Il y a probablement autant de rats que d’habitants dans le monde. © GETTY

Pourquoi le meilleur animal de compagnie est… le rat: tous les bienfaits d’un animal détesté

Dirk Draulans Dirk Draulans est journaliste pour Knack.

Evoquer des animaux de compagnie, c’est directement penser aux chats et aux chiens. Mais le «meilleur», celui qui s’est le mieux adapté, est pourtant aussi l’un des plus détestés au monde: le rat.

Comment les humains ont-ils créé des animaux de compagnie? Les scientifiques débattent encore de cette question. Nous savons que les premiers processus de domestication –du loup au chien– ont commencé il y a environ 30.000 ans. Mais à cette époque, les animaux erraient principalement autour des humains sans être particulièrement choyés.

Une étude publiée dans Nature explique qu’un changement majeur s’est produit lorsque les colons européens en Amérique ont rencontré des peuplades qui avaient une relation complètement différente avec les animaux. Dans la religion chrétienne, ils étaient considérés comme des objets subordonnés à l’homme. Si une relation spéciale avec les animaux existait ou –pire encore– si des sentiments leur étaient attribués, cela relevait alors du diable et de la sorcellerie.

Cependant, les contacts avec les peuples autochtones d’Amérique du Nord et du Sud ont offert un autre point de vue. Pour ces peuples, les animaux étaient souvent des individus faisant partie intégrante de leur vie. Ils offraient des perroquets et des singes apprivoisés en cadeau aux «visiteurs» européens, et ces animaux devinrent des symboles de statut chez les riches en Europe. Ainsi est née l’idée que les animaux pouvaient faire partie d’un «foyer», voire d’une famille.

Danse avec le rat

Le chien est l’animal le plus emblématique à s’être intégré dans la sphère humaine. Le processus de sa domestication fait encore débat. Deux théories existent, et il est possible qu’elles soient toutes deux valables. Soit les hommes préhistoriques ont sorti de leurs tanières d’adorables louveteaux, les ont élevés dans leurs colonies pour donner finalement naissance à des animaux plus sociables et plus agréables que l’on appellent des «chiens». Soit les chasseurs et les loups ont spontanément créé des liens, apprenant ainsi à mieux se connaître et à s’apprécier –comme l’illustre ce rapport entre l’acteur Kevin Costner et un loup dans Danse avec les loups (1990).

Aujourd’hui, la relation entre l’homme et le chien est si intense que ces animaux souffrent des mêmes problèmes de santé que les humains. Selon une analyse publiée dans Science, ils sont touchés par les mêmes «maladies de civilisation» et exposés aux mêmes effets néfastes dans leur environnement, comme les pesticides et autres formes de pollution toxique.

Les chiens vieillissent plus vite que les humains, et leur état pourrait servir de «signal d’alarme» pour leurs propriétaires. Si un chien souffre des conséquences d’un environnement malsain, il est probable que les humains vivant avec lui soient également affectés. Cela pourrait inciter à adopter un mode de vie plus sain.

Peste et variole

Néanmoins, le «meilleur» animal domestique, celui qui s’est probablement le mieux adapté à notre présence au cours de l’histoire, n’est ni le chat ni le chien. C’est le rat!

Les rats sont aujourd’hui présents presque partout dans le monde; ils ont conquis la planète à nos côtés. Leur nombre est si grand qu’il est impossible d’en estimer ne serait-ce qu’une approximation. On suppose généralement qu’il existe autant de rats que d’êtres humains, mais cela repose davantage sur une intuition que sur une conclusion statistiquement solide.

Les rats ont acquis une mauvaise réputation, ils sont souvent associés à des dégâts sur les récoltes et à la transmission de maladies telles que la peste et la variole. Cette image négative est renforcée par le fait qu’ils prospèrent dans des biotopes nécessaires mais peu appréciés par l’homme, tels que les égouts et les décharges –en somme, des environnements perçus comme sales. De plus, certains jugent leur apparence peu attrayante, avec leur museau et leur queue jugés disgracieux, ce qui nuit également à leur réputation.

Le rat a conquis le monde en deux vagues successives, toutes deux venant d’Asie. La première a été celle du rat noir. Les premières indications d’une forte association entre les rats noirs et les humains remontent à environ 3.000 ans. Ce sont les Romains qui ont largement contribué à sa propagation, dès le début de notre ère. Cependant, l’effondrement de l’Empire a été défavorable au rat noir. Ce n’est qu’à partir du Moyen Age, avec la naissance de nouvelles villes et routes commerciales, qu’il a retrouvé des conditions favorables.

Le rat noir était également appelé «rat des navires», car il voyageait clandestinement à bord des bateaux pour explorer le monde. Un rapport publié dans Science suggère cependant que le terme «clandestin» n’est pas toujours approprié. De nombreux marins, enfermés pendant des mois dans des conditions rudes, élevaient des rats comme animaux de compagnie. Ils étaient même loués pour leurs «facultés d’observation».

Les rats font sans aucun doute beaucoup pour les humains, mais que faisons-nous pour le rat?

Biotopes fluviaux

Progressivement, le rat noir a été supplanté par un nouvel arrivant: le rat brun. A partir du XVIIIe siècle, le rat noir est même devenu rare en Europe. Le rat brun et le rat noir auraient divergé il y a deux ou trois millions d’années à partir d’un ancêtre commun. Les rats noirs sont un peu plus fins que les rats bruns, avec des yeux et des oreilles plus grands et une queue plus longue. Cependant, le rat brun est mieux adapté et dispose d’un éventail plus large de possibilités alimentaires, ce qui lui a conféré un avantage concurrentiel et en a fait «le» rat dominant dans notre environnement. Il est également capable de survivre dans un climat plus froid.

