La nouvelle tendance de la garde alternée… d’animaux de compagnie: «Un moyen de conserver une influence sur l’autre»
Les animaux de compagnie ont une place de plus importante au sein du couple. En Belgique, leur nombre explose depuis quelques années. En cas de rupture, leur rôle n’est pas à négliger. Tout comme leur devenir. Pour preuve, la garde alternée des chiens et des chats a le vent en poupe.
59% des ménages belges ont un animal de compagnie, voire plus. 33% ont au moins un chat, 30% au moins un chien, selon une enquête de la Belgian Petfood Association (BEPEFA). Des chiffres qui ont fortement augmenté suite à la pandémie de coronavirus. A une époque où les contacts humains ont été réduits à peau de chagrin, accueillir une boule de poils a permis à de nombreux Belges d’apaiser leur solitude (pour les célibataires) ou leur lassitude (pour les amoureux).
C’est notamment le cas d’Ophélie, qui venait tout juste d’emménager avec son compagnon. «Bien sûr, commencer à vivre ensemble en plein confinement, c’était particulier, raconte-t-elle. Je ne peux pas dire que c’est ça qui nous a poussés à adopter Filou, notre berger allemand: on y songeait déjà depuis un petit temps. Dès qu’il est arrivé, il a égayé nos journées et ça nous a permis de penser à autre chose qu’à la pandémie.»
Sarah Galdiolo, professeure en psychologie clinique à l’UMons, confirme. Adopter un chien ou un chat à deux est loin d’être anodin. «C’est un moyen d’augmenter l’engagement au sein du couple. L’éduquer, le promener, le nourrir, lui apporter de l’affection: tout ça relève l’interresponsabilité entre partenaires, analyse-t-elle. Cela engendre aussi du stress supplémentaire, susceptible de mener à des conflits. Même si, en général, cela ne dure que quelques mois.»
La garde alternée a la cote
En Belgique, le nombre de divorces diminue depuis quelques années. En 2022, il est passé sous la barre des 20.000, renseigne Statbel. Il n’empêche, quatre unions sur dix se terminent encore par un divorce. Si on y ajoute les séparations de couples non mariés, la question de la place des animaux de compagnie lors d’une rupture est prégnante. Aucune enquête relative à la garde des animaux suite à une séparation n’existe. Cependant, la professeure Galdiolo assure qu’elle «connaît un succès grandissant». Il n’y a pas si longtemps, «on ne voyait pas ça du tout». L’animal restait quasi systématiquement chez un seul des deux partenaires.
Désormais, tout dépend de la situation initiale. Si un des conjoints était beaucoup plus enthousiaste à l’idée d’accueillir une boule de poils, il s’en est généralement le plus occupé durant la relation. Naturellement, c’est aussi lui qui la gardera à ses côtés après la séparation. En revanche, quand le souhait d’adopter un animal émanait des deux partenaires, la garde alternée est ensuite de plus en plus souvent plébiscitée.
«La garde alternée de l’animal permet d’entretenir l’espoir de relancer l’histoire d’amour.»
Sarah Galdiolo
Professeure en psychologie clinique (UMons)
Voilà pour les ruptures sans heurts. Or, c’est loin d’être toujours le cas. «Lorsque cette dernière n’est voulue que par un des partenaires, l’autre aura tendance à plaider pour la garde alternée de l’animal dans l’espoir de garder un contact et relancer leur histoire, indique Sarah Galdiolo. Savoir qu’on n’aura plus du tout de place dans la vie de l’autre peut être difficile à vivre. Le conjoint « abandonné » peut donc profiter de l’animal pour conserver de l’influence sur l’autre, voire un certain pouvoir. Cela permet, par exemple, d’embêter un ex-partenaire lorsqu’il tente de construire une nouvelle relation, notamment en l’empêchant de partir en vacances avec son nouvel amoureux puisque c’est « sa » semaine de garde.»
Cette tentative – consciente ou non – de garder un lien s’inscrit toutefois difficilement dans la longueur. Lorsqu’Ophélie et son compagnon ont rompu, ils ont décidé de se partager la garde de Filou plus ou moins équitablement. Car si c’est elle qui avait voulu l’adopter au départ, son partenaire avait fini par s’y attacher lui aussi. «Au bout de quelques mois, il m’a finalement demandé si je pouvais garder définitivement notre chien, se souvient Ophélie. Il en avait besoin pour prendre de la distance par rapport à moi et réellement digérer notre séparation. Maintenant qu’il a pris du recul, on se revoit de temps en temps pour promener Filou et ça lui fait très plaisir.»
Et le bien-être des animaux dans tout ça?
La garde alternée gagne en popularité pour satisfaire les «parents» des animaux… mais elle n’est pas toujours la meilleure solution pour ces derniers. En fait, tout dépend de l’animal, juge Julie Willems, comportementaliste pour animaux :«Pour un chat, c’est à éviter à tout prix, prévient-elle. Ces animaux sont plus attachés à leur territoire qu’à leur maître. Les déplacer régulièrement est très perturbant pour eux.»
