Patrimoine: sauver des eaux les trésors de l’humanité
Déplacer et réaménager des sites historiques menacés par la montée des eaux pourrait être la seule solution pour éviter leur disparition. Une réflexion à approfondir d’urgence, étant donné la surchauffe accélérée de la planète.
On l’appela le « mouvement du millénaire ». En 1999, face à l’érosion du trait de côte, le plus haut phare des Etats-Unis, celui du Cap Hatteras, bénéficia d’un impressionnant sauvetage: le bâtiment de 69 mètres fut déplacé à 900 mètres à l’intérieur des terres, pour éviter qu’il ne soit englouti par l’Atlantique. Depuis, alors que le réchauffement climatique continue à charrier son lot de catastrophes (2020 est classée parmi les années les plus chaudes jamais enregistrées), le nombre de sites historiques et culturels mis en danger ne cesse de croître. Plusieurs études se penchent sur le moyen le plus adéquat à mettre en oeuvre afin de ne pas laisser disparaître des trésors de l’humanité, tels que Venise, Arles, la tour de Pise, les Moaïs de l’île de Pâques, la statue de la Liberté ou encore les mausolées de Tombouctou: cinquante-cinq sites sont aujourd’hui inscrits au patrimoine mondial en péril de l’Unesco.
Cinquante-cinq sites sont aujourd’hui inscrits au patrimoine mondial en péril de l’Unesco.
Les solutions mises en place jusqu’à présent ne sont pas parvenues à enrayer la mécanique du pire: Venise a ainsi subi, en 2019, une des plus impressionnantes « acqua alta » de son histoire. Le niveau de l’eau y est monté à 1,87 mètre, submergeant 80% de la Cité des Doges. Cette année devrait enfin voir aboutir le projet de digues amovibles Mose (Moïse, en italien), lancé en 2003 et censé protéger Venise. Mais Moïse n’accomplira pas de miracle, et la Sérénissime risque malgré tout d’être engloutie, estime une étude menée conjointement par les universités de Kiel, en Allemagne et de Southampton et Essex, au Royaume-Uni, publiée en 2018 déjà. Les auteurs de ce travail ont répertorié les sites où une adaptation au changement climatique est la plus urgente. Ils proposent, plutôt que de les protéger in situ, de relocaliser certains hauts lieux culturels.
De son côté, la chercheuse Erin Seekamp, de l’université de Caroline du Nord, va plus loin. Elle a mis au point un système de modélisation de déplacement des sites historiques, impliquant le concours des populations locales, et incorpore dans son travail la notion de résilience écologique: elle plaide non seulement en faveur d’un déplacement des sites mais propose aussi leur transformation, afin qu’ils soient mieux adaptés aux changements qui les menacent. Au sens premier du terme, la résilience détermine la capacité d’un matériau à reprendre sa forme initiale après un choc. Depuis les années 1970, la résilience écologique décrit ainsi la capacité des écosystèmes à se reconstruire après une catastrophe. Cette résilience a des limites qu’Erin Seekamp veut repousser. S’appuyant sur le fait que les experts en préservation culturelle sont unanimes pour dire qu’il sera impossible de sauvegarder tous les trésors mondiaux de la montée des eaux avec des digues artificielles et autres barrages flottants, la chercheuse fait un constat sans appel: si l’on veut sauver plus que les meubles, il nous faut radicalement changer de cap et ne pas avoir peur de modifier nos Atlas.
A Stonehenge, le tunnel de la discorde
Stonehenge, c’est le site préhistorique phare du Royaume-Uni. C’est aussi le passage de l’autoroute A303, souvent congestionnée et source de pollution sonore et visuelle. En novembre dernier, le gouvernement britannique a donné son feu vert à la construction d’un tunnel en 2023, permettant de faire passer une partie de l’autoroute sous ces vestiges de l’âge de Bronze, vieux de 5 000 ans.
L’entrée sera située à l’intérieur du site classé patrimoine mondial par l’Unesco, et 2,4 kilomètres d’autoroute seront maintenus sur son étendue même, agrandie l’été dernier après la découverte d’un cercle de vingt puits, d’un rayon de 1,6 kilomètre autour du centre de la structure mégalithique. Inadmissible! estiment les détracteurs du projet qui dénoncent aussi la destruction de milliers d’artefacts préhistoriques: les constructeurs ne doivent sauver que 4% de ce qu’ils mettront au jour.
Outre des manifestations, une pétition rassemblait début janvier près de 200 000 signatures. L’association Save Stonehenge World Heritage Site a récolté plus de 55 000 euros et ses avocats ont porté l’affaire devant la justice. Leurs arguments sont de taille: par deux fois, l’Unesco s’est opposée à la construction de ce tunnel qui viole sa Convention sur le patrimoine mondial de 1972.
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