SnotBot, le drone qui permet de connaître les baleines grâce à leur mucus
Un drone et quelques gouttes de morve, c’est tout ce dont Ocean Alliance a besoin pour étudier les baleines. L’organisme américain croit fermement au potentiel de cette technologie peu coûteuse et non invasive, encourageant la science à prendre de la hauteur.
Un souffle, à tribord. Une baleine à bosse émerge de sa longue apnée, enchaîne bruyamment les respirations. Des nuages en forme de chou-fleur trahissent sa présence ; ils apparaissent et disparaissent au-dessus de la surface, un peu d’eau et de mucus expulsés à chaque expiration. En quelques secondes, le drone de Iain Kerr survole les cent mètres séparant le bateau de l’animal. Mais plutôt que d’éviter le nuage humide, le chercheur s’arrête pile au milieu. Recouvrir des drones de morve, c’est son job.
Nom de code : SnotBot, ou « robot à morve », une initiative visant à mieux connaître les baleines grâce à leur mucus, étonnement riche en informations. Ainsi, via son ADN, les scientifiques peuvent savoir s’il s’agit d’un mâle ou d’une femelle, ses hormones indiquent si elle est enceinte tandis que les micro- organismes présents dans les mucosités renseignent sur son état de santé. Sans parler des possibilités d’identifier chaque animal individuellement et d’observer en détails son comportement, grâce à cette incomparable vue du ciel. « Nous travaillons avec un DJI Inspire 2 dont les côtés et le dessus sont couverts de six boîtes de Petri orientées pour récolter la pluie de mucus », explique Iain Kerr. Une vingtaine d’échantillons peuvent être réunis en une journée par des pilotes professionnels. Sans le SnotBot, cela prendrait « une semaine, avec un bateau de trente mètres et douze personnes à bord ».
Nous voulons comprendre ce qui affecte leur capacité à se reproduire, se nourrir, se déplacer.
L’idée remonte à 2013. Féru d’aéromodélisme, frustré par des cachalots fuyants, Iain Kerr en vient assez naturellement à s’intéresser à ces petits engins de plus en plus populaires. Le potentiel pour la recherche lui saute aux yeux. « On a alors essayé différents modèles de drones. On a testé des éponges, des matériaux hyperabsorbants. Pour se mettre en situation, on a aussi imprimé en 3D plusieurs évents de baleines, qu’on a mis dans un bassin baptisé… le SnotYacht », sourit Iain Kerr.
Petit bémol : la durée de vol maximale de vingt-cinq minutes, pour cause d’autonomie limitée des batteries. Le SnotBot ne permet pas non plus une étude toxicologique des six espèces de cétacés ciblées : la baleine bleue, le rorqual, la baleine grise, le cachalot, l’orque et la baleine à bosse. Pourtant, la pollution des océans par les pesticides, pour ne citer qu’eux, est un enjeu colossal. Par contre, et c’est là toute la révolution que défend Iain Kerr, ses drones sont, comme on dit chez les scientifiques, « non invasifs ».
Cétacés stressés
Imaginez : vous vous rendez à l’hôpital pour des analyses. Le médecin vous poursuit dans les couloirs en hurlant, avant de vous enfoncer une aiguille épaisse dans le dos. Vos résultats révèlent un niveau de stress élevé. Est-ce le reflet de votre état de santé, ou de la méthode utilisée pour le mesurer ? Même logique pour les baleines. Classiquement, pour prélever de la chair, les biologistes doivent approcher leur bateau très près des mammifères marins, moteurs vrombissant, et décocher une flèche spéciale, avec une arbalète ad hoc, qui extraira un petit bout de peau. « Il n’y a aucun doute : la baleine sait que nous sommes là », résume Iain Kerr. Or, lorsqu’on souhaite déterminer quelles activités humaines sont facteurs de stress pour ces espèces, cette méthode induit un biais. Ce n’est pas le cas lorsqu’on analyse les hormones capturées à l’aide du drone. « Ce que nous voulons comprendre, c’est ce qui affecte leur capacité à se reproduire, se nourrir, se déplacer. Par exemple, les nombreux bruits produits par l’homme, et qui résonnent dans l’océan, pourraient avoir un impact sur la communication des baleines, réduisant leur capacité à travailler en groupe, et augmentant leur stress », souligne le spécialiste.
Mais le SnotBot volant au dessus des baleines, n’est-il pas, lui aussi, source de stress ? On serait tenté de le croire mais il semble que ce n’est pas le cas. Une étude de 2018 a passé en revue les expériences sur le terrain de plusieurs projets de recherche, dont le SnotBot. Les réactions d’une soixantaine d’individus de différentes espèces (des baleines, mais aussi des dauphins, des dugongs et des orques) révèlent une tolérance variant fortement de l’une à l’autre : les dauphins réagissent ainsi aux drones en dessous de 33 mètres, et tentent de s’en éloigner. Les baleines bleues, les baleines franches et les orques, eux, y jettent généralement un oeil avant de retourner tranquillement à leurs occupations. Pour que ces espèces aient peur ou prennent la fuite, il faut que le drone descende en dessous de quatre mètres – ce que confirment d’autres chercheurs, au Mexique notamment. A l’heure actuelle, les retours d’expérience semblent donc déconstruire cette croyance que les grands cétacés seraient dérangés par la méthode. Reste à convaincre le reste du monde.
« Les autorités sont lentes à comprendre l’apport des drones », soupire Iain Kerr. Son équipe doit « se battre pour obtenir des permis », sans parler de la législation actuelle en la matière, cohérente pour les vols terrestres, absurde pour ceux qui ont lieu en pleine mer. Les engins volants pourraient pourtant ouvrir de nouveaux horizons à la science. « C’est un outil non invasif, moins cher, personnalisable et facile à prendre en main. Sans parler de l‘intelligence artificielle qui permettra un jour de traiter les données en temps réel, et peut-être même d’adapter l’approche sur le terrain. D’ici à cinq ans, un biologiste marin qui n’utilise pas de drone passera clairement à côté de quelque chose », soutient Iain Kerr, qui partage aujourd’hui son expérience avec plus d’une quinzaine de groupes de recherche dans le monde.
« Mais ce qui est encore plus excitant avec un outil comme le SnotBot, c’est son potentiel à démocratiser les connaissances scientifiques. Aux Etats-Unis, embarquer sur un gros navire de recherche coûte des milliers de dollars… par jour ! J’ai travaillé partout sur la planète et j’ai rencontré des esprits brillants qui n’avaient malheureusement pas les moyens de mener leurs recherches. Or, je ne crois pas que la science doit rester l’apanage des privilégiés. » Coût du Snotbot : 3.000 euros.
Un article de Chloé Glad.
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