« Avec la 5G, la consommation d’énergie va exploser »
La 5G sera-t-elle un gouffre énergétique ? Pour Anne-Cécile Orgerie, chercheuse au CNRS, seule une prise de conscience des utilisateurs de la nouvelle génération de réseaux de téléphonie mobile permettrait d’éviter un autre fiasco environnemental.
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D’après le dernier rapport du think tank The Shift Project (1), le numérique émettrait aujourd’hui 4 % des gaz à effet de serre du monde, soit plus que l’aviation civile. L’arrivée de la 5G risque-t-elle d’accentuer ce phénomène ?
A l’origine, la 5G, contrairement aux générations précédentes de téléphonie mobile, vise précisément à répondre à un souci énergétique. L’informatique et le secteur des télécommunications utilisent essentiellement de l’électricité, dont il est très difficile de mesurer l’impact CO2, puisque tout dépend de sa provenance. Au regard de l’évolution des besoins, la 5G sera bien plus puissante et plus efficace en énergie que la 4G. Il est entre autres question de mode de veille dans les antennes, ce qui n’existe pas dans les générations actuelles. Un serveur de datacenter consomme 50 % de sa puissance maximum à ne rien faire. Pour les équipements de télécommunication, cette consommation à ne rien faire peut grimper à 90 %. L’apparition du mode veille devrait faire baisser la consommation de manière conséquente. Il s’agit là, du moins, des voeux pieux du début. Reste à voir comment ce sera déployé, installé et géré par les opérateurs. Un algorithme devra déterminer quand et comment la mise en veille aura lieu. Et c’est cela qui conditionnera, dans les faits, le gain d’énergie réel.
Nos clics n’ont pas pour nous un coût monétaire, mais bien un coût énergétique.
Si le vaisseau qu’est la 5G pourrait s’avérer plus économe, que dire des usages qu’elle va induire ?
Avec l’augmentation de la bande passante par utilisateur, nous allons très probablement assister à une explosion des usages, et donc de la consommation de ressources. On le voit déjà depuis plusieurs années avec le streaming. La tendance devrait s’accentuer : l’imagination des concepteurs d’objets connectés mène à des services toujours plus nombreux, qui deviennent ensuite des besoins pour une part de plus en plus grande d’utilisateurs. Tout cela contribue à ce que l’on appelle l’effet rebond du numérique (NDLR : son impact environnemental direct et indirect au regard d’une utilisation de plus en plus intensive).
Un statu quo à la 4G, moins performante, ne serait pas une solution pour autant…
Si les usages continuent d’augmenter, non. Prenons l’exemple de l’émergence des véhicules connectés : il serait encore plus coûteux sur le plan énergétique de multiplier les antennes 4G nécessaires pour garantir un niveau de service acceptable.
Les acteurs de la 5G suivent aussi l’essor de l’Internet des objets.
L’engouement est réel. Ces objets vont à présent de la brosse à dents au frigo, aux ampoules ou aux chaussettes connectées. Ils ne sont pas nécessairement conçus pour être économes en énergie. Et leur utilité peut sembler pour le moins questionnable. Tous vont pourtant émettre des ondes, utiliser des ressources et se connecter à des services hébergés dans le cloud. Une étude d’une entreprise américaine épingle entre autres les thermostats connectés dans les maisons : le nombre de connexions de ces objets devient aujourd’hui très conséquent, à tel point qu’une antenne gérant ce type d’équipements ne pourrait pas se mettre en veille. En plus, ces équipements font appel à de l’intelligence artificielle, et donc à des machines tournant en permanence dans le cloud.
Des solutions technologiques pourraient-elles neutraliser, dans un avenir proche, l’empreinte énergétique produite par l’explosion des usages du numérique ?
En matière de recherche, je suis assez dubitative. On parle ici d’un modèle économique complet, qu’il est difficile d’enrayer sans un changement d’usage des utilisateurs. Précisément parce que ceux qui achètent de tels équipements s’attendent à ce que les opérateurs proposent un service parfait.
Comment mettre en oeuvre un tel changement ?
D’abord en faisant prendre conscience à l’utilisateur de l’impact qu’a son usage du numérique… Prenons l’exemple du stockage de photos en ligne, l’un des services les plus anciens : la plupart des personnes n’ont pas conscience que leurs photos sont stockées plusieurs fois pour éviter toute perte en cas de crash d’un serveur, même si celles-ci datent d’il y a dix ans et qu’elles ne seront plus jamais regardées. Nos clics n’ont pas pour nous un coût monétaire, mais bien un coût énergétique. Il faut supprimer ces photos et ces anciens mails que l’on ne regardera plus, éviter d’envoyer des messages avec des pièces jointes inutiles et essayer d’avoir une utilisation plus raisonnée à la maison, notamment via l’usage de prises avec interrupteur on-off. C’est ce que le think tank Shift Project appelle la sobriété numérique.
Ne faudrait-il pas, à cet égard, limiter des technologies comme la 5G aux seuls acteurs qui en tireraient un réel besoin ?
A ma connaissance, la 5G a d’emblée été pensée pour une approche grand public. Le problème avec les réseaux de télécommunications, c’est que les opérateurs sont obligés d’une part de proposer de nouvelles solutions, et d’autre part de maintenir les anciennes infrastructures pour des raisons de compatibilité. La 2G, la 3G, la 4G continueront d’être opérationnelles. Il en va de même pour les protocoles de réseaux sur Internet. A-t-on vraiment besoin, à terme, de maintenir les anciennes générations de réseaux ? Les abandonner serait une mesure politique forte. Mais a priori, il n’existe pas d’étude qui réponde à cette question.
Les acteurs du numérique vous semblent-ils demandeurs d’une transition technologique soucieuse de préserver les ressources énergétiques ?
Le principal incitant au changement est le coût de l’électricité. Avec l’explosion de l’utilisation des réseaux et des clouds, les opérateurs ont un besoin de plus en plus urgent de réduire le coût lié à ces infrastructures complexes, et notamment celui de l’électricité. Aujourd’hui, je les trouve beaucoup plus demandeurs de solutions, ne serait-ce que pour évaluer la consommation énergétique d’un service. Une condition indispensable pour tenter, ensuite, de le rendre plus économe.
(1) The Shift Project est un think tank français prônant une » économie libérée de la contrainte carbone « . Ses rapports sont disponibles à l’adresse suivante : www.theshiftproject.org.
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