Après la mort de Jésus, quelle place pour les femmes ?
Après la mort de Jésus, ses conceptions égalitaires originales perdurent un temps : des femmes prophétisent, enseignent l’Evangile, participent aux repas rituels. Mais une relecture hellénisée de la révélation change bientôt la donne.
Qu’est devenue, après la mort de Jésus, la communauté égalitaire originale qu’il a mise en oeuvre, avec des femmes disciples ? La présence, aux côtés des apôtres rassemblés dans la » chambre haute « , leur » QG » à Jérusalem, de Marie de Nazareth et des frères de Jésus est signalée au début du livre des Actes (Ac 1, 14). Par la suite, les ralliements » d’hommes et de femmes » se multiplient (Ac 5, 14). Une égalité des sexes qui concerne aussi la persécution : Saül, le futur Paul, fait jeter en prison hommes et femmes qui adhèrent au message du Christ (Ac 8, 3).
Après la conversion de Paul, la Bonne Nouvelle est transmise en pays païens par lui-même et par d’autres prédicateurs. Des femmes émancipées de la haute société juive de la diaspora se montrent alors très actives. » Dans le monde gréco-romain, les femmes d’une certaine influence, de famille reconnue, connaissent une période où leur autonomie ne choque personne « , indique Marie-Françoise Baslez, historienne des premiers temps du christianisme, auteure de Comment notre monde est devenu chrétien (Seuil, 2011). » Les choses vont se gâter au début du IIe siècle, quand le rôle des pater familias, ces chefs de clans de grandes familles, se renforce. »
Junia, Prisca, Phoebé et Lydie
Des femmes influentes réunissent chez elles les premiers groupes chrétiens
Parmi les femmes qui occupent une place de premier plan dans les communautés chrétiennes fondées par Paul de Tarse, il y a Junia, qualifiée d' » apôtre éminente » (Ro 16, 7), au même titre que son mari. Apostolos était alors la première des fonctions ministérielles chrétiennes. A Ephèse, cité grecque d’Asie mineure, les conjoints Prisca et Aquilas, collaborateurs de Paul, enseignent à Apollos, un brillant orateur juif originaire d’Alexandrie, » la Voie » prônée par Jésus et ses disciples (Ac 18, 26). Ils auraient donc rang de docteur, et Prisca est nommée avant son mari, ce qui est très inhabituel à l’époque. Une certaine Phoebé, affairiste pleine d’entregent, grande voyageuse convertie au Christ, patronne l’activité du Tarsiote, le représente en justice et témoigne de sa citoyenneté romaine. Autour d’elle se constitue, à Cenchrées, l’un des deux ports de Corinthe, une communauté chrétienne. Bien plus tard, Paul la recommande aux Romains comme » notre soeur, ministre de l’Eglise de Cenchrées » (Rm 16, 1-2). Il y a aussi Lydie, marchande de pourpre à Philippe, ville de Macédoine (Grèce). Elle réunit chez elle et autour d’elle le premier groupe chrétien de la ville. » Luc la dépeint comme une femme chef de famille, chef d’entreprise devenue, sous l’influence de Paul, chef d’Eglise « , note Marie-Françoise Baslez.
On sait aussi, grâce aux Actes, que les quatre filles de Philippe, Juif helléniste et l’un des sept premiers diacres de l’Eglise primitive de Jérusalem, prophétisaient (Ac 21, 9). En outre, les femmes sont conviées aux repas rituels et communautaires, selon l’usage institué par Jésus. Les banquets eucharistiques se tiennent souvent dans les maisons de femmes influentes. Toutefois, Paul exhorte les Corinthiens à plus de convenance lors de leurs agapes fraternelles. Car la liberté des femmes enseignée par Jésus produit quelques débordements dans cette grande cité portuaire soumise à toutes les influences religieuses, où la prostitution sacrée est à l’honneur. Paul y découvre ce que nous désignons aujourd’hui comme le tourisme sexuel. La grande peur de Paul est que les réunions des chrétiens se transforment en orgies, semblables à celles du culte d’Isis. Hommes et femmes ne peuvent, sans scandale social, se mélanger dans des liturgies chrétiennes échevelées.