Isabelle l’a vécu à ses dépens. Son chat aussi. «J’ai adopté Merlin lorsque je vivais seule en appartement. Les premiers mois se sont très bien déroulés, confie-t-elle. Un an plus tard, j’ai rencontré un nouvel amoureux. Lorsque j’allais chez lui pendant plusieurs jours, j’y emmenais mon chat, car je ne voulais pas le laisser seul. Là-bas, il disposait d’une grande maison avec jardin et il jouait avec d’autres chats. Malheureusement, j’ai vite mis fin à ma relation. Merlin a très mal vécu le fait de se retrouver à nouveau « seul » chez moi. A tel point que j’ai dû le donner à une famille qui pouvait se permettre de le laisser sortir.»
« Un chien a une meilleure capacité d’adaptation et peut davantage supporter une garde alternée, estime Julie Willems. Mais c’est au cas par cas. Il peut être autant perturbé par un changement constant de domicile que par le fait de ne plus voir un de ses maîtres.»
«Les chiens et les chats peuvent être très affectés par les disputes au sein d’un couple.»
Julie Willems
Comportementaliste pour animaux
Car oui, contrairement aux idées reçues, les chiens peuvent être attachés à plusieurs personnes. Les chats aussi, d’ailleurs. Ils peuvent également être (très) affectés par les disputes au sein d’un couple. «Les animaux sont sensibles à l’ambiance dans leur foyer. Quand il y a des tensions, ils peuvent présenter des troubles comportementaux. Cela se traduit par des pertes de poids ou de poils, des stéréotypies ou l’automutilation», avertit Julie Willems. C’est vrai, à nouveau, tant pour le chien que pour le chat.
Quand certains instrumentalisent l’animal à de (très) mauvaises fins
Dans les cas extrêmes, les animaux peuvent aussi faire l’objet de chantage par les auteurs de violences conjugales. C’est ce qu’a récemment démontré une étude australienne. «Dans de nombreux cas de violence domestique, il existe des preuves suggérant que les gens tardent à mettre fin à leur relation pour protéger leur animal de compagnie, relève Jasmine Montgomery, sa principale auteure. Dans les cas où des menaces sont proférées à l’encontre des animaux, les victimes peuvent retourner auprès de leur auteur, ce qui représente également un risque important pour leur sécurité.»
La professeure Galdiolo détaille. «Il existe deux types de violence dans les couples qui dysfonctionnent. D’une part, on peut chercher à avoir un effet sur l’autre, plus qu’à vraiment lui faire du mal. Cela peut se matérialiser par du chantage, en lui disant qu’en cas de rupture, l’autre ne verra plus les enfants… ou le chien. D’autre part, la violence peut contribuer à écraser l’autre: c’est de la maltraitance. Et ça peut passer par des menaces directement liées à l’animal.»
Que dit la loi sur les animaux de compagnie?
Hormis dans le cas de violences conjugales, il est toujours préférable de s’entendre entre ex-conjoints que de traîner le dossier en justice. «Mieux vaut un mauvais accord qu’un bon procès», résume Justine Hubert, avocate et assistante à la faculté de droit de l’ULiège.
D’autant que la loi, bien qu’elle évolue, n’est pas claire. En Wallonie et en Flandre, les animaux sont considérés comme des «êtres sensibles», dont le bien-être doit être pris en compte. Mais c’est à peu près tout: on ne dit rien de leur devenir lors d’une rupture. La Région de Bruxelles-Capitale devrait bientôt aller un peu plus loin. Actuellement bloqué en troisième lecture au gouvernement bruxellois, un code du bien-être animal est annoncé, porteur d’indications plus précises en cas de séparation. Le texte invite notamment explicitement à trancher en faveur d’une garde alternée s’il s’agit de la meilleure solution.
«La décision dépend beaucoup de la sensibilité personnelle du juge envers les animaux.»
Justine Hubert
Avocate
«Dans la jurisprudence, il y a un peu de tout, constate Me Hubert. La décision dépendra finalement beaucoup de la sensibilité personnelle du juge.» Longtemps, les juges ont basé leur décision sur la propriété de l’animal: nom enregistré auprès de la DogID ou de la CatID ou nom figurant sur la facture d’achat. «Mais on voit de plus en plus de magistrats mettre ce critère de côté pour veiller au bien-être de l’animal, détaille l’avocate. Ils peuvent faire preuve d’inventivité, en tenant compte d’éléments tels que les liens d’affection de l’animal avec chacune des parties, ses besoins, son âge ou encore le maintien d’un environnement de qualité.»
Le juge peut donc statuer sur une garde alternée ou une garde exclusive, laquelle peut tout de même s’accompagner d’un droit de visite et/ou de promenade.
Il peut même mandater un expert, qui se rendra chez les ex-partenaires afin d’observer envers laquelle des parties l’animal éprouve le plus d’attache. Selon Julie Willems, c’est d’ailleurs un exercice plutôt simple. «Rien qu’en consultation, on peut voir à qui l’animal réclame des câlins, qui il regarde le plus et qui le rassure davantage», assure la comportementaliste.
A cela s’ajoutent des critères encore plus facilement objectivables. Une maison avec un jardin siéra bien mieux au toutou qu’un appartement, tout comme il préférera un maître souvent présent à une personne le laissant seul la majeure partie de la journée.
Quid si l’on a aussi des enfants pour lesquels on a opté pour la garde alternée? Doit-on forcément en faire de même pour les animaux? «S’ils sont jeunes, les enfants sont généralement très attachés à leur petit compagnon à quatre pattes. Il peut alors être préférable qu’il les suive chaque semaine. Si ce n’est pas possible, l’autre parent peut très bien en prendre un nouveau chez lui», conclut la professeure Galdiolo.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici