Niels Vermeersch, grand-duc de la nation imaginaire de Flandrensis
Niels Vermeersch est délégué à la protection des données dans un hôpital de Ypres. Il est aussi grand-duc de Flandrensis, une micronation qui lutte et à sa façon contre le changement climatique. Sa patrie imaginaire compte aujourd’hui 860 citoyens de 70 pays.
«Quand je pense à Flandrensis, je ne me représente pas un territoire précis, plutôt une communauté qui agite des drapeaux aux quatre coins du monde. Au départ, elle n’existait que dans mon esprit. Aujourd’hui, elle compte 860 citoyens issus de septante pays différents. C’est incroyable.»
Niels Vermeersch est grand-duc de Flandrensis, micronation non reconnue officiellement dont la raison d’être est la lutte contre le changement climatique. De son domicile, en banlieue d’Ypres, il coordonne les actions de ramassage de déchets, les plantations d’arbres, les compostages et autres participations à des marches pour le climat organisées en Hongrie, en Italie et même aux Etats-Unis sous la bannière de cette patrie imaginaire. Le trentenaire préfère nettement se sentir ambassadeur d’un pays plutôt que représentant d’une énième organisation de défense du climat. «On fait exactement la même chose, mais avec une approche plus créative.»
A titre personnel, le grand-duc dispose de panneaux solaires, d’un poulailler, d’un potager et fabrique son compost. «Ce n’est pas énorme, mais ça rejoint le concept de micronation: il faut convaincre les gens à travers de microexemples concrets pour qu’ils comprennent une idée et la mettent en œuvre.»
Le colibri ne s’arrête pas là, puisqu’il multiplie également les envois de courriers officiels aux gouvernements. Pour critiquer les politiques environnementales d’Emmanuel Macron ou de l’ancien Premier ministre japonais Yoshihide Suga. Pour tenter de convaincre le secrétaire général des Nations unies et les représentants des Etats signataires du traité de l’Antarctique de concéder cinq îles inhabitées du continent blanc à sa micronation, afin que personne n’investisse les lieux.
Pourquoi Flandrensis ?
Niels Vermeersch estime son histoire ennuyeuse. C’est faux. C’est justement parce qu’il s’est ennuyé que son histoire est belle. Un jour d’été 2008, le jeune étudiant en histoire et religion surfe sans but sur le Web. Le hasard des clics l’amène sur la page Wikipédia de Molossia, république bananière plantée au cœur du Nevada et dont l’aspect satirique lui donne envie de créer son propre espace de liberté. «En tant que fils unique, j’ai dû apprendre à m’amuser seul à la maison. J’étais très porté sur l’univers médiévial, des chevaliers ; j’ai toujours gardé cette fantaisie en moi. Sauf qu’à 20 ans, je ne pouvais plus jouer aux Playmobil. J’ai donc inventé mon pays, pour le plaisir.»
En guise de nom, le passionné d’histoire du Moyen Age reprend l’un des plus vieux patronymes latins de la Flandre: Flandrensis, qu’il établit grand-duché, parce qu’on en compte très peu. Pour le drapeau, il s’inspire du premier de la Belgique, remplace le jaune par le blanc pour symboliser le renouveau et place le lion flamand en son centre. «Le lien est uniquement médiéval, mais beaucoup nous associent au nationalisme flamand et au séparatisme ; d’ailleurs, de moins en moins de Belges demandent la citoyenneté.» En 2016, Niels Vermeersch organise un référendum pour proposer un changement d’appellation, de blason et de drapeau, mais 80% des citoyens – principalement internationaux – refusent. «Il y a une sorte d’image de marque au sein même du micronationalisme, qu’on se doit de ne pas modifier.»
Micronationalistes excentriques
Dans la vie civile, le souverain est responsable de la protection des données des patients à l’hôpital Jan Yperman, à Ypres. Flandrensis est pour lui un hobby, ce qui ne l’empêche pas de présider à sa destinée comme un professionnel. Hors de question, par exemple, de laisser courir les rumeurs qui feraient de lui un rêveur fantasque. «Les médias interviewent souvent les micronationalistes les plus excentriques. Inévitablement, le grand public pense alors que nous sommes tous fous, mais je n’ai pas l’impression d’incarner un noble investi d’une mission de conquête de territoires.»
Sa patrie imaginaire ne sera jamais habitable. Que ce soit en Antarctique ou en Belgique. Même pour les plus démunis, comme ces citoyens tunisiens, syriens et libyens qui lui envoyèrent jusqu’à trente e-mails par jour au lendemain des Printemps arabes pour demander la citoyenneté de Flandrensis. «C’était dur. J’ai pris le temps de leur expliquer qu’une micronation n’est pas un vrai pays et qu’il ne faut jamais acheter un passeport en ligne.»
Tous ministres !
En 2008, quelques jours après la création de son Etat, Niels en dévoile les grandes lignes à ses amis, qui lui demandent tous un ministère. Trois mois plus tard, Flandrensis organise déjà ses premières élections pluripartites et devient une sorte de laboratoire politique pour étudiants. «Nous discutions de la promotion du grand-duché, de l’émission de timbres et de monnaie, de l’élaboration d’un site Web…»
Après trois belles années, Niels sent toutefois ses amis vieillir et leur intérêt pour le projet s’étioler. Il transforme alors la micronation en un acteur culturel et organise chaque mois des activités comme le championnat national de bowling et de billard, les Flandrensis Games, le Flandrensis Master Chef, etc. Pour tenir financièrement, il propose même d’acquérir des obligations auprès de la banque du petit Etat, échangeables contre des boissons au bar. «Ça a tenu trois ou quatre ans, puis nous avons à nouveau vieilli, certains potes ont déménagé et n’ont presque plus participé aux événements. J’ai été tenté de tout arrêter, je n’avais plus la flamme.»
