Ne dites plus seniors, mais « silvernautes »
Les plus de 60 ans sont aujourd’hui 23 % et seront plus du tiers de la population belge d’ici à 2050. Si l’espérance de vie actuelle tourne autour de 79 ans, elle s’élèvera à 87,2 ans en 2080. Ils sont aussi de plus en plus connectés à Internet, un outil indispensable pour préserver son autonomie dans une période où il faut se repositionner.
On assiste depuis quelques années à une augmentation plutôt exceptionnelle dans l’histoire du nombre de personnes âgées en Occident. Ce » papy-boom » s’explique par l’arrivée à l’âge de la pension des enfants nés durant le baby-boom après la Seconde Guerre mondiale, où pendant près de vingt ans les naissances furent plus nombreuses. Surtout, avec l’allongement de la durée de la vie, les représentations clivantes jeunes / vieux sont aujourd’hui dépassées. Le mot senior n’est plus vraiment adapté à l’époque.
Pourquoi ne pas parler de » silvernautes » ? Car, contrairement à certaines idées reçues, doucement mais sûrement, les cheveux argentés (silver, en anglais) se digitalisent et Internet serait même pour beaucoup un élixir de jouvence. » Les baby-boomers sont hyperconnectés jour et nuit, ils vivent la Toile comme un moment de partage et de rencontre » , affirme Yves Bozzi, cofondateur et dirigeant de Digital Baby Boomer, webmarketeur spécialiste de la » silver économie « . Pour certains sociologues, le vieillissement serait d’ailleurs une construction sociale, souvent tributaire du regard de l’entourage.
» Ce qui importe, ce n’est pas la vie éternelle, c’est l’éternelle vivacité « , disait Nietzsche. Et si vieillir, c’était apprendre à rendre le présent plus consistant ? Dans son dernier livre, Une seconde vie (Le Livre de Poche), le philosophe François Jullien décrit un processus majeur : pour lui, c’est dans la seconde moitié de la vie que résiderait la possibilité de devenir vraiment soi. » Au départ, nous ne sommes pas libres, mais induits. On croit avoir choisi, mais en fait, tout a été très largement choisi ou préchoisi par d’autres : l’éducation, le milieu, les parents, le premier emploi… La seconde vie est un moment où, conscient de ma propre mort à venir et du temps qui me reste à vivre, je décide de donner un nouvel essor à mon existence. La seconde vie commence au moment où commence la liberté. C’est donc un nouveau rapport à soi, au monde et aux autres. »
Des recherches ont mis en évidence le fait que les aînés ont tendance à davantage se focaliser sur les informations positives plutôt que négatives. Peut-être parce qu’ils contrôlent mieux leurs émotions, ou parce que la valeur du temps a évolué : le temps libre au présent, aussi bien que celui compté devant soi. C’est ce qu’on appelle » le paradoxe du vieillissement « .
Un moment égocentré
Si la retraite est bien le début d’une nouvelle vie, elle peut encore durer 20, 30, 40 ans. Ce passage est un moment égocentré , à se redécouvrir et se repositionner en acceptant les pertes : celle de son rôle social passé et d’un statut professionnel reconnu, celle des proches disparus et, progressivement, celle du corps qui se métamorphose. Certains s’offrent des séminaires de préparation à la retraite pour réfléchir et prendre anticipativement certaines dispositions : comment occuper son temps libre, comment programmer sa succession, comment gérer son patrimoine, comment organiser le début du reste de la vie… ?
Une étude fait apparaître que ce point de bascule a lieu vers 70 ans. Or, les changements démographiques et les modes de vie modernes ont restreint le nombre de membres de la famille disponibles pour prendre soin de leurs parents âgés. L’augmentation de la longévité associée aux naissances plus tardives ont créé une génération sandwich de proches qui s’occupent à la fois de leurs enfants et de leurs parents. Les modèles familiaux divers et variés, les distances géographiques et le fait que la grande majorité des femmes travaillent alors qu’auparavant c’étaient surtout elles qui s’occupaient de leurs parents font qu’en Belgique, on considère qu’un dixième de la population, seulement, est un aidant proche.
Pourquoi les seniors utilisent Internet
82 % Météo
66 % E-mail
62 % Information
49 % Gestion des finances
40 % Achats
29 % Divertissement
29 % Réseaux sociaux
20 % Sites de rencontres
17 % Communiquer
Partant de ces constats sociétaux et d’une expérience personnelle, Pauline Dubois a créé Cura Services pour soulager les aînés, leur famille et les aidants proches, de la gestion de la charge administrative quotidienne. Entourée d’une quinzaine de collaborateurs, elle propose cinq services sur mesure : aide à la gestion administrative, accompagnement et gestion du quotidien, adaptation du lieu de vie, préparation au futur et » dossier de vie « . Chaque curanizer, après une première visite gratuite chez le client, sera la personne unique de référence tout au long de l’accompagnement (qui, lui, est payant).
Pratiquement, Cura Services prend en charge l’organisation et le suivi de démarches administratives, mais sans prendre de décisions à la place des clients. M. et Mme D., par exemple, ont beaucoup d’enfants et de petits-enfants. Ils aiment les voir et recevoir, mais n’ont plus l’énergie pour trier leur courrier et effectuer les diverses démarches administratives et d’organisation. » Nous nous rendons chez eux deux fois par mois pour traiter leur courrier, les aider à faire leurs paiements, à réserver des restaurants ou des hôtels, etc. Nous avons un rôle de facilitateur bienveillant du quotidien, comme un réel assistant professionnel. La complémentarité de notre rôle local doit pouvoir améliorer la vie des seniors en optimisant les interventions des prestataires qui évoluent autour d’eux. Nos clients sont parfois les patriarches de trois générations qui les suivent : leurs propres enfants sont déjà grands-parents ! »
Home sweet home
» Vieillir chez soi est le rêve de beaucoup de personnes âgées » : 75 % des clients – en majorité des femmes – vivent à domicile. » Elles font appel à nous lorsqu’elles s’adressent aux professionnels qui les entourent pour leur trouver une aide. La demande des hommes est souvent tardive, avec une réticence à l’aide et souvent une santé très fragilisée qui les a poussés à nous contacter. Il y a aussi une certaine réserve des aînés à ne pas vouloir faire appel à leurs enfants occupés. Parfois, la demande vient des enfants et, malheureusement, les parents ne sont pas prêts à être aidés « , précise Pauline Dubois.
