L’Athénée royal de Soumagne, une école « plus chaude que le climat »
Chaque jeudi, depuis le 10 janvier dernier, les revendications climatiques de milliers de jeunes monopolisent l’attention. Ils sont tous animés par le même désir : des actions concrètes… et c’est justement ce que propose l’Athénée royal de Soumagne en collaboration avec ses élèves, acteurs du changement.
» Quand j’ai vu l’école au début, je me suis dit : ça ne va pas être gérable « , se remémore Christine Roberty, directrice de l’Athénée royal de Soumagne, fraîchement arrivée en août 2018. A son goût, l’investissement écologique au sein de l’établissement était insuffisant. La seule lueur d’espoir provenait d’un timide potager derrière le réfectoire. Ni une, ni deux, elle prend le défi à bras-le-corps et se lance dans plusieurs projets avec quelques professeurs conquis par cet élan. Première étape, instaurer le tri des déchets parce que » jeter une bouteille d’eau dans une poubelle classique, c’était inconcevable « . Ensuite, s’attaquer à la cantine. Une fois par mois, les cuistots concoctent un menu sans viande et, chaque mardi, les élèves peuvent apprécier un repas issu de l’agriculture biologique et locale. Mais ce n’est pas tout. Qui dit nourriture, dit gaspillage. Mais on ne veut pas de ça ici. Alors pour éviter de jeter des aliments, les élèves doivent commander leurs repas à l’avance. Et les restes ? Direction, le compost. Autre initiative originale, la journée » gros pull « . Occasionnellement, le thermostat de l’école est baissé de deux degrés afin de diminuer sa consommation d’énergie. Bref, en quelques mois, l’athénée a changé de visage et de dynamique.
De la rue à l’école
Le jeudi 31 janvier dernier, l’esplanade de la gare des Guillemins à Liège est prise d’assaut par 15 000 étudiants désireux de politiques climatiques ambitieuses. Parmi eux, Ayman Berriche, 18 ans et élève à l’Athénée royal de Soumagne, s’interroge : pourquoi ne pas intégrer ce combat à l’école et la faire participer au changement tant rêvé ? Lallie Antonelli et Jules Sougnier, 17 ans, lui emboîtent rapidement le pas. L’Eco team est née : un comité estudiantin qui se joint énergiquement à la démarche écologique de l’athénée tout en développant ses propres actions. » Puisqu’ils ne vont plus pouvoir, à un moment donné, manifester dans la rue, il faut que la mobilisation se déplace. Pour des étudiants, l’école est l’endroit qui me semble le plus juste « , estime Christine Roberty. L’Eco team compte déjà 40 membres, plus celles et ceux qui gravitent autour. » Un des buts principaux, c’est que toute l’école soit, à un moment, mobilisée. Plus il y a de monde, plus il y a d’idées, mieux c’est « , expose Jules. Chaque semaine, le comité se réunit pour échanger des propositions. Après seulement trois semaines d’existence, un premier projet voit le jour : récolter des bouchons en plastique pour les revendre aux entreprises de recyclage et, avec l’argent récolté, planter des arbres sur le site de l’école. » Dans notre comité, il y a un élève qui, à lui seul, en déposant simplement une lettre dans le couloir de son immeuble, a ramené quinze bouchons « , s’enthousiasme Ayman. Il n’y a pas de petite victoire.
Le fait que des jeunes s’investissent pour la collectivité, c’est exceptionnel.
L’Eco team fait évidemment la fierté de la directrice. » Ils dépassent mes attentes. J’ai des attentes réalistes, eux sont des utopistes. » Pourtant, des objectifs solides sur le long terme, Christine Roberty n’en manque pas : rendre le bâtiment moins énergivore, tendre vers le zéro déchet, installer des ruches… Mais elle s’oblige à rester pragmatique. » J’ai peur, peut-être, de me donner un objectif non réalisable. » Sa mission auprès de l’Eco team est de l’aider à se structurer, parfois de canaliser la fougue des participants, afin de travailler conjointement sur des idées concrètes. Une des volontés communes est de sensibiliser les plus jeunes. Mais attention, sans vouloir leur forcer la main. » On n’est pas des dictateurs « , s’amuse Lallie. Et pour s’adresser aux 926 élèves de l’école, quoi de mieux qu’un reportage vidéo ? C’est l’ambitieux projet en cours : rencontrer des experts de différents horizons pour qu’ils partagent des solutions face à l’urgence climatique. Les constats déprimants sur l’état de la planète, les jeunes n’en veulent plus.
