L'Europe plus proche de ses citoyens ? L'inverse est également souhaitable . © Ana Fernandez/belgaimage

« We Europeans », la campagne qui vole au secours de l’Europe et de la démocratie

Olivier Mouton Journaliste

Un entrepreneur français veut rapprocher citoyens et politique. Une fonctionnaire italienne espère donner un souffle nouveau à ce projet européen bien mal en point. Ensemble, ils ont lancé We Europeans, une campagne sans précédent pour engendrer des idées constructives. Et ça marche…

C’est l’histoire d’un entrepreneur français qui, à l’heure d’aborder la cinquantaine, décide de réorienter son énergie vers la sauvegarde de notre démocratie. Axel Dauchez fut directeur général du service de streaming musical Deezer, puis patron de la branche française de l’agence Publicis, après une carrière bien remplie dans la communication. Passionnante, mais arrivée au terme d’un cycle.  » Comblé au niveau de ma vie privée, j’ai soudain eu besoin de redonner du sens à ma vie professionnelle, nous raconte-t-il. Je suis parti du constat que nos élus se déconnectent de leur population. Il y a une baisse radicale de la confiance, les gens croient de moins en moins que le vote peut changer les choses. C’est le lit sur lequel naissent les mouvements extrémistes. Si on ne réinvente pas rapidement la manière dont les gens interagissent, nos démocraties vont mourir.  »

Les dix citoyens auteurs de solutions ont été reçus au Parlement européen.
Les dix citoyens auteurs de solutions ont été reçus au Parlement européen.© dr

Il y a deux ans et demi, Axel Dauchez crée donc une start-up baptisée Make.org. Objectif ? Développer une plateforme multimédia pour intégrer davantage, et à tout moment, l’avis des citoyens dans le processus démocratique.  » Nous avons inventé une manière facile d’y arriver. C’est une philosophie orientée vers le consensus populaire. Le système politique s’est construit, au fil du temps, autour des clivages, mais on constate que ça ne fonctionne plus pour trouver des solutions aux urgences de notre époque. Nous proposons de travailler plutôt au départ des idées sur lesquelles une majorité peut se retrouver.  » Make.org est une plateforme numérique et  » un accélérateur d’intérêt général « . Cette société organise des consultations en ligne et met les algorithmes au service de la recherche des propositions constructives qui recueillent le plus d’adhésion populaire.

Le nouveau chemin d’Axel Dauchez devait croiser un jour celui de Francesca Ratti. Longtemps secrétaire générale adjointe du Parlement européen, où elle était directrice de l’information, cette politique italienne a pris son bâton de pèlerin, il y a deux ans, pour revitaliser le projet d’une Union mal en point.  » Nous avons créé l’association Civico à la suite d’un appel lancé le 9 mai 2017 par une série de personnalités politiques, culturelles et du monde académique, inquiètes de la situation actuelle de l’Europe, explique-t-elle. Face à la rupture de confiance, qui s’accroît dans tous les pays, nous voulions donner un nouveau souffle à la démocratie européenne.  »

Axel Dauchez, ex-Deezer, ex-Publicis :
Axel Dauchez, ex-Deezer, ex-Publicis :  » Un vrai travail de démocratie participative. « © Lafargue Raphael/belgaimage

Le 15 décembre 2018, Make.org et Civico lancent, ensemble, une vaste consultation dans tous les pays de l’Union. Nom de code : We Europeans.  » Nous nous sommes donné deux objectifs, résume Axel Dauchez. Tout d’abord, impliquer un nombre important de citoyens européens dans une démarche consciente à l’égard de l’Europe. Ensuite, emmener le débat public vers les éléments que l’on a en commun plutôt que d’organiser à nouveau un référendum pour ou contre l’Europe. Nous avons demandé aux personnes interrogées de proposer des solutions ou de prendre position sur les solutions proposées par les autres. Un algorithme a dégagé, au fur et à mesure des votes, les propositions plus populaires. Pour dégager des consensus…  »

La proposition d’un jeune Belge

Et ça a fonctionné : 1,7 million de personnes ont participé à cette campagne sans précédent et 30 000 propositions ont été déposées sur la plateforme et soumises au vote. Le 22 mars dernier, les dix citoyens auteurs des solutions plébiscitées ont été reçus au Parlement européen. Parmi eux, un jeune Belge : Jules, 24 ans, qui poursuit des études en bio-ingénierie à l’Université libre de Bruxelles, après avoir obtenu un diplôme en langues romanes.  » Je suis tombé sur cette consultation par hasard sur Facebook, nous dit-il. Je m’intéresse à la notion de démocratie participative, dont on parle de plus en plus dans la presse. Il me semble effectivement indispensable de combler le fossé qui s’est creusé entre les citoyens et le monde politique. Les consultations par Internet peuvent être un outil.  »

Francesca Ratti, ex-secrétaire générale adjointe du Parlement européen :
Francesca Ratti, ex-secrétaire générale adjointe du Parlement européen :  » Donner un nouveau souffle à la démocratie européenne. « © dr

Jules a donc déposé sa proposition :  » « Cesser de faire des cadeaux aux multinationales, payer les impôts là où sont effectués les bénéfices. » J’en suis resté là, j’ai validé les propositions des autres citoyens qui me plaisaient, et j’ai été surpris d’apprendre ensuite que mon idée était retenue parmi les dix plus populaires. La présentation au Parlement européen a été un moment fort. J’espère vraiment que cette consultation aura un impact. Si ce n’est pas le cas, elle aura au moins eu le mérite d’être la première du genre.  » Jules est à ce point séduit par l’approche qu’il envisage de s’investir davantage dans l’action publique.

La suggestion d’une retraitée néerlandaise

Toutes les catégories d’âge ont été mobilisées par cette ambitieuse campagne. Mary, Néerlandaise retraitée de 69 ans, a ainsi suggéré la mise en place d’un large plan de recyclage au niveau européen.  » Je pense à l’avenir pour mes enfants et à mes petits-enfants. Et je suis persuadée que c’est à l’échelle de l’Union que nous devons agir « , assène-t-elle.  » L’environnement est le thème dominant des propositions formulées, synthétise Axel Dauchez. S’il y a bien une cause commune qui permettrait de relancer le projet européen, c’est celle-là. Le deuxième consensus majeur concerne l’efficacité, la transparence et le suivi des outils européens : lutte contre la corruption, nombre d’élus, évaluation des résultats… Certains sujets ont davantage de couleur en fonction des origines géographiques. La fiscalité et la taxation des grandes entreprises parlent davantage en Europe de l’Ouest. La recherche et développement et l’éducation surtout en Europe de l’Est. Les politiques sociales et le droit du travail plutôt dans l’Europe du Sud. Enfin, un thème est apparu parmi les priorités au fur et à mesure de la consultation, c’est l’alimentation.  »

We Europeans a pour ambition de contribuer à façonner l’agenda politique avec l’appui de ces citoyens. Ses initiateurs ont entamé une deuxième phase de la campagne en informant tous les partis politiques européens des résultats. Ce jeudi 9 mai, ils mettront à disposition sur leur site un système d’aide au vote pour tous les électeurs européens.  » Franchement, ce travail de démocratie participative représente une bouffée d’oxygène, se félicite Axel Dauchez. J’espère qu’il constituera un laboratoire pour sauver nos démocraties.  »

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