Des chaussettes orphelines encombrent votre placard ? Donnez-les !
Sock en stock, une association lilloise les récupère, les lave, les trie par pointure et reforme des paires qui sont ensuite distribuées à des personnes dans le besoin.
» Entre quelques crêpes et verres de cidres, ainsi que des rafales de vent, on se serait presque cru en vacances dans le Morbihan cet après-midi ! Mais on a quand même bien travaillé. Résultat des courses : 20 kg de chaussettes lavées et 484 paires reconstituées ! » Les douze bénévoles à l’oeuvre durant deux heures en ce dimanche de mars n’ont pas a rougir de leur performance : il s’agit du 4e meilleur atelier de tri de chaussettes de l’histoire de Sock en stock.
Tout a commencé au début 2017. Léa Gonzalez, avocate, s’interroge sur les chaussettes orphelines qui s’accumulent dans sa garde-robe. Vous savez, ces chaussettes qui deviennent subitement célibataires, on ne sait trop comment ni pourquoi, entre le panier à linge et la machine à laver. Faute de résoudre cette énigme universelle, elle décide avec son compagnon de récupérer les chaussettes esseulées qui encombrent les placards pour reconstituer des paires et les offrir à celles et ceux qui ont froid aux pieds. Seules conditions : qu’elles ne soient ni abîmées, ni élimées, ni trouées, ni tachées.
» Les sous-vêtements font rarement l’objet de dons aux associations, car cela touche à l’intimité. Or, il y a un vrai besoin. De nombreux individus en situation de précarité ont des difficultés d’accès à des chaussettes propres et sèches, explique Nathan Bounie, enseignant en économie et cofondateur de Sock en stock. Parallèlement sont conservées au sein des ménages de très nombreuses chaussettes orphelines ou paires inutilisées. » Des scientifiques ont calculé qu’en moyenne, un individu perd 1,3 chaussette par mois durant le cycle du lavage, ce qui équivaut à 15,6 chaussettes par an. » Nous facilitons la mise en relation de cette demande réelle non satisfaite et de cette offre qui dort dans les placards. »
Comme neuves
A Lille, dans les locaux d’une école publique désaffectée prêtée par la mairie, les bénévoles se retrouvent un dimanche sur deux. Point de rami au programme des réjouissances, mais du tri. Du tri de chaussettes. L’affaire est sérieuse et l’acte minutieux. A l’aide de toises collées sur la table, les innombrables chaussettes sont d’abord triées par pointure. Ensuite, elles le sont par longueur de jambe, puis par usage (ville ou sport) et, enfin, par couleur. Les noires avec les noires, les blanches avec les blanches, etc. Et puis les exotiques à motifs toutes ensemble. Ana cherche à apparier une chaussette rouge à petits pois. » Il faut retrouver la même, indique-t-elle. Le pire, ce sont les chaussettes de sport. Certaines ont un trait bleu, puis un rouge, puis un vert ; d’autres un noir, un jaune puis un bleu… pour retrouver leur jumelle, ça fait travailler la mémoire ! »
Les paires doivent en effet être » comme neuves « , c’est-à-dire composées de deux chaussettes identiques ou presque. » Certains nous disent qu’on gagnerait un temps fou en mettant ensemble des chaussettes qui ne se ressemblent pas, que les gens s’en fichent d’avoir des chaussettes différentes aux pieds. Mais c’est faux. Avoir des chaussettes propres, qui s’assemblent en une vraie paire, ça permet de retrouver sa dignité, car ça permet de se tenir debout « , poursuit Nathan Bounie.
A l’école élémentaire Saint-Exupéry – Mme de Ségur, alors que les uns recomposent des paires de chaussettes identiques, les autres bénévoles s’occupent de la désinfection via lavage à haute température. Pas moins de 25 kg de chaussettes tournent dans le tambour de la machine à laver achetée par l’association. Après l’essorage, elles sont mises à sécher pour être triées lors de l’atelier suivant. Sur les 1 247 kilos de chaussettes collectés depuis septembre 2017, seuls 557 kilos ont été lavés. C’est que, malgré les consignes, de nombreuses chaussettes trouées échouent dans les récipients de collecte. Elles sont directement écartées et trouvent malgré tout une seconde vie. Non pas au pied d’un quidam, mais comme rembourrage de mobilier.
Les chaussettes réappariées mises en colis attendent d’être embarquées à bord du véhicule de navetteurs bénévoles pour être dispatchées aux quatre coins de la France. Sock en stock redistribue son trésor via une trentaine d’associations partenaires. La demande est forte. L’une d’elles est Sans maille, ça caille. Avec sa soeur Myriam, Hélène Mulet est à l’origine de ce projet qui distribue vêtements chauds et chaleur humaine aux SDF dans la région lilloise. » Les chaussettes, c’est capital, souligne-t-elle. Les gens qui vivent dans la rue marchent beaucoup. Alors qu’on peut très bien faire trois kilomètres sans pull ou sans tee-shirt, c’est impossible à pieds nus dans des baskets. On distribue donc beaucoup de chaussettes aux SDF. Comme il est difficile d’en collecter, l’initiative Sock en stock, pour nous, c’est pain bénit. »
Seconde vie
Les chaussettes appariées par les bénévoles trouvent également une seconde vie dans des camps de Roms, des foyers pour toxicomanes ou pour femmes enceintes, auprès de familles en précarité et même à bord de l’Aquarius, le bateau qui a secouru près de 30 000 migrants en mer Méditerranée entre février 2016 et fin 2018. » Pour toutes ces personnes, trouver des sous-vêtements, c’est un vrai problème « , pointe Léa Gonzalez. Depuis septembre 2017, 15 040 paires ont été reconstituées et 11 887 paires redistribuées.
Un réseau d’une quinzaine de points de collecte recueille les chaussettes célibataires. Alors que la plupart sont situés à Lille, quelques-uns ont émergé dans les départements voisins et un a même pointé le nez à Waterloo. » Mais nous n’avons à ce jour reçu aucune livraison de leur part « , précise Nathan Bounie. Cela n’empêche, plusieurs collectes ponctuelles ont été lancées avec succès dans des entreprises du plat pays. Et pour acheminer ces chaussettes célibataires belges jusque Lille, différents réseaux ont été sollicités, comme les livraisons internes entre les différentes antennes des entreprises ou encore grâce à des navetteurs du Lions Club de Namur. » Nous n’envisageons pas, à ce jour, de nouveau point de collecte en Belgique, essentiellement pour des raisons logistiques. Mais nous accueillons volontiers toute démarche proactive dans ce sens. » A bon entendeur…
Par Laetitia Theunis.
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