Montessori au service des seniors
On connaissait la pédagogie Montessori à l’école. La méthode se décline aussi en maison de repos. En Wallonie et à Bruxelles, une trentaine d’établissements se sont lancés dans ce chantier qui appelle à revoir de fond en comble l’accompagnement des seniors.
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C ot-cot, cot-cot… Petit, petit… » Rita lance du pain aux quelques poules qui se promènent à travers le petit jardin. Chaque jour, c’est comme un rituel pour la dame de 75 ans. Elle va chercher les restes à la cuisine et se rend dans le poulailler. Souffrant d’un trouble cognitif dégénératif, Rita ne raterait pour rien au monde ce rendez-vous. » J’aime les animaux « , dit-elle, le sourire aux lèvres. Ce poulailler, ce sont des résidents de la maison de repos, comme Rita, qui l’ont souhaité. Car aux Jardins de Scailmont, à Manage, la méthode Montessori a révolutionné le quotidien de l’institution spécialisée dans l’accueil des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer où, accompagnés selon leurs capacités et leurs besoins, les seniors sont encouragés à plus d’indépendance et d’autonomie. » L’idée forte, c’est que tout ce qui peut être fait par la personne doit pouvoir lui être proposé « , déclare Christian Bellaert, directeur de l’établissement.
S’habiller, faire son lit, planter des fleurs, couper une pomme de terre ou même répondre au téléphone du secrétariat, tout est sujet à animation. » On incite les seniors à réinvestir leur lieu de vie. Chaque interaction est une occasion d’offrir des choix : qu’ont-ils envie de manger, quelles activités souhaitent-ils faire ? Ils sont impliqués dans les décisions collectives à travers des comités de résidents pour décider du menu de la semaine ou de l’aménagement du jardin. On leur confie aussi des tâches de la vie quotidienne qu’ils faisaient déjà chez eux comme le nettoyage, la préparation des repas… « , détaille Christian Bellaert.
La gestion de la maison de repos est menée avec le concours des résidents, y compris les entretiens d’embauche. » Ce sont des habitants qui les font passer au personnel. Ils sont nettement mieux placés que moi pour évaluer leurs besoins. Cela leur permet de renforcer leur sentiment de contrôle sur leur vie « , poursuit Christian Bellaert. Dans la salle de vie, le ton est aussi donné : pas de blouse blanche. Tout le monde est en civil pour supprimer l’image de soin au profit de celle de lieu de vie. Pour les personnes âgées désorientées, cette méthode favorise les relations soignant-résident, d’autant que chacun porte un badge, personnel comme habitant, afin de s’identifier aisément.
Un combat de tous les jours
Il y a deux ans, le personnel a suivi une formation afin de se familiariser avec les principes montessoriens. » Un bouleversement de taille : il s’agit presque d’un nouveau métier. Il faut trouver l’équilibre parfait entre l’acceptation de ne pas faire à la place de la personne, tout en veillant à sa sécurité « , souligne Brieuc Collard, l’ergothérapeute qui a lancé le mouvement, en s’intéressant à la méthode dès 2016. Sur son badge, on lit » basketteur « . » C’est ma passion. C’est surtout un moyen de créer un contact supplémentaire avec les habitants, d’inciter à la discussion. On essaie aussi de valoriser les compétences de chaque collaborateur dans des activités avec les résidents, que ce soit de la photographie, du jardinage ou la passion pour les animaux. » L’objectif final est de proposer aux personnes âgées des rôles sociaux. Comme pour Rita dont la mission quotidienne est de nourrir les poules. » On met à disposition tout ce dont les résidents ont besoin pour qu’ils puissent accomplir ce rôle. »
Soudain, la conversation s’interrompt. Un peu perdue, une résidente est à la recherche de sa fille pour aller faire des courses. Brieuc Collard l’accompagne dans le jardin. Le temps de la promenade, elle reviendra apaisée. Le directeur raconte alors que cette dame était, à son arrivée, incapable de marcher. » Elle vient d’une autre institution où elle était enfermée dans sa chambre, attachée pour sa sécurité et celle des autres résidents. » Désormais, elle arrive peu à peu à participer à la vie collective. La méthode Montessori permettrait ainsi de diminuer la consommation de médicaments psychotropes. » Cela s’explique par une recherche de solutions non médicamenteuses lorsqu’une personne devient agitée, en lui proposant une promenade, par exemple « , relève Christian Bellaert.
Revoir le fonctionnement
Mais accepter des résidents qu’ils se comportent comme à la maison demande de revoir de fond en comble le fonctionnement et l’organisation de la maison de repos : » Il faut pouvoir admettre qu’un résident veuille dîner à 14 heures, plutôt qu’à midi ou préfère se laver le soir plutôt que le matin. C’est un combat de tous les jours « , reconnaît le directeur. Comme n’importe quel changement, cela prend du temps.
» Ce n’est pas toujours facile dans la mesure où il s’agit de proposer une vision différente des soins et de l’accompagnement des personnes âgées. Le personnel soignant a une approche avant tout basée sur les soins : pour telle pathologie, il faut appliquer tel ou tel traitement. On voit trop souvent la maladie, mais peu la personne. Ici, on cherche l’inverse « , ajoute Christian Bellaert. Des tensions peuvent naître aussi avec la famille lorsque la volonté d’un résident va à l’encontre de celle de ses proches. » Un dialogue constructif entre toutes les parties permet de satisfaire les volontés de tous. Mais le plus important est que chacun reconnaît qu’une part de risques existe et ne peut être totalement éliminée. »
Pour accompagner cette évolution, la maison de repos a été aidée par l’asbl Senior Montessori, créée en 2016. A sa tête, Simon Erkes, qui travaille avec une trentaine de maisons de repos à Bruxelles et en Wallonie. Plus qu’une méthode, il s’agit davantage de porter un autre regard sur la vieillesse. » Pour y parvenir, on va repérer les capacités préservées de la personne. Or, la médecine traditionnelle a souvent tendance à se concentrer sur ce qui est perdu et à ne plus prendre en compte ce qui fonctionne encore « , relève Simon Erkes. » Dans les institutions où cela se met en place, on commence à voir un réel changement, en partant non pas des besoins de l’institution, mais de ceux des habitants « , enchaîne-t-il. Mais, à ses yeux, c’est tout le système qu’il faut revoir : » La vie est devenue trop dure dans les maisons de repos, pour les habitants comme pour le personnel. Ce sont trop souvent des usines, où les tâches sont minutées. «
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