Image de synthèse montrant une station et des astronautes sur la planète Mars en mars 1999 aux États-Unis. (Photo by NASA/Gamma-Rapho via Getty Images) © Getty

« Envoyer l’homme sur Mars n’a aucun sens ! » : quand une téléréalité livre une fausse idée de la planète rouge

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La planète Mars dans les œuvres de science-fiction et la nouvelle téléréalité américaine Stars on Mars ne reflète pas la réalité bien plus cauchemardesque d’un séjour sur la planète rouge. Explications de l’astrophysicien Roland Lehoucq.

Le pouvoir de fascination de Mars ne se dément pas. En témoigne la nouvelle téléréalité Stars on Mars, programmée depuis le début de ce mois sur la chaîne américaine Fox. Principe du jeu : douze célébrités doivent survivre et s’affronter sur la planète rouge. Sur Mars, vraiment ? Pas tout à fait : les participants évoluent, en combinaison spatiale, dans une base construite à Coober Pedy, en Australie méridionale. Parmi ces heureux élus figurent des sportifs, une chanteuse, des actrices et autres people américains peu connus de ce côté-ci de l’Atlantique.

Mais aussi, surprise, l’ancien coureur cycliste controversé Lance Armstrong, symbole des années noires du Tour de France marquées par le dopage. Un champion déchu que l’une de ses jeunes coéquipières dans la station « martienne », l’actrice Ariel Winter (star de Modern Family), confond avec le véritable astronaute Neil Armstrong, le premier homme à avoir marché sur la Lune, décédé en 2012 !

Une pseudo-colonie martienne peu réaliste

Comme dans Koh-Lanta et d’autres émissions-jeu éliminatoires, les candidats participent à des épreuves. Ils votent chaque semaine pour éliminer l’un d’eux, jugé être un maillon faible, alors renvoyé « sur Terre ». Pendant leur séjour, les pseudo colons de l’espace sont confrontés à « des conditions authentiques qui simulent la vie sur Mars », assure la présentation du programme, selon laquelle Stars on Mars est « la colonie martienne la plus réaliste jamais créée ».

Une communication pour gogos ou au second degré. Car le réalisme en question n’est pas au rendez-vous, loin s’en faut. Mars est une planète infiniment plus inhospitalière que la région désertique australienne au paysage de couleur rouille où a été construite la base de l’émission. La planète rouge est pratiquement inhabitable. A la différence de la Terre, elle ne bénéficie pas de la protection d’une atmosphère et d’un champ magnétique. Un séjour sur Mars expose donc les hommes et les instruments nécessaires à leur retour sur Terre aux radiations émises par les rayonnements solaires et cosmiques.

Température moyenne : -65° C

L’atmosphère martienne, composée presque exclusivement de dioxyde de carbone (96 %), est tellement ténue (elle est 150 fois moins dense que celle de la Terre) qu’elle ne retient pas la chaleur du soleil, ce qui explique une température moyenne avoisinant -65° C (elle peut tomber à -135° la nuit). De quoi « refroidir » les ardeurs des participants de Stars on Mars si on les avait soumis aux conditions réelles de vie sur la planète.

 « Très froide et désertique, Mars continue pourtant à exciter l’imagination, convient Roland Lehoucq, astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique de Saclay (France). « Aucun autre monde n’a fait autant rêver, alors que c’est une planète morte, dont seul le passé lointain, vieux de plus de 4 milliards d’années, donne à penser qu’elle a été une petite sœur de la Terre. » Et le scientifique de citer les très nombreuses œuvres ayant la planète rouge pour décor, à commencer par A Princess of Mars, roman d’Edgar Rice Burroughs (l’auteur de Tarzan seigneur de la jungle) publié en 1917. Hollywood n’est pas en reste, avec, entre autres blockbusters, Mission to Mars (2000), Red Planet (2000) ou The Martian (Seul sur Mars, 2015).