Journée écologie
Pendant que 11 000 élèves défilent dans plusieurs villes du royaume, Catherine Stans s’active à l’Athénée royal de Soumagne. » Tu peux gérer ça ? Mille mercis ! » Les invités sont chouchoutés, tout est à leur disposition, surtout les pâtisseries made in school. En marge des manifestations du 28 février dernier, l’école a organisé une » journée écologie « , rendue possible grâce au plan Wallonie#Demain. Au programme : débats tenus par des experts et ateliers pratiques organisés par les élèves pour leurs camarades autour des enjeux écologiques, économiques et sociaux. » Il faut leur expliquer pourquoi l’athénée a décidé de s’orienter vers ce changement mais aussi leur montrer qu’il y a de nombreuses petites initiatives autour. On a plein d’agriculteurs locaux, des circuits courts qui se développent « , souligne Catherine Stans, professeur de latin-grec à l’initiative de cette journée. La particularité des ateliers, c’est leur aspect durable, ce qui est transmis pourra être réutilisé et reproduit. Les élèves en menuiserie construisent des hôtels à insectes qui seront placés dans le potager afin de favoriser la biodiversité. Potager utilisé par les élèves en cuisine. Des étudiants en informatique, eux, offrent des astuces aux participants pour naviguer le plus écologiquement possible sur Internet, par exemple, avec le moteur de recherche Ecosia. Dans un local de chimie, on confectionne des cosmétiques avec lesquels les élèves repartiront. La directrice martèle : » J’apprends de mes élèves. Et c’est ce que je veux, c’est cette collaboration-là. »
Eco team et bourgmestre « en phase »
Unique établissement secondaire de Soumagne, l’athénée a reçu la visite du bourgmestre, Benjamin Houet. Et, moment privilégié pour les trois complices de l’Eco team, ils ont pu s’entretenir avec lui pendant une heure. Le mayeur leur a présenté les mesures qu’il défend. Achat d’électricité verte à 100 % (depuis le 1er janvier), isolation des bâtiments, éclairage public LED, diminution des plastiques à usage unique… » On a beaucoup de fêtes l’été à Soumagne et, à la grosse louche, on a une consommation de 100 000 gobelets plastiques jetables par an « , précise Benjamin Houet. La commune étudie deux alternatives, des gobelets réutilisables ou biodégradables. Les trois élèves esquissent un sourire : cette année, l’école s’est fournie en gobelets réutilisables pour des soirées étudiantes plus respectueuses de l’environnement. Solennellement, Ayman prend la parole : » J’ai une demande à vous faire. Serait-il possible d’installer une grande caisse à la commune, où les gens déposeraient leurs bouchons en plastique ? Je peux venir les récupérer, c’est juste à côté. » Le bourgmestre acquiesce : » C’est faisable ! » Nouvelle victoire. L’échange est fructueux, le bourgmestre note consciencieusement les requêtes des élèves et de la directrice. » Le fait que des jeunes s’investissent pour une cause publique, pour la collectivité, c’est exceptionnel « , déclare Benjamin Houet. » On est en phase, on est dans la même optique, on a les mêmes objectifs « , lance Jules, satisfait de cette rencontre. L’école, premier lieu pour opérer un changement et passer des revendications aux actions ? La directrice y croit mais relativise. » On ne pourra pas tout faire dans une école, ce n’est pas possible. Mais initier un maximum d’enfants à de nouvelles pratiques ? Oui, je suis convaincue qu’on le peut. »
Par Loïs Denis.
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