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Astéroïde 2024 YR4: faut-il craindre une collision avec la Terre?
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Faut-il craindre l’astéroïde 2024 YR4 qui menace de s’écraser sur la Terre en 2032? Le risque est minime à ce stade des observations, mais pourrait s’amplifier.
Les Gaulois n’avaient peur que d’une chose, ou presque, c’est que le ciel leur tombe sur la tête. Aujourd’hui, après l’annonce qu’un astéroïde de 50 à 100 mètres de diamètre pourrait s’écraser sur la Terre dans moins de huit ans, ils seraient dans leur petites brogues (ou souliers pour les Gaulois modernes). Doit-on craindre ce genre d’événement cosmique comme nos lointains ancêtres? Le risque est bien là, même si, pour l’instant, il ne s’agit que d’un minuscule point lumineux apparaissant, à environ 800.000 kilomètres de distance, dans le champ de vision des télescopes même les plus puissants.
Les réseaux d’alerte aux astéroïdes de la Nasa et de son homologue européenne ESA gardent néanmoins sous très haute surveillance ce gros caillou auquel on a donné le nom de code 2024 YR4, un peu comme R2-D2 dans Star Wars. Car, selon les premiers calculs savants, il y aurait tout de même un peu plus de 2% de risque qu’il entre en collision avec notre planète, soit une chance sur 43. Si cela arrivait, la secousse provoquée pourrait raser une grande ville ou un pays de petite taille. On n’en est, bien sûr, pas encore là.
Pour bien comprendre ce qui est en jeu, commençons par le début. Un astéroïde est un petit corps céleste solide, un débris issu de la formation du système solaire, il y a environ 4,6 milliards d’années, qui tourne en orbite autour du Soleil, comme les planètes. Les experts du ciel estiment que plus d’un million de ces roches gravitent dans une bande située entre Mars et Jupiter qu’on appelle justement la ceinture d’astéroïdes, bien loin de notre globe. Leur taille varie entre celle de planètes naines de 900 kilomètres de diamètre et celle de gros cailloux de quelques dizaines de mètres, comme celui qui nous préoccupe. Un certain nombre de ces roches –plusieurs dizaines de milliers répertoriées jusqu’à présent– suivent néanmoins une orbite qui croise ou s’approche très fort de la nôtre. On appelle ces objets des géocroiseurs.
«On peut établir la probabilité de collision à 2% environ, pour le moment.»
Des précisions à venir
«La plupart du temps, lorsque la Terre passe au point d’intersection d’une autre orbite, l’astéroïde géocroiseur se trouve à un autre endroit de sa course elliptique qui est longue, un peu comme celle de la Terre, de 500 millions de kilomètres, décrit Frédéric Clette, astrophysicien à l’Observatoire royal de Belgique, aujourd’hui retraité, et auteur de l’ouvrage Le Soleil et nous (Favre, 2022). Mais cela pourrait ne pas être le cas pour 2024 RY4. L’incertitude reste néanmoins grande à ce jour, car on n’a pu observer qu’un très faible pourcentage de sa promenade orbitale. Pour donner une idée de grandeur, l’imprécision de son orbite fin décembre était équivalente à un tube de 100.000 kilomètres de diamètre autour de cette orbite tandis que le diamètre de la Terre s’élève à 12.756 kilomètres.» Les deux doivent en outre se situer en même temps au point d’intersection.
Les prochaines observations permettront de réduire le diamètre du «tube» et de préciser le risque de télescopage. Mais il faudra attendre trois ans pour cela, car l’astéroïde est un peu plus lent que la Terre et prend donc plus de temps à tourner autour du Soleil. En avril prochain, il sera complètement hors de vue astronomique. Mais en 2028, on le retrouvera et les astronomes pourront alors observer un autre segment de sa course et affiner le tracé de son orbite. Cela se fait par étapes, il faut être patient.
«Souvent, une deuxième mesure permet d’exclure tout contact avec l’objet céleste, poursuit l’astrophysicien belge. Dans le cas contraire, au fur et à mesure qu’il se rapproche, on pourra déterminer quelle moitié du globe sera touchée, puis déterminer au kilomètre près le point de rencontre. Aujourd’hui, le périmètre potentiel d’impact supputé par les astronomes est très large, autour de l’équateur, allant de la partie orientale du Pacifique à la mer d’Arabie (soit les trois quarts du globe). Dans les derniers moments, il sera possible, par des échos radars envoyés depuis le sol, de se faire une idée exacte des dimensions et de la forme de l’astéroïde. Certains sont de forme arrondie ou patatoïdale, d’autres ont la forme de cacahuète avec deux lobes ou encore sont suivis d’un caillou satellite, ce qui change l’évaluation du risque.»
