« Can-Guru », quand l’économie circulaire a plus d’un tour dans son sac
« Sois le changement que tu veux voir dans le monde. » En créant la marque de sacs écoresponsables Can-Guru, Lionel Van Eldom a fait sienne cette citation de Gandhi et transformé une utopie en un concept alliant sport, nature et écologie.
C’est dans les forêts ardennaises, sur les hauteurs de Malmedy, que Lionel Van Eldom, 38 ans, entrepreneur et sportif accompli, a fait un rêve, et de ce rêve une réalité. » Professionnellement, j’étais dans une période difficile de ma vie. Je venais de claquer la porte de l’entreprise familiale et voulais relancer une activité à partir de zéro. J’ai cherché des outils pour sortir de cette spirale négative : le yoga, la méditation, le sport en général et la course à pied en particulier, qui est pour moi une forme de méditation active. Tout cela m’a permis de recentrer mes valeurs, de savoir ce que je voulais vraiment. Et ce que je voulais, c’était développer un projet sorti de mes tripes, quelque chose mêlant ce que j’aime et ce en quoi je crois : le sport, la responsabilité environnementale, la valorisation sociale. »
La conscience écologique devient un vrai phénomène de société. On entre dans une autre ère.
Cette introspection a abouti, quelques années plus tard, sous la forme du Can-GuRun, un sac ventral destiné aux coureurs, traileurs, cyclistes et sportifs en général, fabriqué en Belgique, dans des entreprises de travail adapté, à partir de matériaux recyclés ou upcyclés. Sa particularité ? Une poche ventrale, détachable et lavable, qui permet de stocker les déchets ramassés lors d’une séance de plogging, un jogging écoresponsable : » J’aimais beaucoup ce concept d’économie circulaire, de boucle, de cercle vertueux : un sac, fabriqué à base de déchets, permettant de ramasser d’autres déchets qui, à leur tour, seront recyclés. C’est peut-être un peu utopique, mais je rêve d’un entrepreneuriat différent de ce qui se fait actuellement, où l’on produit, consomme et jette. »
Les temps changent
Un rêve peut-être pas si fou. » Beaucoup de gens se rendent compte qu’on est déjà allé beaucoup trop loin… La conscience écologique devient un vrai phénomène de société. On entre dans une autre ère. » Rien que sur la dernière année écoulée, Lionel Van Eldom remarque un gros changement dans les mentalités. » Au début, les gens trouvaient mon concept sympa, mais beaucoup s’en moquaient également. Ces personnes-là se retrouvent désormais en minorité. Le Can-GuRun n’est certainement pas le meilleur sac de trail du marché, mais il constitue une expérience différente. De plus en plus de personnes sont fières de courir avec un sac écoresponsable, de consommer différemment, de faire du plogging, etc. »
Cette émulation n’a de cesse de réjouir celui dont le gagne-pain est encore la société de piscines naturelles qu’il a cofondée. » C’est fou le nombre de personnes qui me contactent ! Des organisateurs d’événement, comme le marathon de Namur, des entrepreneurs qui ont entendu parler du concept et qui le trouvent inspirant. Ce n’est pas tant le sac qui leur plaît, que la démarche et la philosophie qu’il y a derrière. Ils constatent que ça marche, qu’il est possible de gagner sa vie tout en respectant certaines valeurs. Du coup, ils se disent qu’on peut en faire autant dans d’autres domaines. » Lionel Van Eldom en est persuadé, la démarche qu’il a entreprise avec Can-Guru est également possible avec d’autres produits. » Les moyens techniques sont là. Ce qu’il manque, ce sont les entrepreneurs qui osent franchir le pas et se lancer. Bien sûr, il y a pas mal de challenges, mais rien d’insurmontable. Et puis, c’est tellement valorisant. En tant qu’entrepreneur, je ne m’imagine plus travailler autrement que dans la circularité et la durabilité. »
Made in local
Des défis, Can-Guru n’en manque pas, à commencer par celui d’augmenter les ventes de ses trois modèles disponibles (Can-GuRun, Can-GuPlogg, une version allégée, et Can-GuWalk, destiné aux marcheurs), tout en continuant à produire localement dans des entreprises de travail adapté. Car aux 1 000 sacs déjà vendus et aux 500 Can-GuWalk commandés par l’asbl Wallonie plus propre pour les marches Adeps, Lionel Van Eldom espère bien en ajouter encore 8 000 au cours des cinq prochaines années. » Pour y arriver, je songe à mettre en place un réseau entre plusieurs entreprises de travail adapté qui se spécialiseraient chacune dans un aspect de la confection (découpe, assemblage, etc.) Quant à l’exportation, cela ne correspondrait pas du tout à la philosophie du projet. C’est pourquoi j’aimerais, à moyen terme, développer un système de franchise à l’étranger : Can-Guru apporterait son expertise, mais les sacs seraient produits localement, avec des déchets locaux. »
Pourtant, de l’aveu même de ce mordu d’ultratrail, la tentation du raccourci n’est jamais loin. » Je n’ai qu’un coup de fil à donner pour que tous mes problèmes de production disparaissent… en allant produire de façon fairtrade au Pakistan. Mais le challenge est de continuer à chercher les solutions ici, en Belgique. »
Virus vert et Decathlon
Lionel Van Eldom témoigne qu’une fois atteint par ce qu’il appelle le » virus vert « , on ne peut plus s’en débarrasser. C’est d’ailleurs avec l’espoir de le transmettre à grande échelle qu’il discute actuellement d’un possible partenariat avec le géant mondial des articles de sport Decathlon. » Nous étudions la possibilité de récupérer toute une série de leurs matériaux (tentes, voiles, textiles, etc.) voués à être jetés pour les upcycler en créant des sacs ou d’autres articles qui seraient vendus dans leurs magasins. Si nous parvenons à faire cela à petite échelle en Belgique, le principe sera alors exportable partout où le groupe est présent. » Et le virus pourra continuer à se répandre.
