Chandrayaan-3
Chandrayaan-3 © AFP

Mission lunaire: « La prouesse de l’Inde est une gifle à la Russie »

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Après un alunissage réussi, le robot indien est train d’arpenter le pôle Sud de la Lune pour y récolter des données scientifiques. Après la Chine, que signifie l’entrée de l’Inde dans le cercle très restreint de puissances spatiales?

La semaine dernière, l’Inde a intégré le club très restreint des grandes puissances spatiales en posant un engin sur la Lune, quelques jours après un échec russe. Jusqu’ici, seuls les Etats-Unis, l’Union soviétique et la Chine étaient parvenus à procéder à un alunissage contrôlé.

Alimenté par l’énergie solaire, le robot indien arpente le pôle Sud de la Lune, une zone encore peu cartographiée, et transmet des images et des données scientifiques pendant les deux semaines de la mission Chandrayaan-3. Il a ainsi confirmé la présence de soufre sur la surface du pôle Sud de la Lune. Les mesures effectuées par le robot ont également confirmé la présence d’aluminium, de calcium, de fer, de chrome et de titane sur la surface lunaire, selon l’Organisation indienne pour la recherche spatiale (ISRO). D’autres mesures ont aussi montré la présence de manganèse, de silicium et d’oxygène. 

Après la lune, le soleil

Avant même la fin de la mission, le 2 septembre prochain, l’agence spatiale indienne lancera un satellite d’étude du Soleil.  Aditya, « Soleil » en hindi, sera placé sur une orbite de halo dans un secteur de l’espace situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, et fournira en continu des images claires du Soleil. « Ce qui procurera un plus grand avantage pour observer l’activité solaire et ses effets sur la météorologie spatiale en temps réel », a indiqué l’agence.

L’engin transportera sept modules pour observer les couches extérieures du Soleil, photosphère et chromosphère, en utilisant des détecteurs de champs électromagnétiques et de particules. Il étudiera notamment la météorologie solaire, pour mieux comprendre la dynamique des vents solaires. Après la Lune, tentera donc de décrocher le Soleil.

Un coup magistral

Pour Alain de Neve, analyste au sein de l’Institut Royal Supérieur de Défense (IRSD), l’alunissage de l’Inde est un « coup magistral ». « Non seulement l’Inde est parvenue à poser un véhicule sur le pôle Sud de la lune, mais qu’en plus elle a accompli cet exploit quelques jours à peine après l’échec de la Russie. Au-delà de la réussite technique opérée, il y a une gifle à la Russie puisque cette dernière, puissance historique, voire même pionnière dans le domaine spatial si on remonte au tout début de la conquête spatiale, s’est fait coiffer au poteau », estime-t-il.

Le 19 août dernier, près de cinquante ans après la dernière mission lunaire réussie de Moscou, la sonde Luna-25, de près de 800 kilos, a en effet percuté le sol lunaire à la suite d’un incident survenu lors d’une manœuvre préalable à son alunissage.

L’analyste observe une évolution dans le domaine spatial qui se dessine depuis une quinzaine d’années. « Tout d’abord, il y a un accroissement du nombre des puissances qui veulent devenir des puissances spatiales parmi lesquelles figurent évidemment l’Inde, et la Chine, mais aussi le Japon, Israël, les Émirats arabes unis, etc. Ensuite, il y a une privatisation croissante du secteur spatial. Aujourd’hui, les fonds publics à eux seuls ne peuvent plus soutenir la course à l’espace. Aussi l’enjeu sera-t-il de créer un environnement normatif qui permettra aux investisseurs privés d’entreprendre dans le domaine spatial .

Si l’Inde a réussi malgré un budget modeste, c’est grâce à la démocratisation des technologies spatiales. « Les procédés de fabrication qui mettent en œuvre l’impression 3D pour certains composants, la miniaturisation beaucoup plus importante et moins coûteuse de différentes composantes, la présence sur l’étagère commerciale d’éléments qui peuvent entrer dans la composition d’un type de vaisseau spatial de celui qui a été placé autour et sur la lune font que les coûts pour ceux qui arrivent à en tirer parti diminuent, et que le spatial devient plus abordable de manière générale, même si cela suppose le dépassement d’un certain nombre de défis techniques et de défis liés à l’environnement spatial », souligne Alain De Neve.

Au niveau politique et diplomatique, les succès de l’Inde, mais aussi de la Chine, sont évidemment symptomatiques de l’émergence de nouvelles puissances. « A travers des réussites comme celles-là, ces pays indiquent au reste du monde qu’il y a d’autres acteurs avec qui il faut désormais compter, que ce soit sur le plan économique, commercial, mais aussi scientifiques et technique. Ils indiquent aussi qu’il y a une autre grammaire des relations internationales stratégiques qui est en train de se créer. Jusqu’à présent, cette grammaire était essentiellement écrite par les Occidentaux ».

Jusqu’à il y a peu, la course à l’espace était en effet une affaire d’Occidentaux. « Aujourd’hui l’Inde et la Chine, et peut-être demain Israël ou l’Afrique du Sud, vont montrer clairement qu’il y a une autre manière de faire les choses. Evidemment, l’idée c’est de dire aussi qu’ils sont capables de jouer à jeu égal avec le reste du monde et de se rendre sur le terrain des Occidentaux », analyse Alain De Neve.

Une militarisation de l’environnement lunaire

L’expert craint toutefois que cette course aux ressources spatiales n’entraîne un certain nombre de problèmes pratiques. Les puissances spatiales, qu’elles soient historiques ou émergentes, mettent en effet en place des cadres juridiques qui permettent à tous les acteurs d’exploiter des ressources naturelles de la Lune. « Cependant, à moment donné il y aura une certaine tension autour des ressources par définition limitées de la Lune qui plus est, occupe un espace limité ». Toujours selon Alain De Neve, cette tendance n’ira pas sans une certaine forme de sécurisation, de militarisation de l’environnement lunaire.

En effet, contrairement à la course à l’espace qui opposait à l’Union soviétique aux Etats-Unis durant la Guerre froide, l’actuelle ruée vers l’espace ne met pas simplement en rivalité des puissances publiques, mais aussi des puissances privées. « En principe, le droit spatial stipule clairement que l’Etat est responsable de tous les acteurs privés présents sur son territoire. Cependant, comme le droit spatial a été conçu à une période antérieure aux enjeux actuels, il est certain qu’il ne régira plus les activités de ces entreprises privées puisque les nations spatiales sont en train de mettre en place des régimes juridiques qui tordent le bras aux dispositions du droit spatial de la même manière que des acteurs privés vont batailler pour disposer de la plus grande liberté possible dans leur propre politique spatiale, ce qui va évidemment compliquer un certain nombre de choses en matière de sécurité spatiale, mais aussi en matière de protection de l’écosystème spatial », craint-il.

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