Muziekpublique organise une centaine de concerts par an, dont, comme ici, une majorité au théâtre Molière. © Patrice Demaraix

Cette association ixelloise veut bâtir des solidarités entre communautés et faire évoluer la ville

Philippe Cornet Journaliste musique

L’association ixelloise Muziekpublique, installée au théâtre Molière, au coeur de l’africain Matonge, célèbre les musiques du monde. Pour bâtir des solidarités entre communautés et faire évoluer la ville. Et ça fonctionne.

On entre par la galerie de la Porte de Namur, essentiellement occupée par des commerces africains qui épongent les 45 nationalités du quartier. Des bureaux de Muziekpublique, les fenêtres donnent sur un large salon de coiffure généreux en perruques et extensions afros. En plein Ixelles, le théâtre Molière est un écrin de velours rouge de 376 sièges avec balcon. Que Muziekpublique, créé il y a dix-sept ans, occupe depuis 2005 après avoir vagabondé dans divers lieux bruxellois comme le Marni ou les Riches-Claires. Une centaine de concerts à l’année, dont les trois quarts tenus au Molière : par exemple, le Malien Habib Koité, ces 16 et 17 octobre, ou l’octogénaire brésilienne Dona Onete, le 6 novembre.  » Muziekpublique est une création d’amoureux de musiques du monde. Avec la volonté première de travailler en compagnie d’artistes résidant à Bruxelles, en Belgique. Les musiciens locaux ont longtemps été davantage cantonnés aux fêtes de quartier ou dans des organisations façon Bruxelles en couleurs. Pas forcément dans de bonnes conditions, ce qui nous a toujours un peu choqués « . Peter Van Rompaey, 48 ans, porte un vague air de Bill Murray, mais sa scène à lui, est d’abord le théâtre Molière dont il est directeur et programmateur artistique.  » On s’est dit que les musiciens étrangers talentueux, vivant ici, pouvaient devenir les symboles d’une certaine réussite, d’une appréciation positive.  »

Les recherches d’un lieu qui ancre les désirs de Muziekpublique sont infructueuses jusqu’à la trouvaille du Molière, propriété de la commune d’Ixelles, en désuétude pendant six ans. Dans un quartier où la fièvre délinquante semble s’être aujourd’hui calmée, même si l’angélisme n’est pas – encore – de mise :  » Oui, les choses vont mieux, mais il y a eu des moments durs. Notamment une année où notre stagiaire en comptabilité, africain, s’est fait poursuivre et matraquer jusqu’à l’intérieur du théâtre, par la police. L’ambiance était très chaude. Alors que le défi est peut-être de faire de ce quartier un endroit de tourisme international, dans lequel on pourrait avoir naturellement notre place.  »

« On ne programme pas seulement les musiques du monde venant de très loin, mais aussi celles qui viennent d’ici. L’idée est quand même d’attirer les communautés vers d’autres musiques que les leurs. »© eva joncquel

Résilience

 » Même si on ne se considère pas comme une émanation politique, ce qu’on fait comporte des idées de solidarité et une réflexion sur la ville, sur la façon dont la société est bâtie. Notre identité n’est pas seulement africaine – vu le quartier – mais du monde entier. On est aussi partie prenante d’une certaine jeunesse qui veut une vie plus saine, de vraies valeurs et de vrais instruments à l’ancienne.  » D’où le statut d’asbl intégralement bilingue que Peter Van Rompaey trouve dans la parfaite continuité de Muziekpublique :  » Comment pourrions-nous nous tourner vers les cultures du monde entier si on n’était pas en résonance avec les deux langues principales de Bruxelles ?  »

Ce qui implique aussi de jongler avec les deux Communautés, par exemple au niveau des subsides qui nourrissent partiellement le fonctionnement de l’organisation, une dizaine de permanents à l’année. Si Peter Van Rompaey refuse de politiser son action –  » Je n’ai pas l’habitude de toquer aux portes des cabinets  » – l’asbl, qui possède aussi un label de disques, produit clairement des albums à idées. Comme le second CD de Refugees For Refugees, paru en 2018, rassemblant des musiciens de Syrie, d’Irak, du Pakistan, du Tibet, d’Afghanistan et de Belgique, cette fois-ci autour de l’idée de résilience. Et donc de mémoire.

L’engagement de Peter Van Rompaey a débuté tout gamin, avec la musique traditionnelle de Flandre et des auteurs comme le brillant Wannes Van de Velde :  » J’ai vraiment adoré, notamment sa chanson sur l’alphabet, assez engagée. On ne programme pas seulement les musiques du monde venant de très loin, mais aussi celles qui viennent d’ici.  » D’où une fidélité jamais démentie aux musiques acoustiques, roots. Elles définissent un champ d’action culturel comme le choix d’un niveau sonore modéré, non électrique :  » Même ici, il y a des voisins « , remarque Peter Van Rompaey en pointant l’appart-hôtel presque contigu à la salle.

Muziekpublique ne s’arrête pas aux concerts, répétitions et workshops, il organise aussi au centre de Bruxelles, au lycée Maria-Boodschap, cinquante cours donnés par les musiciens du monde. Une façon de métisser les styles, de créer des revenus pour les artistes et de fidéliser les 600 étudiants,  » de 12 à 89 ans « . Qui, entre deux leçons d’oud ou de percus , prendront naturellement le chemin du Molière.

Peter Van Rompaey, directeur et programmateur artistique du Molière.
Peter Van Rompaey, directeur et programmateur artistique du Molière.© philippe cornet

Chaleur

Alors, tout n’est pas intégralement rose dans l’écrin rouge de la salle. Par exemple, l’impossibilité d’en enlever les sièges et donc d’y danser.  » On se rattrape parfois au foyer du rez-de-chaussée avec des soirées gratuites. On a déjà mis 150 personnes, voire 200, venues s’éclater sur des chansons des Balkans. L’idée est quand même d’attirer les communautés vers d’autres musiques que les leurs.  » La réussite de Muziekpublique est sans doute de gommer au maximum les frontières, y compris celles supposées délicates, par exemple lors d’une soirée entre Congolais et Rwandais.  » Ou lorsqu’on a réalisé un projet entre un chanteur turc et un musicien arménien, qui a eu un réel impact. Sur notre label, ils ont enregistré un CD commun autour du génocide arménien. Une opération sensible au sein de la communauté turque, qui dans son ensemble, a pourtant très bien réagi. Contrairement à un politicien bruxellois, que je ne nommerai pas, qui a annulé le concert prévu dans sa commune « pour raisons de sécurité ».  »

Si Muziekpublique était un acrobate, ce serait sans aucun doute, un équilibriste. Exigeant. L’accordéoniste bruxellois Didier Laloy a joué une vingtaine de fois pour Muziekpublique en autant de projets diversifiés. Ce musicien du monde, qui vient de s’y produire ce 5 octobre en compagnie du guitariste Quentin Dujardin, témoigne des vibrations spécifiques du lieu :  » Peter Van Rompaey reste très pointu, il a pris mon nouveau spectacle uniquement parce que lui et son équipe s’y retrouvent artistiquement. Alors que je me suis déjà produit chez eux un grand nombre de fois, en remplissant la salle. Et puis ce théâtre, même quand il est bourré de près de 400 personnes, ressemble à un petit club. On oublie le grand bâtiment extérieur pas très sexy et on se retrouve dans un écrin superchaleureux. « 

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