Mais n’allez pas croire que Lionel Van Eldom est naïf pour autant. Il s’est déjà retrouvé dans le rôle de la caution verte sur certains événements sportifs et il ne compte pas revivre cela. C’est dans cette optique qu’il a récemment lancé un label écoresponsable, Naturabel, totalement indépendant de Can-Guru et destiné aux organisateurs de courses qui mettent en avant les producteurs locaux, la mobilité douce, la gestion des déchets, etc. » Cela ne me rapportera sans doute jamais rien, mais ce n’est pas grave, je le fais par conviction. »
Contraction du verbe » ramasser » en suédois (plocka upp) et du mot jogging, le plogging consiste à courir tout en ramassant les déchets que l’on croise sur sa route. En plus d’être écoresponsable, la pratique, née en Suède en 2016, est également sportive puisqu’elle allie à la course à pied les divers mouvements nécessaires pour collecter les ordures et qui renforcent les muscles : squats, fentes avant, étirements, etc. De quoi joindre l’utile… à plus d’utile et à l’agréable, car le plogging peut évidemment se pratiquer en groupe et dans la bonne humeur !
Comment est née votre collaboration ?
Lionel et moi nous sommes rencontrés dans un cercle d’entrepreneurs. Il m’a parlé de son projet et je lui ai directement dit que je serais ravi de l’aider dans la démarche de conception.
Comment s’est passé le processus de création du sac ?
Une grosse partie de la phase analytique avait déjà été réalisée par Lionel. Nous avons donc très vite commencé à dessiner et le premier prototype a rapidement pu être assemblé. D’autres ont suivi. Nous avons affiné l’ergonomie, effectué de multiples tests. Cela a pris du temps pour amener le produit à maturité.
Un projet de ce genre est-il différent d’un autre ? Y a-t-il des contraintes particulières ?
Il y avait en effet toute une série de contraintes, mais comme dans tous les projets de design finalement: maintenir un coût de production bas, faire un produit qui a de la gueule, etc. Mais la nouveauté pour moi, c’était de travailler en circuit court avec des entreprises de travail adapté. Comme ces dernières n’ont pas le même niveau de technicité que les entreprises spécialisées, il fallait élaborer un produit relativement simple à produire. Et pour faire simple, c’est souvent compliqué…
À un moment, j’aurais pu dire à Lionel: ‘si tu veux gagner de l’argent avec Can-Guru, fais faire les sacs en Asie, les coûts de production seront divisés par cinq’. Mais ce n’était ni sa philosophie ni son objectif principal.
Seriez-vous prêt à renouveler ce genre d’expérience ?
Bien sûr ! C’est mon premier projet lié au respect de l’environnement et ça donne clairement envie de recommencer. L’aventure humaine est vraiment sympa et c’est tellement motivant de participer à un projet qui porte de belles valeurs. Il y a bien sûr un aspect commercial, mais ce n’est pas le but premier. Ici, l’ambition est vraiment de faire du bien à la nature.
Au premier regard, le sac laisse un peu perplexe: une grande poche… et un enchevêtrement de sangles. Il faut ensuite parvenir à l’enfiler: si la première fois la manoeuvre n’est pas des plus aisées, les fois suivantes se révèlent bien plus faciles. Mais c’est une fois porté et en action que le sac tire son épingle du jeu. Bien ajusté, il colle parfaitement au corps, sans jamais donner une sensation d’oppression. La cage thoracique est bien dégagée et aucun mouvement n’est entravé. Et contrairement à un sac à dos classique, pas besoin de s’arrêter pour fouiller dedans et l’on peut sans problème porter une veste de pluie ou un coupe-vent par-dessus.
Ce fut d’ailleurs le cas lorsque nous l’avons testé sur une course de trail dans les Ardennes. Même avec deux gourdes souples de 500 ml, un gobelet mou, un téléphone portable, une barre de céréales, deux gels énergétique et une veste par-dessus (ou suspendue aux lanières prévues à cet effet), le sac s’est presque fait oublier. Et il restait encore suffisamment de place pour ramasser des déchets en cours de route. Notre moisson: deux emballages, un tube de gel énergétique et un stylo à bille qui nous a aidé dans la rédaction de cet article).
En conclusion, le Can-GuRun (65 euros), en plus d’être éco-responsable, assure au niveau de la performance. Ses 200 grammes passent inaperçus et son port à l’avant constitue un vrai plus. Il est idéal pour les sorties courtes à moyenne ne nécessitant pas d’emporter plus d’un litre d’eau.
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