Comment la 5G va changer nos vies
Annoncée comme le moteur de la quatrième révolution industrielle, la cinquième génération des réseaux mobiles pourrait faire basculer le monde en moins de dix ans. Bien plus performante que la 4G, elle touchera presque tous les secteurs d’activité. Autopsie d’une rupture technologique, économique et sociétale.
Au loin, le balai des grues du port, entièrement robotisé, ressemble à une immense fourmilière téléguidée. Le son d’une notification vous sort de vos pensées, pendant que votre voiture autonome vous emmène au bureau. L’agenda de la matinée s’affiche sur le pare-brise, à côté de la météo. Pour commencer, une téléconférence avec un partenaire japonais. L’appli de traduction simultanée se chargera de faciliter vos échanges. Le week-end s’annonce plus sympa : vous aviez promis au fiston d’assister à un Real-Barça plus vrai que nature, depuis la maison, casques de réalité virtuelle vissés sur la tête. Un billet » VR 360 « , c’est plus cher, mais ça vaut le coup. A tout moment, vous pouvez passer de la projection tribune à la vue joueur, comme si vous étiez sur la pelouse. Un nouveau bip met fin à vos songes. Un drone rouge et jaune de réanimation file à toute vitesse au-dessus de la voiture, qui s’écarte un peu plus tard pour laisser passer l’ambulance. Encore huit minutes avant d’arriver. Juste le temps de vérifier que tout va bien à la maison : votre Home Companion a fini de passer l’aspirateur et vient de laisser sortir le chat.
Un tel quotidien n’est pas pour l’année prochaine. Mais au départ de tous ces usages, il y a bel et bien la 5G. Après les échanges vocaux (1G), les sms (2G), la navigation sur Internet (3G) et le streaming en haute définition (4G), la cinquième génération des technologies de communication mobile annoncerait une tout autre rupture. Technologique, économique et sociétale. » Cette fois, nous mettons au point un système qui ne concerne pas que les utilisateurs de smartphones, mais aussi l’industrie et le monde des entreprises « , s’enthousiasme Erik Ekudden, directeur de la technologie au QG d’Ericsson, à Stockholm, où Le Vif/L’Express s’est rendu pendant deux jours. Le groupe suédois est, avec le chinois Huawei et le finlandais Nokia, l’un des trois grands équipementiers de la 5G à l’échelle mondiale.
Les possibilités de la 5G dépassent les contraintes des réseaux exclusivement filaires ou des connexions utilisant des fréquences sans licence, comme le wifi ou le Bluetooth. Contrairement aux précédentes générations, son règne ouvre la voie à la gestion en temps réel de villes intelligentes et d’opérations critiques dans les industries, dans un monde où tout deviendrait connectable à grande échelle. » Avec la 5G, on entre dans ce que l’on appelle un système cyberphysique, résume Jean-Michel Dricot, professeur à l’Ecole polytechnique de l’ULB. On prend des données issues du monde physique pour les traiter de manière logicielle et renvoyer instantanément une action vers le monde physique. » Tout cela grâce à une architecture de réseau beaucoup plus flexible et intelligente, calibrée à l’ère de la data. Si la précédente décennie a permis d’en accélérer la collecte, la prochaine devrait révolutionner la réactivité et la prise de décisions guidées par l’intelligence artificielle, à l’image des réseaux électriques intelligents.
Les trois promesses de la 5G
Que promet cette nouvelle génération ? D’abord, un débit de données bien plus rapide, jusqu’à vingt fois supérieur à la 4G. Quelques secondes suffiraient à télécharger un film en ultra-haute définition. Une vitesse indispensable pour utiliser les futures technologies de réalité augmentée ou de réalité virtuelle, qui consomment plusieurs gigabits à la minute. Ensuite, une latence d’environ une milliseconde. C’est cent fois plus rapide que le clignement d’un oeil et dix fois plus que la 4G dans des conditions optimales. Il s’agit du temps nécessaire pour que des données transitent de la source jusqu’à la destination à travers un réseau. Cette avancée s’avère cruciale pour des applications où la stabilité et la réactivité constituent une priorité absolue. Face à une situation inattendue, une voiture autonome doit par exemple pouvoir prendre une décision instantanée, ce qui suppose une latence extrêmement faible. Enfin, une densité d’appareils connectés dix fois supérieure : la 5G permettrait ainsi de gérer jusqu’à 2,5 millions d’appareils au km2, contre 250 000 pour la 4G. De quoi assurer l’essor de l’Internet des objets.
Fin 2020, le marché global de la 5G devrait peser 4,2 milliards de dollars (3,8 milliards d’euros), selon la société américaine Gartner, soit presque deux fois plus que l’année dernière. C’est en Corée du Sud que la 5G s’est propagée le plus rapidement, dès avril 2019. Depuis lors, elle a entre autres conquis plusieurs villes américaines, chinoises, suisses ou encore allemandes. En Belgique, son émergence s’avère plus compliquée.