L’effet Trump
Le souverain repense alors à sa revendication territoriale en Antarctique, datant de 2008. Au départ lancée comme une boutade, cette sollicitation devient la nouvelle raison d’être de Flandrensis. Avec l’objectif symbolique de devenir le seul pays qui n’accepte aucun habitant sur son territoire et celui, concret, de se mobiliser au quotidien pour diminuer l’impact environnemental subi par les cinq îles n’appartenant à personne. «Cette réorientation de l’action de Flandrensis est arrivée au meilleur moment, entre la COP21 et la décision de Donald Trump de quitter l’Accord de Paris. Dans la foulée, de nombreux Américains ont demandé leur citoyenneté.»
La cause environnementale
Devenue ONG en 2021, Flandrensis est désormais à la fois micronation et activiste environnementale. «C’est toujours une passion pour moi, mais cela a pris de l’ampleur, ça implique beaucoup d’obligations.» Le grand-duc correspond avec les citoyens et ambassadeurs pour coordonner leurs actions, accompagne tout qui veut créer sa micronation, gère la paperasse administrative, abreuve les réseaux sociaux de nouvelles…
Des tâches qu’il limite désormais à quatre heures par semaine, contre une soixantaine à ses débuts. «Beaucoup de créateurs de micronations sont un peu dictateurs: ils ne veulent pas partager les responsabilités, de peur que leur concept soit altéré. Selon moi, ça complique le fonctionnement et met l’existence du pays en péril, donc je préfère travailler en groupe. J’ai la chance d’avoir une équipe internationale solide à mes côtés.»
Durant les six premières années de Flandrensis, Niels a pris l’ensemble des frais de sa petite nation à sa charge. Depuis, le budget n’est plus dans le rouge grâce au shop du site Web, où se vendent timbres, monnaie, pins et drapeaux. «Avec notre réputation actuelle à l’international, commercialiser des titres de noblesse suffirait à résoudre les problèmes de trésorerie. Mais si je me suis gratuitement octroyé la fonction de grand-duc, pourquoi les autres devraient-ils payer?» L’habitant de Langemark-Poelkapelle prévoit malgré tout une attribution annuelle de titres de noblesse honorifiques pour récompenser les citoyens ayant réalisé des actions «vertes», les faisant passer de chevalier à baron, puis de comte à marquis. Mais jamais grand-duc. «Il faudrait un putsch», sourit-il.
Micronations, microsommet
En août prochain, Niels coorganisera, à Ypres, le MicroCon, rendez-vous bisannuel des micronations. Une vingtaine de délégations allemandes, tchèques, suédoises, canadiennes et américaines devraient être présentes. «Nous discuterons de nos projets communs, de nos pratiques – il y a beaucoup à apprendre de Saint-Castin (NDLR: Canada) en matière de compétences digitales et de Ladonia (NDLR: Suède) pour le financement – et nous échangerons nos bonnes adresses pour la fabrication de drapeaux ou de monnaie…»
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Dix ans plus tard, le grand-duc côtoie encore des micronationalistes rencontrés lors de sa première conférence, à Londres. Il considère cet univers comme une façon de s’ouvrir l’esprit, d’élargir son réseau et de s’offrir un savoureux mélange de cultures et de convictions politiques. Il rêve d’un jour exporter l’idée dans les écoles. «Il suffirait de former trois groupes d’étudiants, de désigner une république, un royaume et une dictature, et de leur demander de créer leur propre pays. Avec les micronations, on a une manière originale et efficace d’initier les jeunes aux concepts de démocratie et de fonctionnement d’un Etat.» Une façon, aussi, de développer des aptitudes.
Le grand-duc introverti
De son propre aveu, Niels a longtemps été quelqu’un d’introverti. Devenu grand-duc, il a été contraint de communiquer, d’organiser des réunions, de se rendre à des conférences… Bref, de se retrouver à la tête d’une entité constituée de véritables citoyens. «Dans mon job de secrétaire communal à la Ville d’Ypres, fonction que j’ai exercée avant de rejoindre l’hôpital en 2021, je devais gérer l’administratif, les discussions et les débats et je me suis beaucoup inspiré de mon expérience avec Flandrensis pour y parvenir. Cette nation née de mon esprit a finalement eu un véritable impact positif sur mon développement personnel. Un conseil: créez votre propre micronation!»
Son plus gros risque
«Le mariage. Non, je plaisante! En fait, j’ai une vie très standard: mari, père, collègue… Je ne prends pas trop de risques.»
Son mantra
«Pensez grand, mais commencez petit.»
Dates clés
2008 «Pour choisir mon costume de grand-duc, un élément indispensable du concept créatif d’une micronation, je m’inspire du roi Philippe.»
2010 «Je décroche mon diplôme de prof d’histoire et de religion. Aujourd’hui, je travaille dans un hôpital comme délégué à la protection des données.»
2015 «La naissance de mon premier enfant. Deux autres suivront, en 2017 et 2022.»
2021 «Je dépense deux mille euros pour des frais personnels de déplacements et hôtels pour des rencontres et des conférences autour du micronationalisme.»
2022 «Je participe à ChangeNow, un événement climatique où je parle de la façon dont le micronationalisme peut être un outil intéressant pour préserver l’environnement.»
Sa plus grande claque
«Mon père est mort d’un cancer quand j’avais 15 ans. C’est lui qui stimulait mon intérêt pour l’histoire médiévale. Indirectement, il a influencé la création de Flandrensis.»
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