«La dernière fois qu’un objet de cette grandeur a heurté la Terre, c’était il y a 120 ans à Toungouska, en Sibérie.»
Comme une bombe atomique
Dans tous les cas, il est possible d’anticiper le choc suffisamment tôt pour évacuer le territoire cible. S’il s’agit d’une zone océanique, tous les navires doivent s’en éloigner et les îles ou les côtes proches doivent être protégées d’un éventuel tsunami. Les ravages causés par une collision dépendent de la manière dont l’astéroïde arrive. Etant donné que la Terre est une sphère, la trajectoire d’arrivée de l’objet a davantage de chances d’être rasante que verticale. Cela allonge alors son parcours dans l’atmosphère terrestre, ce qui laisse davantage de temps à l’astéroïde pour se consumer ou se fragmenter avec le frottement avant de toucher le sol. Cela fait moins de dégâts, mais quand même…
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La dernière fois qu’un objet de cette grandeur a heurté la Terre, c’était il y a 120 ans à Toungouska, en Sibérie, dans une zone inhabitée de la taïga. «Il n’y a pas eu de cratère, relate Frédéric Clette. Visiblement, l’astéroïde s’est brutalement désintégré à une dizaine de kilomètres d’altitude. Le dégagement d’énergie a provoqué une déflagration semblable en intensité à l’explosion d’une bombe atomique, sans la radioactivité. Sur une circonférence de plusieurs kilomètres de diamètre, tous les arbres étaient couchés au sol, comme soufflés, sauf au milieu où quelques-uns étaient restés debout, comme à Hiroshima, le 6 août 1945, où le dôme de Genbaku est le seul bâtiment qui a survécu à l’explosion de la bombe atomique.»
Certains astéroïdes faisant l’objet d’une alerte se contentent de frôler la Terre ou rebondissent, pour les plus petits, sur l’atmosphère pour repartir dans l’espace. Dans ce dernier cas, la pression liée à l’échauffement du gaz atmosphérique sous l’astéroïde agit comme un coussin d’air. Pour l’anecdote, le premier astéroïde observé qui a frôlé la Terre, c’était Adonis –un kilomètre de diamètre. C’est un astronome de l’Observatoire royal de Belgique qui l’a détecté. Le fait a inspiré à Hergé une scène mémorable de son album On a marché sur la Lune où, lors de sa sortie dans l’espace, le capitaine Haddock, qui se prend pour un pinson, est entraîné par l’attraction du corps céleste.
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«Le risque n’est rien du tout par rapport au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité.»
Pas de risque planétaire
Sans attendre 2028, une astuce devrait permettre de scruter à nouveau le géocroiseur YR4 dans une bonne année, lorsqu’il occultera une étoile. «A ce moment, son ombre sera projetée sur une bande de la surface terrestre, explique l’expert. En additionnant les données de plusieurs points d’observation sur cette bande, on pourra sans doute déterminer avec davantage de précision, disons au mètre près, le diamètre et la forme de l’objet, ce qui est important étant donné que la fourchette actuelle, entre 50 et 100 mètres, est plutôt large. Pour l’instant, son albédo (ou pouvoir réfléchissant) laisserait penser qu’il est composé de silicate et que sa taille tendrait plus vers le bas de la fourchette.» Ce qui est rassurant. S’il tendait plutôt vers les 100 mètres de diamètre ou plus et venait à s’écraser sur la Terre, il pourrait tout de même créer un choc sismique de grande ampleur.
