Etre propriétaire d’un bout de forêt
La formule est rare en dehors des grandes familles, mais le groupement forestier ou la coopérative peuvent convenir à de simples quidams. Double illustration dans le Bois de la Houssière, en Hainaut.
Ce jour-là, le 21 juillet 2018, cinq amis prennent l’apéro après avoir déposé leurs gosses au camp scout. L’un signale que le Grand Bois, à Hennuyères (Braine-le-Comte), est à vendre. » Si on l’achetait ? En coopérative, pour le protéger et l’ouvrir au public, il est inaccessible depuis des lustres… » Ils sont historien, professeur, développeur Web, gestionnaire d’une ressourcerie, graphiste et vont s’entourer des meilleurs spécialistes pour concrétiser leur projet. Deux ans plus tard, le Grand Bois commun est sur le point de changer de mains. Il s’agit de 79 hectares d’un seul tenant, avec une lisière de terrain agricole, 50 % de zone Natura 2000 et 50 % de zone forestière. » L’offre d’achat a été signée en novembre dernier, la coopérative est née fin décembre et nous attendons le feu vert de la FSMA, le gendarme des marchés financiers, pour concrétiser l’achat « , annonce David Nerinckx, le porte-parole de la petite bande.
Cette idée a suscité un tel engouement que 2 400 coopérateurs se sont engagés pour 900 000 euros, ce qui couvre amplement l’achat du bien, frais compris (745 000 euros), à raison de 300 euros la part. Beaucoup sont mises au nom des enfants et petits-enfants des coopérateurs. Une sorte de pari sur l’avenir. » Entre 30 et 40 % des coopérateurs vivent dans un rayon de dix kilomètres, détaille David Nerinckx.
Le groupement forestier ne distribue pas de dividendes mais il sécurise le capital.
Les autres sont Bruxellois, Flamands, étrangers, parce que c’est quelque chose qui a du sens, même si certains ne mettront jamais les pieds dans le bois. Nous voulons faire le chemin inverse de la privatisation et de la bétonisation ambiantes. En milieu rural, les parcelles deviennent des lotissements, le foncier est spéculatif, racheté pour des raisons fiscales ou de plus-value. Nous, ce que nous voulons, c’est rendre ce bien au public et préserver la biodiversité. »
Les membres de la coopérative bénéficient chacun du même poids décisionnel : un coopérateur égale une voix. » Nos statuts prévoient, lors de l’enregistrement des parts, une catégorie de coopérateurs dits actifs pour ceux qui souhaitent s’investir dans les travaux d’entretien, sans que cela donne lieu à des privilèges, précise le porte-parole. Certaines zones sont asphyxiées, une dizaine de chemins cadastrés doivent être remis en état… » L’association Ardenne & Gaume a été choisie pour assurer la supervision du site. Un masterplan a été établi à vingt ou trente ans. Les écoles et associations seront les bienvenues. La formule peut sembler innovante, mais le principe du » commun « , lui, est ancestral.
Un investissement paisible
D’autres particuliers ont choisi une autre voie pour concrétiser leur envie de bois : le groupement forestier. Depuis 1999, ce statut de société privée spécifique permet à des propriétaires privés de gérer et de transmettre un bien forestier sans devoir le diviser. Les partenaires du groupement (la famille, en général) peuvent s’échanger des parts, sans les » lourdeurs » juridiques et fiscales de l’indivision entre personnes physiques.
La Belgique compte une cinquantaine de groupements forestiers, souvent, de type familial. En Wallonie, un seul groupement est formé d' » inconnus » : La Petite Houssière. Créé en 2013, il compte aujourd’hui 34 partenaires, les » actionnaires « , qui ne se connaissaient pas au départ et sont devenus propriétaires de deux parcelles de 22 et 34 hectares sur les communes de Braine-le-Comte (à proximité de la coopérative du Grand Bois commun) et de Chaumont-Gistoux, dans le Brabant wallon. Le capital est constitué de forêt pour une valeur totale inférieure à 800 000 euros. Le pouvoir décisionnel est fonction du nombre de parts détenues. Toutefois, chaque partenaire peut profiter de l’ensemble des 56 hectares.
Le domaine est géré en binôme, notamment, par Philippe de Wouters, qui se trouve être le directeur de la Société royale forestière de Belgique (SRFB) et qui connaît le sujet sur le bout des doigts. » Le groupement forestier ne distribue pas de dividendes, indique-t-il, mais il sécurise le capital. Quand j’achète une forêt, vingt ans plus tard, le capital investi est, au mieux, intact, voire amélioré par l’accroissement des arbres. Les revenus de La Petite Houssière proviennent essentiellement de la vente de bois. La rentabilité varie entre 0,5 et 2 ou 3 % dans le meilleur des cas, mais les frais d’entretien sont minimes en comparaison avec les charges d’un bien immobilier, tel un appartement. L’année dernière, l’abattage du bois » scolyté « , du nom de ce petit coléoptère qui ravage les épicéas, a représenté une perte sèche de 10 000 euros. »
A la différence de la coopérative voisine, ici, une partie de la forêt est réservée aux propriétaires, ce qui garantit aussi une certaine quiétude à la faune. Le reste est accessible au public, sur des sentiers privés ouverts. Une surveillance est prévue, y compris par caméras, ce qui permet au passage d’enregistrer les mouvements des animaux. » Que les bois soient privés ou gérés par le DNF ( NDLR : Département de la nature et des forêts), il faut une présence, sinon, on va se retrouver avec des intrusions ou des dépôts clandestins, justifie Philippe de Wouters. Récemment, nous avons dû évacuer un dépôt sauvage de 150 pneus, ce qui n’est pas gai et nous a coûté 400 euros. » Comme dans le Grand Bois commun, les partenaires de La Petite Housière sont invités à des » journées au bois « , soit la participation (facultative) à quelques travaux forestiers qui se terminent immanquablement par » un petit barbecue entre amis « . Pour Philippe de Wouters, il s’agit clairement d’un investissement » coup de coeur « . » Nos deux parcelles sont vallonnées sans l’être trop, avec une très belle rivière qui attire les castors et une ouverture sur un paysage où l’on peut s’asseoir, dormir, jouer de la harpe… »
Jusqu’à la fin des années 1970, le sous-sol du Grand Bois, à Hennuyères, était exploité pour son argile. Une usine à côté se chargeait de la transformer en tuiles et en briques. Lorsque l’argilière a été fermée, la nature a repris ses droits. Les arbres ont repoussé autour des plans d’eau et des carrières abandonnées, attirant nombre d’espèces sauvages : la scutellaire à casque, la grande prêle, la fougère en épi, le martin-pêcheur, le crapaud commun, divers papillons dont le petit sylvain, la cicindèle champêtre…
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