Dans un premier temps, la 5G restera marginale : il faudra encore quelques années avant que le réseau couvre tout le territoire. A court terme, le coût des abonnements à venir risque aussi d’être prohibitif, tout comme celui des premiers appareils – comptez au minimum 900 euros pour un smartphone compatible avec la 5G. » Avant de s’approprier la technologie, la plupart des entreprises regarderont d’abord si le succès est au rendez-vous auprès du grand public « , relève Jasmeet Seth, directeur du ConsumerLab chez Ericsson. Mais tout semble indiquer qu’elle réussira à se rendre indispensable, comme la 4G. » En 2013, nous prédisions 2,6 milliards d’abonnements à la 4G pour 2019 ; il y en a finalement eu 4,3 milliards « , complète son collègue Patrick Cerwall, directeur du marketing stratégique. Ces dernières années, la consommation mensuelle de données mobiles a, elle aussi, explosé. La moyenne de 7,2 GB par utilisateur observée en 2019 s’avère largement supérieure au 2,2 GB initialement attendus. Et bien en deçà des 25 GB par mois annoncés à l’horizon 2025 – 35 GB en Europe de l’Ouest. A la même échéance, Ericsson avance que la 5G couvrira 55 % de la population mondiale et la 4G, 90 %.
Vitesse, service, sécurité
Mais la population en est-elle vraiment demandeuse ? L’année dernière, le géant suédois a sondé 35 000 utilisateurs de smartphones dans 22 pays, dont la Belgique. L’échantillon serait représentatif de l’avis d’un million de personnes. Tous les feux seraient au vert pour passer à la 5G. Quatre utilisateurs sur dix estiment que leur vitesse de connexion sur supports mobiles n’est pas assez rapide – idem en Belgique. Et la moitié des consommateurs seraient prêts à payer jusqu’à 20 % de plus pour bénéficier de la 5G. En contrepartie, ils attendent entre autres une vitesse élevée et constante (49 %), la création de nouvelles applications (43 %) et la garantie d’être protégés de cyberattaques (36 %). Le pari n’est pas simple pour autant. En Corée du Sud, le bulletin de la 5G au quotidien serait plutôt mauvais après huit mois d’activité : couverture trop partielle, débit décevant, peu de services proposés… L’expérience devrait toutefois s’améliorer au fil des mois, quand d’autres pays entreront en scène.
Voilà pour le contexte. La 5G sera-t-elle à la base de la quatrième révolution industrielle, comme le prétendent ses développeurs ? » A chaque génération, on annonce une révolution, tempère Jean-Michel Dricot. En matière d’innovation, l’histoire démontre que nous sommes relativement mauvais pour prédire les choses. Dans certains feuillets présentant le potentiel de la 5G, le contenu est même à 80 % identique aux versions éditées pour la 4G. » Yves Deville, professeur à l’UCLouvain et spécialiste de l’intelligence artificielle, abonde dans le même sens. » On a toujours eu tendance à surestimer l’effet d’une technologie à court terme, tout en sous-estimant son effet à long terme. Une des toutes grandes révolutions de ces vingt dernières années, ce sont bien les communications. Mais au début des téléphones portables, personne ne pensait que l’on serait connecté en permanence dix ans plus tard. » Dans les années 1980, le cabinet McKinsey avait, par exemple, annoncé à l’opérateur AT&T que les nombreux défauts des téléphones portables en limiteraient l’usage à seulement 900 000 unités dans le monde au tournant des années 2000. Leur commercialisation fut finalement cent fois supérieure à cette même échéance.
Impossible, dès lors, de savoir où nous mènera exactement la 5G. En revanche, son rôle semble taillé sur mesure pour les quatre grands domaines.
Après des mois d’incertitude, l’horizon semble se dégager pour la 5G en Belgique. Jusque il y a peu, l’absence persistante d’un gouvernement fédéral de plein exercice bloquait le processus d’attribution des licences pour la 5G. Cette étape indispensable consiste à distribuer les rares bandes de fréquence encore inutilisées via une mise aux enchères. Le 31 janvier dernier, l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT) a finalement proposé une solution provisoire. Il s’agit d’octroyer une bande de fréquence temporaire aux opérateurs intéressés, pour l’été prochain. Dans la foulée, Proximus a annoncé qu’il serait » certainement candidat « , ce que n’ont pas encore confirmé les deux autres grands acteurs du marché, Telenet et Orange. Ce dernier a rappelé la nécessité d’opter pour l’allocation de licences à long terme, vu l’ampleur des investissements requis.
Autre point sensible : la question des normes de rayonnement des antennes, qui diffèrent d’une région à l’autre. Celles-ci sont beaucoup plus restrictives que celles recommandées par la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP). Plus encore dans la capitale, où le développement de la 5G serait pratiquement impossible avec le seuil actuel. Le gouvernement bruxellois devra donc les revoir à la hausse prochainement. Le 6 février, les députés MR du parlement bruxellois (dans l’opposition) ont déposé une proposition d’ordonnance en ce sens, en parallèle à une proposition visant à créer un fonds de prévention des risques sanitaires liés à l’exposition aux ondes électromagnétiques.
Le nombre de Belges que estiment que leur vitesse de connexion actuelle sur supports mobiles n’est pas assez rapide.
C’est la part de la population mondiale qui pourrait être couverte en 5G en 2025.
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