Des drones marins au secours des cétacés
Deux pirogues high-tech viennent de passer quatre mois en Méditerranée. Objectif de cette mission nommée Sphyrna Odyssey : mieux connaître les mammifères marins.
D’ici à trente ans, ils pourraient avoir disparu de la grande bleue. Ils, ce sont les cachalots, mammifères marins majestueux et méconnus. » Leur population est évaluée à quelque 400 spécimens mais, au rythme de six décès par an liés aux collisions avec des navires, ils pourraient devenir de l’histoire ancienne pour nos petits-enfants « , s’alarme Hervé Glotin, professeur à l’université de Toulon (LSIS UMR CNRS). Ce spécialiste de bioacoustique sous-marine a lancé il y a plusieurs mois Sphyrna Odyssey, avec le bureau d’études navales Sea Proven. Cette mission océanographique inédite est menée à l’aide des deux plus gros drones marins civils, baptisés Sphyrna, de 17 et 21 mètres de longueur. » Ils adoptent un schéma de carène emprunté aux pirogues polynésiennes, avec une coque principale effilée et un flotteur latéral, détaille Fabien de Varenne, président de Sea Proven. Une architecture idéale pour économiser 50 % d’énergie en diminuant le poids et la traînée. » Car l’objectif est d’obtenir des embarcations totalement autonomes en énergie, grâce à des cellules photovoltaïques placées sur la coque, une éolienne et une aile propulsive. » Tout au long de notre campagne en Méditerranée occidentale, nous travaillons sur ce mix énergétique pour savoir quand profiter au mieux de telle ou telle technologie, en fonction de l’ensoleillement, des nuages, de l’alternance jour-nuit et des conditions de mer « , ajoute l’ingénieur. Un subtil équilibre à trouver pour permettre aux deux Sphyrna d’alimenter les batteries d’instruments à bord. Chaque drone peut embarquer jusqu’à une tonne de matériel scientifique : sondeurs, stations météorologiques, caméras et hydrophones. Ces derniers servent à accomplir la mission première de Sphyrna Odyssey, soutenue par la Fondation Albert II de Monaco, à savoir l’écoute des animaux marins. » En dérivant au gré des courants, ils évitent un maximum de bruits parasites, explique Hervé Glotin. C’est de l’acoustique passive. » Une fois un cétacé repéré, les deux engins, qui peuvent naviguer de conserve à une dizaine de kilomètres de distance, calculent sa position par triangulation.
Partie en septembre de Monaco, la flottille (aidée par un navire de support), est passée par la Corse, Gênes et Toulon, avant de croiser dans le golfe du Lion. » On a vu beaucoup de mammifères marins comme des dauphins, mais certaines anomalies nous inquiètent : pas de cachalot, et des orques repérées près de Gènes alors qu’elles sont censées se trouver du côté de Gibraltar « , détaille Hervé Glotin. Grâce à leur panoplie d’instruments, les deux Sphyrna ne se contentent pas d’observer. Ils effectuent aussi des mesures visant à connaître la qualité de l’eau (salinité, PH, traces d’hydrocarbures en cas de pollution, etc.). Juste avant la trêve de Noël, entre Toulon et Monaco, ils se sont même concentrés sur les herbiers de posidonie, considérés comme les forêts des mers pour leur capacité à stocker le carbone.
Un nouveau mode d’intervention en mer
L’odyssée des Sphyrna reprendra jusqu’en mars prochain. A terme, de tels engins autonomes pourraient être déployés par centaines pour des besoins autres que scientifiques : gestion des stocks de poissons, surveillance des installations off-shore (plateformes, éoliennes), bathymétrie (mesure des profondeurs marines), calibration satellitaire, etc. » La robotique marine n’a pas pour objectif de remplacer les marins, mais, par sa flexibilité et son coût, d’envisager de nouveaux usages « , conclut Fabien de Varenne. Et notamment sauver les cachalots de Méditerranée.
Par Bruno D. Cot.
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