Le rat brun était à l’origine un animal vivant dans les biotopes des ruisseaux et des prairies d’Asie de l’Est, selon Science. La manière dont il s’est détaché de cet habitat pour s’intégrer aux biotopes humains reste floue. Il y a environ 9.000 ans, il est apparu pour la première fois dans des colonies humaines situées dans ce qui est aujourd’hui le sud de la Chine. De là, il aurait progressivement migré vers le nord.

Le rat a été un animal de laboratoire dès le XIXe siècle. © GETTY

Il y a environ 4.000 ans, il était déjà relativement commun dans le Japon actuel. En passant par le Caucase et l’actuel Iran, il a atteint l’Europe. Il existe des indices suggérant qu’il aurait été présent en Italie dès le XIVe siècle, mais cela reste incertain. Les premières observations indiscutables de rats bruns en Europe datent du XVIIIe siècle. Comme pour le rat noir, la navigation maritime aurait permis au rat brun de se répandre dans le reste du monde.

Les rats possèdent une capacité d’adaptation exceptionnelle: ils ont développé relativement rapidement une résistance à la plupart des produits contre les nuisibles que nous avons massivement utilisés dans nos maigres tentatives de contrôle de leurs populations. Ces animaux ont également une capacité de reproduction impressionnante. Ils sont fertiles à peine un mois après leur naissance, ce qui permet à une femelle et sa progéniture de produire, en un an, une population de plusieurs centaines de rats. Une fois installés quelque part, les rats sont presque impossibles à éradiquer.

Des rats sportifs

Malgré leur mauvaise réputation, une culture d’élevage de rats s’est développée relativement rapidement. Parfois, cela prenait une tournure macabre: au XVIIIe et XIXe siècle, en Angleterre, des rats étaient élevés pour des événements mêlant «sport et paris». Les «supporters» pouvaient parier sur le nombre de rats qu’un chien pouvait tuer dans une petite arène en un temps donné.

Au XVIIe siècle, le Japon disposait déjà d’un programme d’élevage étendu axé sur les variations de couleur des rats, comme les albinos. De l’Angleterre victorienne nous vient l’histoire de Jack Black, le «chasseur de rats royal», qui, au milieu du XIXe siècle, élevait des rats présentant des motifs de couleur spécifiques. Lui aussi découvrit que les albinos étaient les plus prisés, peut-être parce que leur blancheur immaculée et leurs yeux rouges les démarquaient de leur mauvaise réputation. Il est même rapporté que la reine Victoria aurait gardé des rats comme animaux de compagnie.

Des paris étaient pris sur le nombre de rats qu’un chien pouvait tuer en un temps donné. © Getty

Le rat, animal de laboratoire préféré

La domestication du rat a véritablement pris son essor à la fin du XIXe siècle, lorsqu’il est devenu l’animal de laboratoire privilégié pour les expériences médicales et scientifiques. Il a conservé ce statut pendant près d’un siècle, jusqu’à ce qu’il soit supplanté en popularité par les souris à la fin du siècle dernier, car ces dernières sont plus faciles à modifier génétiquement.

Le rapport d’une étude publiée dans Science énumère une série de découvertes scientifiques qui auraient été impossibles sans les rats. Par exemple, la description du système nerveux humain repose en grande partie sur des recherches menées sur les rats.

Des doutes scientifiques sont parfois émis quant à savoir si les rats ont réellement joué un rôle central dans la propagation de la peste.

Peur et douleur

Mais le rapport met également en garde contre les connaissances que les rats peuvent fournir sur les humains, car ils sont fondamentalement différents de nous sur le plan physiologique à bien des égards. Cela appelle en outre à une meilleure compréhension des capacités émotionnelles et cognitives des rats. Pendant longtemps, les rats participant aux expériences ont été principalement exposés à la douleur et à la peur, ce qui a sans aucun doute eu un effet sur les résultats des recherches.

Science conclut par une question rhétorique: «Les rats font sans aucun doute beaucoup pour l’homme, mais que faisons-nous pour le rat?» Le journal propose une longue liste de découvertes récentes que l’on pourrait regrouper sous l’expression «psychologie des rats».

Tout comme chez les humains, il existe des rats optimistes et pessimistes. Certains ressentent des regrets lorsqu’ils n’ont pas agi d’une certaine manière. Les rats réagissent également aux signaux d’inconfort émanant d’autres animaux, y compris les humains. Ils peuvent apporter une forme de réconfort. Ils font aussi des efforts pour aider des congénères en difficulté, même sans y être incités ni récompensés pour cela.

Ils évitent un endroit riche en nourriture s’ils savent qu’un autre rat y a reçu une décharge électrique. Ils sont joueurs et apprennent rapidement à jouer à cache-cache avec les humains avec qui ils cohabitent. Parfois, leur comportement peut vraiment être comparé à des réactions humaines. Par exemple, lorsqu’un rat est en détresse et que d’autres rats à proximité ne font rien pour l’aider, il est fort probable qu’eux non plus n’agissent pas – alors qu’ils le feraient s’ils étaient seuls. Cela illustre le célèbre «effet du spectateur», qui est également très présent dans les contextes sociaux humains.

Les rats méritent donc une meilleure réputation que celle qu’ils traînent actuellement, en raison de leurs compétences émotionnelles et cognitives. Que le charmant rat Rémy, le chef culinaire talentueux du film d’animation Ratatouille, devienne un nouveau modèle pour leur réhabilitation. Aujourd’hui, des doutes scientifiques sont parfois émis quant à savoir si les rats ont réellement joué un rôle aussi central dans la propagation de la peste. Ce serait une réhabilitation majeure pour ces animaux injustement stigmatisés.

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