Mais, pour rassurer les angoissés, il n’y a pas de risque planétaire. Par comparaison, l’astéroïde qui a provoqué la dernière extinction de masse, dont celle des dinosaures, il y a 66 millions d’années, avait un diamètre de douze… kilomètres. Il est en outre tombé au pire endroit, sur une zone de roches sédimentaires pétrolifères de la péninsule du Yucatán, autrement dit une poudrière, libérant plus de 300 milliards de tonnes de souffre ce qui a engendré un refroidissement temporaire de la Terre. Bref, dans l’état actuel des connaissances, il n’y a rien à craindre de 2024 RY4. Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête. «Le risque n’est rien du tout par rapport au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, relève Frédéric Clette. En réalité, une catastrophe planétaire est en cours, mais elle n’est pas palpable comme le seraient le cratère et le tremblement de terre provoqué par un gros astéroïde…»
Si le risque de collision se confirmait, les agences spatiales pourraient envisager une mission de défense planétaire consistant à dévier l’astéroïde de sa trajectoire avec l’aide d’un engin spatial. Un scénario à la Armageddon, ce film de science-fiction sorti à la fin des années 1990 avec Bruce Willis. Il y a un peu plus de deux ans, la Nasa et le laboratoire de physique appliquée de l’université Johns Hopkins ont monté une opération de ce genre. Ils ont envoyé une sonde spatiale de la taille d’une fourgonnette s’écraser sur l’astéroïde Dimorphos (d’un diamètre de 160 mètres) à la vitesse de 22.000 km/h, modifiant sa trajectoire. La mission, baptisée Dart (Double Asteroid Redirection Test), fut un succès. L’an dernier, une mission européenne est partie en direction de Dimorphos pour analyser les conséquences de la mission Dart et pouvoir la reproduire en cas de menace réelle.
Parmi les solutions à disposition des agences spatiales, une arme nucléaire pourrait aussi provoquer une explosion capable de changer la route d’un astéroïde. Ce type de stratégie est néanmoins à double tranchant, car si on frappe trop fort, on risque de transformer le géocroiseur en plusieurs projectiles menaçants. La frappe doit donc être chirurgicale, en tout cas proportionnée par rapport à la masse et à la composition géologique du corps céleste, un astéroïde ne ressemblant pas à un autre. Une sonde de reconnaissance permet de faire le boulot essentiel d’éclaireur.
Il faut dire que les technologies spatiales et astronomiques se sont beaucoup développées ces dernières années. L’astéroïde 2024 YR4 a été observé pour la première fois le 27 décembre 2024 par l’Observatoire de Río Hurtado au Chili. Celui-ci fait partie du système Atlas (Asteroid Terrestrial-impact Last Alert System) qui, financé par la Nasa, possède des télescopes robotisés également à Hawaï et en Afrique du Sud. Depuis 2015, ce système de veille précoce permet de repérer les plus petits objets géocroiseurs. Deux groupes internationaux d’alerte, parrainés par l’ONU, sont également mobilisés: l’IAWN ou Réseau international d’alerte aux astéroïdes, dirigé par la Nasa, et le SMPAG ou Groupe consultatif sur la planification des missions de défense contre les géocroiseurs, présidé par l’ESA. En 2027, la Nasa lancera le Near-Earth Object Surveyor, un télescope spatial infrarouge spécialement conçu pour chasser les plus insaisissables des astéroïdes. Voilà de quoi rassurer les Gaulois.
Utile, le télescope James Webb?
On ne vantera jamais assez ses talents. Le télescope spatial James Webb (JWST), développé par la Nasa en collaboration avec l’ESA, est un engin incroyable. Capable d’observer depuis son orbite des galaxies formées après le Big Bang, il offre une vision nouvelle de l’univers. Mais est-il à même de contribuer à la chasse aux astéroïdes? Selon des recherches publiées récemment dans la revue Nature, le James Webb peut être sollicité pour scruter de petites roches spatiales de quelques dizaines de mètres de diamètre. Son avantage est d’utiliser la technologie infrarouge qui détecte les signaux thermiques, ce qui permet de mieux cerner la taille et la composition d’un astéroïde. Mais il n’est pas conçu pour repérer ces objets célestes. «Son champ d’observation est trop restreint, contrairement aux télescopes classiques, explique Frédéric Clette. Comme il ne peut travailler qu’à basse température pour être plus froid que les objets qu’il pourrait détecter par infrarouge, il est armé d’un bouclier thermique, soit un énorme pare-soleil constitué de feuilles réfléchissantes très fines déployées par un système de traction avec des câbles en nylon. Cet écran de la taille d’un terrain de tennis le protège de la lumière du Soleil. Il ne peut dès lors observer qu’une moitié de la voûte céleste.» Le JWST intervient donc en complément des systèmes de détection existants. Ses observations concernent essentiellement les astéroïdes de la ceinture principale entre Mars et Jupiter et aident à se faire une meilleure idée de l’anatomie des astéroïdes géocroiseurs, donc de leur potentiel destructeur.
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