Mission Artémis : « Il est sidérant que des gens puissent penser qu’on quittera la Terre demain »
Pour Sophie Van Eck, professeure de physique et d’astrophysique à l’ULB, l’exploration de la Lune puis de Mars n’est pas dénuée de sens. A condition de ne pas se tromper d’objectif et de ne pas faire miroiter une potentielle planète B.
Artémis, une aventure spatiale ou purement économique et géopolitique?
Ce qu’on peut affirmer, c’est que ses visées scientifiques sont très floues. Si on consulte le site Web de la Nasa, on apprend que la mission a pour objectif scientifique la collecte d’échantillons. Or, des pierres lunaires ont déjà été ramenées et font l’objet d’études dans des laboratoires. Le but affiché est aussi de tester la technologie pour préparer une éventuelle première mission vers Mars. Mais soyons clair: il s’agit avant tout d’enjeux géopolitiques.
Cela fait cinquante ans que les Américains prônent les vols habités, comme on a pu le voir avec le lancement des différentes navettes spatiales. Aujourd’hui, la nouvelle frontière qu’ils souhaitent franchir, c’est un retour sur la Lune pour en faire une sorte de marchepied pour atteindre Mars.
A ce jour, la technologie et la médecine ne permettent pas à l’être humain de s’adapter à une vie à long terme sur une autre planète.
Il y a donc tout de même une visée exploratoire…
Tout à fait, mais il faut bien distinguer les aspirations que poursuivent les pays qui ont besoin de démontrer leurs capacités en matière de conquête spatiale et les nombreux enjeux scientifiques liés à l’exploration. Ces enjeux peuvent, dans une certaine mesure, être rencontrés avec des missions robotisées. On a pu le voir avec Mars Express, la sonde de l’Agence spatiale européenne (ESA) ou avec l’astromobile Curiosity développé par la Nasa. On peut aussi évoquer la mission Mars Sample Return, projet né d’une collaboration entre la Nasa et l’ESA et dont le lancement est prévu en 2028, le retour d’échantillons prélevés en 2031. Ces données nous livreront déjà des informations sur les conditions scientifiques de vie sur Mars ou sur la formation du système solaire, qui sont des questions de grande envergure.
L’exploration humaine ne peut-elle pas nous apporter autre chose?
Elle a du sens si elle nous fait prendre conscience que la Terre est un bateau fragile. C’est déjà ce que prouvent les photos prises depuis la navette spatiale de l’ISS, sur lesquelles on peut observer les dégâts écologiques ou le fait que l’atmosphère autour de la Terre est vraiment très fine. De nombreux astronautes ont déjà apporté leur pierre à l’édifice en tentant d’éveiller les consciences sur cette fragilité. Personnellement, je pense qu’envoyer des humains dans l’espace peut s’avérer intéressant mais uniquement dans le cadre de la recherche scientifique, de la même manière qu’on envoie des scientifiques en Antarctique pour explorer ces régions tout en les préservant de l’exploitation touristique.
Vous soulignez le rôle que peuvent jouer les astronautes. On pense à Thomas Pesquet, qui maîtrise parfaitement les canaux de communication et qui pourrait faire partie de l’équipage du premier vol habité vers la Lune, présentée par certains comme une potentielle planète B…
J’aime beaucoup le discours de Thomas Pesquet, qui fait preuve de recul: il ne cesse d’alerter sur les dangers que l’homme fait courir à la Terre. De toute façon, il n’y a pas de planète B. Autant l’exploration scientifique de la Lune et de Mars est clairement souhaitable, autant faire miroiter du tourisme spatial ou des bases martiennes permanentes relève de la science-fiction. Si l’être humain est adapté à la vie sur Terre, c’est en raison de millions d’années de sélection naturelle. Cela n’est possible pour l’espèce humaine que sur une seule planète. Le reste du système solaire – à supposer qu’il nous soit facilement accessible – est incroyablement hostile.
Outre ce constat, un autre élément important doit être pris en compte: les mannequins que nous enverrons dans l’espace lors de la première mission Artémis seront équipés de capteurs destinés à mesurer l’impact des rayons cosmiques, ces particules très énergétiques qui causent des dommages à notre ADN et qui sont à l’origine de cataractes, de problèmes de stérilité et de cancers. Sur Terre, nous sommes protégés par le champ magnétique qui joue un rôle de bouclier contre ces rayons cosmiques mais nous perdons cette protection dès que nous nous en éloignons.
Les missions vers la Lune seraient de courte durée, les effets négatifs resteraient donc limités. Mais pour Mars qui, par ailleurs, ne possède pas de champ magnétique, ce n’est pas possible. Grâce aux capteurs dont seront équipés les mannequins, nous pourrons évaluer l’importance de ce problème car, à l’heure actuelle, nous ne disposons pas de blindage pouvant convenir à une mission de plusieurs mois et nous n’avons aucune autre solution.
Pas de survie donc pas de colonies humaines sur Mars. Certains y croient pourtant dur comme fer…
C’est bien le nœud du problème. Les discours sont complexes et induisent les gens en erreur. La Nasa et l’ESA affirment qu’elles veulent explorer des planètes et démontrer de la sorte que nous ne pouvons habiter que sur la Terre.
D’un autre côté, elle tiennent aussi un discours complètement fallacieux disant qu’on construira des bases lunaires ou martiennes alors que ce n’est pas encore à l’agenda. Il est sidérant que des gens puissent penser qu’on quittera la Terre demain. Pour aller où? Nous n’avons pas la technologie pour vivre ailleurs. Peut-être qu’à l’avenir, on trouvera des solutions à ces problèmes de viabilité mais, à ce jour, la technologie et la médecine ne permettent pas à l’être humain de s’adapter à une vie à long terme sur une autre planète.
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