Réduites au silence
A Corinthe éclate ainsi l' » affaire du voile » (1 Co 11, 1-16), qui a une résonance très actuelle : Paul déplore que les chrétiennes de la ville, emportées par leur ivresse mystique, rompent les coutumes sociales en parlant en public sans porter le voile. Dès lors, les femmes ne peuvent plus prier et prophétiser la tête non couverte (1 Co 11, 13). Bientôt, ordre est donné » que les femmes se taisent dans les assemblées (1 Co 14, 34). » Si elles veulent s’instruire, décrète Paul, qu’elles interrogent leurs maris à la maison » (1 Co 14, 35). Les prophétesses sont priées de se taire sous peine de se voir déclarées » fausses prophétesses « . Sept ou huit ans plus tard, il confirme ses instructions dans ses lettres à Timothée, à Ephèse : » Que la femme apprenne en silence, avec une entière soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni d’exercer de l’autorité sur l’homme. » (1 Ti 2, 11-12).
Ces quelques phrases tirées de ses Epîtres indignent le lecteur du XXIe siècle et bon nombre de commentateurs en déduisent que Paul est profondément misogyne. Toutefois, certains spécialistes suggèrent qu’il restreint le ministère de la femme seulement dans certaines situations particulières, pour ne pas heurter la culture locale. D’autres avancent que Paul impose le silence aux femmes parce qu’elles étaient les plus vulnérables face aux faux enseignements, du fait de leur peu d’instruction. » Paul n’innove pas, estimait l’historien Alain Decaux dans sa biographie L’avorton de Dieu, une vie de saint Paul (Perrin). Le port du voile est alors une habitude quasiment universelle. Faut-il lui en vouloir dès lors que l’on sait que les prostituées de Corinthe et les bacchantes en folie allaient tête nues ? Que, dans les synagogues, les femmes étaient reléguées loin derrière les hommes ? »
» La réalité, estime toutefois le théologien et essayiste Didier Long, c’est que l’intimité libre de Jésus avec les femmes n’est pas généralisable. Le Royaume proclamé devient une utopie, une idée directrice, selon une lecture hellénisée du judaïsme. Il ne reste plus grand-chose du message de Jésus d’égalité entre hommes et femmes. »
Le témoignage des femmes dérange
Certes, pour Paul, » hommes et femmes ne font qu’un en Jésus-Christ « , comme il le proclame dans sa lettre aux Galates (Ga 3, 28). A propos du couple, il reconnaît que, » devant le Seigneur, la femme est inséparable de l’homme » et vice versa. Devant le Seigneur… mais, sur cette terre, » le chef de la femme, c’est l’homme » (1 Co 11, 3). Signe des temps : Marie de Magdala, premier témoin de la résurrection, n’est pas citée par Paul dans la liste de ceux qui ont vu Jésus ressuscité. Aux Corinthiens, il écrit que le Christ » est apparu à Céphas (Pierre), puis aux Douze, puis à plus de 500 frères à la fois… » En clair, le témoignage des femmes le dérangeait déjà vers 55 de notre ère.
Une trentaine d’années plus tard, dans l’Evangile et les Actes des apôtres attribués à Luc, médecin syrien d’Antioche et compagnon de Paul, la primauté accordée à Simon-Pierre se confirme. A la fin de l’Evangile, il est indiqué que les disciples d’Emmaüs, de retour à Jérusalem, retrouvent les Onze – Judas n’a pas encore été remplacé – et leurs compagnons, et que les apôtres leur disent que » Jésus est apparu à Simon « . Marie de Magdala n’est pas mentionnée, alors qu’elle est le premier et principal témoin de la résurrection, et que les textes montrent que les femmes ont cru immédiatement, alors que la démarche des hommes a été plus laborieuse.
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