« Se mettre en danger permet de retrouver la rage de vivre et de vaincre »
Frappée d’une maladie génétique du tissu conjonctif, Lorence Lefebvre fait face à des douleurs aiguës au quotidien. Une souffrance qui n’arrête pas la Namuroise : elle s’envolera cet été pour une mission écoresponsable en Indonésie. L’occasion de repousser ses limites. Celles imposées par sa maladie, surtout.
Pour nombre de personnes, l’annonce du diagnostic d’une maladie rare s’attaquant aux tissus de leur corps ferait l’effet d’une condamnation. Pas pour Lorence Lefebvre. C’est qu’elle l’a attendu longtemps, ce diagnostic. Quand les douleurs commencent, à l’adolescence, on met d’abord son malaise sur le compte de la croissance. En 2013, la souffrance devient insoutenable et on lui diagnostique une polyarthrite, lui accordant dans la foulée le statut d’handicapée. Sauf que malgré les traitements, les douleurs persistent, tant et si bien que Lorence décide après cinq ans sans changement d’arrêter de prendre ses médicaments, et de recommencer la valse des consultations pour enfin comprendre ce qui ne va pas dans son corps. Surprise, c’est au hasard d’un rendez-vous chez la dermatologue en octobre 2018 qu’elle entend parler pour la première fois du syndrome d’Ehlers-Danlos (SED). » Elle m’a dit : « Ah tiens, je me souviens, j’ai vu un truc qui ressemblait à ça pendant mes études » et quand je suis rentrée chez moi, j’ai immédiatement cherché des infos sur Internet. C’était très perturbant, parce qu’en me renseignant sur le sujet, j’avais l’impression que c’était de moi dont on parlait. J’en ai discuté avec mon généraliste, qui m’a dirigée vers une des très rares spécialistes du SED en Belgique. Après m’avoir auscultée, elle m’a déclaré que mon diagnostic était évident. » Une évidence aux allures de délivrance pour Lorence.
En terrain miné
Car au-delà de la souffrance physique, être atteinte d’une maladie rare (500 diagnostiqués SED à ce jour en Belgique) est aussi extrêmement épuisant pour le mental. » Devoir sans cesse continuer à chercher ce qui ne va pas, enchaîner les rendez-vous médicaux, réexpliquer continuellement les symptômes… On n’a jamais l’esprit en paix. Pour moi, avoir enfin le diagnostic correct a été une libération, j’ai enfin pu mettre un nom sur mes troubles. » Des troubles qui varient en intensité, mais qui font du corps de Lorence un terrain miné. » Le principal effet du SED, c’est que le collagène que je produis est d’extrêmement mauvaise qualité, ce qui veut dire que mon corps tout entier n’est pas assez soutenu. Concrètement, quand j’utilise une de mes articulations, elle n’est pas assez flexible, donc elle se déboîte quasiment à chaque mouvement, et ça tire sur les tendons, les muscles… En dehors des périodes de crise, c’est très douloureux, j’enchaîne les tendinites, les entorses et les luxations ; mais en période de crise, mon corps devient rigide et ne supporte plus rien. Même tenir une brosse à dents est compliqué. » Or, ces périodes de crise peuvent durer longtemps, parfois plusieurs mois, ce qui a contraint cette ex-cheffe de secteur dans une entreprise de titres-services à arrêter de travailler en 2018. » C’est en 2013 que mes douleurs sont devenues très difficiles à gérer, mais j’avais la volonté de travailler coûte que coûte et ne rien lâcher. En 2018, la souffrance est devenue insoutenable et, dès qu’on a diagnostiqué mon SED, j’ai été reconnue comme invalide et j’ai quitté la vie active. » Une transition bien plus difficile à accepter que son diagnostic.
Pour moi, avoir enfin le diagnostic correct a été une libération.
» Quand j’ai compris que je ne pourrais plus travailler, les premiers mois ont été moralement assez pénibles. Je me suis demandé comment je pourrais réorganiser mon quotidien. J’ai d’abord commencé à dessiner, puis j’ai demandé le statut d’indépendante complémentaire pour rester active dans la société. Je me suis aussi inscrite sur pas mal de groupes de malades ou de personnes souffrant de handicaps, ce qui m’a permis de réaliser qu’au-delà de la difficulté physique, il y avait aussi une grande souffrance morale et la difficulté à trouver un nouvel équilibre face au handicap. » Un équilibre qui se trouve parfois à l’horizontale : » Je fais du conseil d’entreprise en tant qu’indépendante complémentaire depuis quelques mois. Mon bureau est très original puisqu’il consiste en une chaise longue avec une petite table mobile pour me permettre de ne pas avoir trop mal. » Surtout, ne pas laisser sa maladie l’arrêter, tel est le credo de Lorence. Qui s’apprête à repousser ses limites encore plus loin cet été en partant rejoindre pour quatre semaines une mission écoresponsable en Indonésie.
Vivre pleinement
» Un mois sous tente, en campement, sans eau potable ni électricité, pour nettoyer les plages et éduquer les populations sur place à l’importance de l’écologie. Je vais volontairement me mettre dans une situation compliquée, en sachant que je risque d’avoir des jours très difficiles, mais c’est l’occasion pour moi de pouvoir prouver que je peux quand même être utile. Mes proches me demandent pourquoi je ne peux pas juste rester tranquillement chez moi à prendre soin de ma santé. C’est parce que j’ai envie de vivre vraiment pleinement et d’essayer de faire profiter les autres de cette force de caractère. » Lorence ne se voit pas comme un exemple pour autant. » Il y a quelque chose qui me chiffonne dans ce terme, parce qu’il sous-entend que je trouve que les autres font mal les choses, ce qui n’est pas le cas. J’ai simplement la chance d’avoir un caractère hypervolontaire. Plutôt qu’un exemple, j’espère donner aux autres l’envie de se lancer aussi dans des projets qui les passionnent. »
Un enthousiasme que la Namuroise de 40 ans partage sur sa page Facebook, » Un zèbre en liberté « , référence au fait que les personnes souffrant de maladies rares sont désignées du nom de l’animal rayé » parce que quand les médecins entendent un bruit de sabot, ils vont directement penser au cheval, rarement au zèbre « . Et pourtant, ces derniers ont beaucoup à nous apprendre, à l’image de Lorence, dont la rage de vivre inspire, avec ou sans handicap. » Je cherche un peu les complications, je le sais, mais si je le fais, c’est vraiment pour pouvoir dire aux gens de relever le menton et de regarder devant eux. Se mettre en danger permet de retrouver la rage de vivre et de vaincre. »
Par Kathleen Wuyard.
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