salle dédiée aux porcs d’un haut-parleur qui diffuserait leurs cris. Parce que le cri du cochon est extrêmement inhibiteur. Quand il se met à hurler, il faut s’accrocher pour continuer à le soigner.»
Avant cela, l’équipe du Skill Lab compte étoffer sa «ménagerie» pour initier les étudiants aux gestes de dentisterie et à la pratique de péridurales. «Nous avons touché à un peu toutes les espèces en rendant possibles les gestes basiques. Désormais, l’objectif est d’évoluer vers davantage de spécialisations», conclut Sophie Tasnier. Pour continuer à être «l’un des plus beaux Skill Lab d’Europe».
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