« Aucun intérêt d’aller sur Mars »

Aujourd’hui plus que jamais, Mars est la « nouvelle frontière » de l’exploration spatiale américaine. La planète rouge est la justification affichée du programme Artemis de retour sur la Lune. L’objectif de la Nasa est une installation pérenne sur le satellite naturel de la Terre, de façon à préparer les premières expéditions humaines vers Mars.

« Envoyer l’homme sur Mars n’a aucun intérêt, nous assure toutefois Roland Lehoucq. Ce projet est à la fois trop compliqué, trop dangereux et trop onéreux. Une mission habitée sur la planète rouge n’est pas un défi insurmontable, mais c’est un projet délirant, alors que la Terre est confrontée à un enjeu climatique majeur. Le retour scientifique d’une expédition humaine sur Mars serait dérisoire au regard de l’effort à fournir en termes de temps, d’énergie et de coût. Les informations récoltées par dollar dépensé seraient négligeables. Les missions robotiques martiennes, dont celles des rovers Curiosity et Perseverance, offrent des retombées bien plus considérables par rapport à l’investissement consenti, tout comme les sondes spatiales Rosetta, Cassini-Huygens ou Juice. »

Come-back sur la Lune reporté

Prévue à la fin de l’année prochaine, la mission Artemis II verra quatre astronautes – trois Américains, dont une femme, et un Canadien – faire le tour de la Lune avant de revenir sur Terre. Ce sera la première mission lunaire habitée depuis 1972, année de la fin de l’ère Apollo. Un prologue au retour des humains sur l’astre, qui s’accompagnera de la construction d’une station spatiale en orbite lunaire et d’habitations permanentes au sol.

La Nasa ne se fait plus d’illusion : la date du come-back américain sur la Lune, fixée à 2025, ne sera pas respectée. La méga-fusée SLS, la capsule Orion, son module de service européen et son bouclier thermique ont, certes, fait leurs preuves lors du vol d’essai sans équipage de novembre-décembre 2022 (mission Artemis I). En revanche, l’atterrisseur Starship de SpaceX développé pour déposer des astronautes sur la Lune dès la mission Artemis III va devoir effectuer encore de nombreux tests et lancements avant d’être opérationnel. L’homme ne foulera pas la surface de l’astre avant 2027 ou 2028, au mieux.

Moon to Mars : en autonomie complète

L’objectif initial d’une première mission habitée martienne à l’horizon 2033 ne sera pas non plus maintenu. Les contraintes technologiques et budgétaires vont repousser le projet à la fenêtre de tir de 2037, voire à celle de 2039. Mais certains experts prédisent déjà que cette expédition historique aura plutôt lieu, si elle reste une priorité des Etats-Unis, après 2050. Le Deep Space Transport (DST), le vaisseau de 41 tonnes chargé d’emmener des astronautes de l’orbite lunaire à celle de Mars, n’est pas encore en phase de développement. Sa conception est complexe : il doit assurer la survie de ses passagers pendant une période d’un millier de jours ou plus sans possibilité de dépannage autrement que par l’équipage. « Une expédition vers Mars multiplie les difficultés d’une mission lunaire, y compris sur le plan psychologique, explique Roland Lehoucq. Pendant plus de deux ans, des humains se retrouvent en autonomie totale, sans possibilités d’assistance externe en cas d’urgence médicale ou de défaillance technique. »

Le projet Moon to Mars nécessite un immense bond technologique et un budget colossal. Selon de nouvelles estimations, le budget du programme Artemis Moon, phase préparatoire de l’aventure martienne, devrait atteindre à lui seul 93 milliards de dollars d’ici 2025. « C’est énorme, alors que les humains n’explorent rien dans l’espace, remarque l’astrophysicien Roland Lehoucq : à 400 kilomètres d’altitude en orbite terrestre, ils sont aujourd’hui coincés dans un module spatial de la taille d’un appartement. Dans leurs futures bases lunaires et martiennes, les colons de l’espace seront aussi confinés, alors qu’une exploration à l’aide de télescopes et de robots mobiles commandés à distance est tellement plus utile ! »   

      

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