Thierry Fiorilli
C’est beau comme la nuit noire, par Thierry Fiorilli (chronique)
98% des gens en Europe et aux Etats-Unis ne parviennent plus à voir la Voie lactée ni même l’étoile polaire.
Emmanuel Jehin, astronome à l’ULiège, le dit mieux que quiconque: « Le ciel est en train de s’effacer. » L’autre jour, sur La Première, il intervenait comme on jette une bouteille à la mer. Sauf que la mer, ici, c’est nous et les pouvoirs publics. Et que le message dans la bouteille tient en une phrase: « Rendez-nous des nuits noires! » Pour qu’on puisse à nouveau scruter les brillances de la voûte céleste. « En Belgique, il n’y a plus aucun endroit d’où l’on peut voir un ciel noir comme le voyaient nos arrière-grands-parents il y a moins de cent ans. En Europe, on n’a plus que des réserves de ciel noir qui se comptent sur les doigts d’une main. On estime que 98% des gens en Europe et aux Etats-Unis ne parviennent plus à voir la Voie lactée ni même l’étoile polaire, et que 85% de la population mondiale vivent sous des cieux lumineux et pollués. »
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Pollués par la lumière qui émane de la Terre. Celle qu’on allume le soir, à la maison, dans le jardin, sur les routes, dans les villes, sur les monuments, dans les aéroports, les usines, les mines à ciel ouvert, les stades. Les led, notamment: plus faciles à installer, moins chères, elles font qu' »on suréclaire », alors qu’elles étaient censées contribuer aux économies d’énergie. Concrètement, « plus de 20% de cette lumière s’échappent vers le ciel ». Outre que ça perturbe l’écosystème (insectes, papillons, chauves-souris, oiseaux migrateurs, etc.), ça fait qu’on ne parvient plus à trouver un coin tranquille, où règne l’obscurité totale, pour profiter des lumières qu’allume le ciel. Les astronomes professionnels en ont bien dégoté par-ci par-là – les « réserves de ciel noir », dit joliment l’astronome liégeois -, comme dans le désert d’Acatama, au Chili. Ils y ont bien déplacé leurs télescopes, « pour s’éloigner le plus possible de la civilisation », rien à faire: la lumière rattrape toujours l’obscurité. Elle la grignote, elle la ronge, elle la dévore. Elle la colonise. Même depuis le coeur d’un désert, elle rayonne tellement qu’elle se reflète pratiquement dans le ciel, au point d’en devenir trop lumineux, avec plus assez de noir sur la toile pour qu’on puisse encore en distinguer les scintillances.
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Alors, on a sonné l’alerte. Le ciel étoilé est devenu partie intégrante du patrimoine mondial, à préserver par l’Unesco. En France, l’ Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes, a décerné des centaines de fois le label « Villages et villes étoilées » à ceux et celles qui ont fourni le plus d’efforts pour réduire leur pollution lumineuse. Chaque année, on organise un peu partout La Nuit des étoiles, en août, et désormais aussi La Nuit de l’obscurité – ce sera le 9 octobre (1). On met en place des systèmes d’éclairage public malins – qui ne s’allument qu’après détection d’une présence, qui sont munis d’abat-jour, dont la couleur est plus pâle, plutôt au sol qu’en l’air, pas tout le temps, pas partout, etc.
Pour que nos nuits ne soient plus privées d’étoiles.
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