Communiquer avec un animal de compagnie via… un tapis: «Cela requiert un immense travail»
Certaines personnes estiment pouvoir réellement communiquer avec un animal de compagnie grâce à un tapis de boutons sonores. Elles n’ont pas entièrement tort, bien que cette technique reste complexe et présente de nombreuses limites.
Bunny, une Sheepadoodle de cinq ans, est une véritable star sur les réseaux sociaux, avec 8,6 millions d’abonnés sur TikTok et 1,5 million sur Instagram. Sa popularité repose sur un talent particulier: ce chien «parle»! Plus précisément, cet animal de compagnie utilise un tapis équipé de boutons sonores associés à différents mots pour exprimer qu’il a faim, qu’il a besoin de sortir, et bien plus encore. Parfois, il semble même communiquer via de véritables phrases en appuyant sur plusieurs touches, comme «Étranger», «Son», ou «À l’aide».
Un «conditionnement opérant», fruit d’un long dressage
Ce tapis de communication est développé par une société américaine, FluentPet, qui s’est associée à l’université de Californie pour vérifier si ce dispositif permettrait vraiment de communiquer avec son animal domestique, qu’il s’agisse d’un chien ou d’un chat. Les chercheurs associés à l’étude sont formels: ces animaux n’appuient pas sur ces boutons par hasard.
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«Ils pratiquent ce que l’on appelle du conditionnement opérant, explique François Verheggen, professeur d’éthologie à l’Université de Liège. C’est un peu comme lorsque votre chien vous donne la patte et reçoit une friandise: il associe les deux actions et reproduit ce comportement. C’est similaire avec ce tapis de boutons sonores, ou avec des clickers»
Comprendre que chaque bouton produit un effet spécifique est toutefois loin d’être évident pour le chien ou le chat. Cela nécessite un véritable travail de dressage, confirme l’étude californienne. Bunny, par exemple, a été intensivement entraînée depuis sa naissance. «Il y a un fossé énorme entre un animal naïf et un dressé, précise François Verheggen. Le premier pourrait marcher sur le tapis simplement pour attirer l’attention des humains, alors que le second y associe véritablement une action.»
Ne pas trop complexifier
Cette méthode présente une autre difficulté : ces tapis comprennent souvent des dizaines, voire des centaines de boutons. «L’animal doit pouvoir distinguer chaque touche, et cela requiert un immense travail, prévient le chercheur. Dans notre laboratoire, des souris doivent apprendre un seul et unique comportement, et cela demande déjà du temps. Je doute donc qu’un chien puisse associer plusieurs boutons pour former des phrases. Par exemple, s’il préfère une promenade près de l’étang plutôt que près de l’église, il faudrait un bouton ‘étang’ et un bouton ‘église’ pour qu’il puisse l’exprimer.»
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Dans tous les cas, chaque touche doit correspondre à une action simple, sans concepts abstraits. Si un bouton est intitulé «tendresse», le chien l’interprétera probablement comme une demande de caresses, mais pas comme une déclaration d’affection envers son maître. Le risque de surinterpréter les intentions de l’animal serait alors élevé.
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La clarté est aussi cruciale pour l’animal. Si le bouton «promenade» ne mène pas systématiquement à une sortie, l’animal pourrait être confus. Le même problème se pose s’il appuie accidentellement sur une autre touche et obtient malgré tout une balade. Il doit comprendre qu’il faut appuyer spécifiquement sur «promenade» pour sortir, et que cela ne fonctionne pas en continu mais seulement une ou deux fois par jour, par exemple.
«Je ne crois ainsi pas en l’efficacité d’un bouton ‘jouer’, juge François Verheggen. Un chien veut souvent jouer, surtout s’il est jeune. Or, pour que l’association reste efficace, il faudrait être disponible chaque fois qu’il appuie dessus, ce qui est rarement possible.»
Des limites non négligeables pour communiquer avec son animal
C’est ce qui lui fait dire que ce tapis de boutons sonores n’est pas fait pour monsieur et madame Tout-le-Monde. Seules des personnes complètement investies et formées pourraient obtenir des résultats significatifs avec un tel dispositif. «D’autant plus qu’il n’est pas intuitif pour un animal d’appuyer sur un gros bouton avec sa patte, contrairement à des comportements simples comme s’asseoir, précise-t-il. Personnellement, je pense qu’il s’agit surtout d’un gadget populaire sur les réseaux sociaux, popularisé par des animaux stars longuement entraînés.»
Les chercheurs californiens partagent eux aussi certaines réserves quant aux limites de cette technologie. Que se passerait-il si le tapis de boutons sonores était utilisé hors de tout contexte? Par exemple, les humains sauraient-ils correctement interpréter l’activation du bouton «nourriture» s’il n’y a pas de gamelle à proximité ou si ce n’est pas l’heure des repas? Pour l’instant, il est impossible de répondre à ces questions. François Verheggen aimerait aussi que des études soient menées sans liens aussi étroits avec une seule et unique entreprise commerciale comme FluentPet.
Pour le moment, le professeur liégeois recommande de revenir aux méthodes classiques de dressage, sans dispositifs intermédiaires entre l’humain et l’animal: caresser doucement son animal pour le féliciter, le faire s’asseoir devant la porte s’il veut sortir, etc. «Ce n’est peut-être pas aussi ludique pour les humains, mais c’est la base. Un animal de compagnie n’a pas besoin de bouton», tranche-t-il. Pour ceux qui souhaiteraient malgré tout tenter l’expérience, il recommande de limiter l’usage à un seul bouton, plutôt que d’utiliser la multitude de touches que proposent les tapis de FluentPet.
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