» La solitude est très présente au sein de nos clients. Au fur et à mesure de nos passages chez eux, ils se livrent. Il arrive très souvent que notre intervention administrative et de soutien au quotidien ne soit que le pic d’un iceberg de problématiques plus lourdes. »
Bonnes vibrations
– 2/3 des plus de 70 ans pensent qu’on n’est jamais trop âgé pour avoir des rendez-vous d’un soir contre à peine 50 % pour les vingtenaires.
– En Chine, les parents veulent utiliser l’argent prévu pour leurs funérailles pour voyager ; en Australie, les grands-parents sont trop occupés pour voir leurs petits-enfants ; aux Philippines, les retraités lancent leur entreprise à domicile.
– 2/3 des personnes de 70 ans et plus affirment qu’avec l’âge viennent plus de richesses, de joies, de spiritualité, d’idéaux et de liberté.
– 70 % des répondants pensent que pour bien vieillir, il faut passer du temps avec des gens plus jeunes, et 66 % que c’est important de passer du temps avec des gens plus âgés.
D’après une étude Ipsos, seul un Belge sur dix a discuté avec ses parents de la vie après la retraite. A l’instar de Cura Services, une autre société, Macaria, propose une approche globale, depuis l’analyse jusqu’à la planification et l’aide à la mise en place d’actions et solutions pour préparer sereinement tous les aspects de cette phase de fin de vie et organiser la cérémonie des funérailles. Les personnes accompagnées anticipent pour vivre pleinement et mourir sereinement.
Quant à la communication, elle passe de plus en plus par le Web et les réseaux. Aujourd’hui, près de deux seniors sur trois utilisent Internet. Parmi ces 63 % de digital seniors, un tiers déclare même l’utiliser plusieurs fois par jour, d’après les chiffres publiés dans la 3e édition du baromètre TNS Sofres sur les 55 ans et +. Plus de 81 000 utilisateurs ont plus de 65 ans sur Facebook en Belgique. Ils s’y retrouvent dans ces valeurs de partage et de transmission, comme en témoigne le succès de certaines » silver influenceuses » suivies par des millions de followers.
Apprendre à se débrouiller est moins sorcier qu’on ne le croit : » Entre 5 et 10 heures suffisent pour réussir à surfer sur Internet, utiliser Skype ou Facetime, maîtriser les appels en visioconférence sur son iPhone, écrire des mails, gérer les photos « , affirme Camille Lemardeley, directeur des opérations chez Superprof. Cette start-up met à disposition 600 professeurs particuliers en informatique dans toute la Belgique. » Et tous les cours continuent sans difficulté par webcam durant le confinement. »
Si la mobilité pose parfois problème, le monde virtuel est peut-être la solution à de nombreuses questions. Comme un pont entre les générations. Particulièrement utile dans la période que traverse le monde aujourd’hui.
Un journal pour relier les familles
Jeunes pères de famille, Arnaud de Cartier et Mathieu Chrétien ont imaginé TribuNews, une application qui permet de créer son propre journal de famille et de l’envoyer chaque mois à ses proches. L’objectif ? Reconnecter les générations et casser l’isolement des aînés.
Suivre de chez soi, sur un » vrai » journal, les pérégrinations de ses enfants ou petits-enfants ? C’est possible avec le projet TribuNews qui propose aux générations connectées de créer chaque mois, via une application, un journal de famille qui est ensuite envoyé par courrier en version papier, par exemple à Papy et Mamie. L’objectif ? Reconnecter les générations et casser l’isolement des aînés. Ce fut particulièrement bienvenu lors du confinement.
» On a remarqué qu’il était parfois difficile pour les membres de la famille – et surtout pour les plus âgés – d’avoir accès à toutes les photos familiales qui circulent sur les réseaux sociaux « , explique Arnaud de Cartier, papa de deux filles en bas âge. » Avec notre appli, les générations 2.0 compilent chaque semaine les photos de leur quotidien et, le dernier jour du mois, notre start-up se charge d’imprimer le journal photo et de l’envoyer par la poste. » Le reste de la famille reçoit le journal en version numérique.
Le gros atout de TribuNews, c’est que chaque membre de la » tribu » a l’occasion de s’approprier le journal et de l’éditer selon sa propre actualité. Chaque journal peut contenir jusqu’à 14 pages et entre 15 et 280 photos. Outre son petit prix (de 7,50 à 10 euros par journal tout compris selon la formule choisie), TribuNews a l’avantage de proposer des mises en pages personnalisées, un papier de qualité écoresponsable ainsi qu’un engagement écologique fort (un journal envoyé = un arbre planté).
Après avoir fonctionné pendant deux ans sur fonds propres, le projet TribuNews a bouclé une première levée de fonds de 300 000 euros en juin 2019. Fort de ses 4 000 familles abonnées (un tiers en Belgique, deux tiers en France), TribuNews réalise actuellement une deuxième levée de fonds qui devrait prendre fin d’ici l’été. Objectif pour la fin de l’année : se concentrer sur le pic de la période de Noël et essayer de conquérir le marché néerlandophone.
Par Cilou De Bruyn
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